Le Serious games ou jeu sérieux , on en parle de plus en plus. Outil pédagogique et ludique, intégré dans les processus de rétablissement pour guérir certains malades, envisagé comme un des pipelines utiles du marketing moderne. Le jeu a désormais ses affectations, des plus originales aux plus stratégiques dans certaines entreprises du CAC 40. Education, science, monde de l'entreprise, la « ludification » impose de nouveaux codes de compréhension du monde grâce à des mécaniques discrètes que de nombreux neuroscientifiques mettent en lumière.
La plasticité neuronale est au cœur des recherches de ces scientifiques de demain. Comment le cerveau réagit face à des stimulus spécifiques et comment il peut se transformer, apprendre, retenir ? Ces interactions peuvent-elles en outre changer l'organisation physiologique du cerveau ? Dans un article de larecherche.fr paru en 2012, le webzine rappelait que 63% des internautes en France jouaient à des jeux vidéo.
Le jeu vidéo acteur positif du développement cérébral
Cette étude publiée par TNS Nipo et Gamesindustry mettait en relief l'émergence du média, comme une plateforme universelle de diffusion de contenus dits culturels. Daphné Bavelier, chercheuse dans le domaine de la plasticité cérébrale trouvait dans les jeux de tir à la première personne des vertus souvent dénigrées par les médias de masse.
Call of Duty serait-il un vecteur pour améliorer sa concentration ? Voici ce que l'universitaire rapportait à ce moment. «Nous cherchions à améliorer l'apprentissage, notamment en augmentant l'attention. Nous mettions au point des tests quand nous avons remarqué qu'un des étudiants, adepte de jeux vidéo, possédait des capacités attentionnelles remarquables. »
Le Serious Game fait sa rentrée des classes 2016
Si un produit aussi populaire que Call of duty peut revêtir un intérêt pour certains chercheurs. Il existe des softs spécialement conçus, dans des formats spécifiques, ainsi qu'une initiation poussée au numérique dans certaines écoles françaises. Dans un article du 30 août 2015 du Parisien, on apprend notamment que certains collèges du Val d'Oise sont désormais 100% connectés. Le Serious Games envahit les écoles.
Marie Christine Cavecchi, vice-présidente de l'assemblée départementale en charge de l'éducation précise « Nous sommes en train d’équiper notre 109e et dernier collège en tableau numérique. Le 110e sera le collège d’Herblay, dont la construction vient seulement de commencer et qui en sera doté automatiquement. » Le but de ces mises en place ? Constituer un écosystème prégnant d'accompagnement numérique pour une éducation réussie.
Ce dernier fait intervenir les élèves, les professionnels du système éducatif français et les parents d'élèves pour une triangulation optimale au niveau du suivi. Le soutien scolaire en ligne permet en outre de personnaliser l'apprentissage en fonction des besoins des élèves. Les Serious Games sont ici utilisés pour leur fonction ludique, apprendre en s'amusant, une nouvelle étape dans le fonctionnement de notre système traditionnel ?
C'est peut-être à prévoir. Avec une démocratisation constante des appareils connectés, et des habitudes d'utilisation ou de consommation de plus en plus poussées par les sociétés occidentales de leur utilisation. Les professeurs des écoles et des collèges bifurquent vers ces nouveaux modèles d'apprentissage. C'est le cas par exemple de Romain Vincent, cet enseignant de 29 ans à Chelles en Seine et Marne.
Pour sa classe de 5ème Vincent a usé de Versailles : Complot à la Cour du Roi Soleil, le jeu paru en 1996 afin d'immerger sa classe dans son programme. Selon le professeur, les jeux vidéos « peuvent être une porte d’entrée vers l’Histoire. Ils peuvent donner envie à des élèves de s’intéresser à une période historique, de l’approfondir ». Depuis il utilise aussi sa chaîne youtube afin de montrer la manière dont il peut utiliser des jeux aussi renommés qu'Assassin's Creed auprès de ses élèves
Jouer sérieusement pour s'amuser avec rigueur
Le Serious Games n'en est cependant pas à ses premiers essais. Sa dénomination est apparue en 2002 lors de la sortie d'America's Army. Le jeu a été développé spécifiquement par l'armée américaine afin de devenir un levier promotionnel du recrutement dans les villes du pays. Ce n'est pas la première fois qu'un média vecteur de produits culturel est utilisé à ces fins. Déjà lors de la Seconde Guerre Mondiale, c'est Walt Disney qui avait été approché par le complexe industrialo militaire afin de produire des films visant à sensibiliser la population U.S à l'effort de guerre. Cette collaboration a d'ailleurs été poursuivie durant la Guerre Froide.
En 1971, c'est Oregon Trail qui pose des bases intéressantes pour le genre. Le jeu développe à la fois un contexte historique facilement identifiable et des propriétés ludiques accessibles aux écoliers. Le contexte choisi par le Minesota Educational Computing Consortium (les développeurs du jeu) pour son soft est la colonisation de l'Ouest américain par l'Homme blanc. A bord de son chariot, le joueur doit rejoindre l'Oregon, en optant pour 3 profils différents : Charpentier, Banquier ou Fermier. Un système de ressources est implémenté au jeu. Développé en deux semaines par 3 professeurs qui n'avaient aucune connaissance en programmation. Oregon Trail est pourtant un des jeux ayant connu le plus de succès au monde à ce jour avec ses 65 millions d'exemplaires vendus. Il restera accroché très longtemps aux salles de classe américaines jusque dans les années 80.
Aujourd'hui de nombreux logiciels libres sont utilisés chez les enfants des maternelles ou des classes préparatoires. Initiations aux chiffres et aux lettres via GCompris ou Omnitux , à Bézier, Antony de Souza, précise que depuis 2013 il utilise ces Serious Game sur les enfants de 4 à 6 ans qu'il suit “Tous ces jeux me permettent de faire retravailler aux enfants des notions vues auparavant, comme les lettres : ils ne vont pas apprendre leurs formes sur un ordinateur, nous allons d’abord les voir en classe, puis le jeu numérique sera un outil permettant de réinvestir le travail déjà vu, de l’approfondir” précise le jeune professeur des écoles.
La ludification, objet d'un rétablissement global
Jeunes ou adultes, le principe de jeu est un accessoire de la compréhension usant de modèles alternatifs basés autant sur la logique que l'irrationnel. Le chercheur Stuart Brown revient sur ce principe. Jouer n'est pas le contraire du travail, mais de la dépression
Advergaming (le serious games au service de la publicité), Edumarket games (sensibilisation à certains sujets internes aux entreprises), Edutainment (Serious Games présenté plus haut), Political Games (les Serious Games souvent les plus touchy, penser à September 12th par exemple), Simulation (les Serious Games utilisés dans le cadre de formations diverses et variées).
Le Serious Games est aujourd'hui un accessoire flexible pour tout communicant.En juin dernier, Bordeaux accueillait l'IDEF. L'occasion de comprendre que les entreprises ont de plus en plus recours aux Serious Games dans leur communication de masse. Ces multinationales ne sont pas que des noms en retrait du réel, mais veulent devenir des activistes du quotidien. Produire par le biais du jeu une nouvelle image pour une marque semble devenir un attrait pour les plus grands acteurs du marché mondial. AvecHellopolys par exemple, Orange s'enracine sur Facebook. Construire un réseau Telecom à la manière d'un SimCity like est une nouvelle manière de promouvoir un produit ou un service.
Au service d'un but thérapeutique certaines sociétés développent des jeux allant de la rééducation de personnes ayant subi un accident vasculaire cérébral, comme la société Genius et son Voracy Fish. Le jeu utilise la reconnaissance de mouvements afin d'aider les malades atteints d'une hémiplégie à retrouver l'usage de leurs membres supérieurs. Les développeurs testent actuellement X-Torp leur jeu dédié aux malades atteint d'Alzheimer au CHU de Nice.
Autre jeu à la mode dans les maisons de retraite, comme le rapporte France 3 régions, Medimoov est développé par les Montpelliérains de NaturalPad. Un jeu considéré comme un soin numérique par la petite compagnie du sud de la France.
En psychiatrie aussi, des jeux comme e-Shizophrénia aident les psychiatres à mieux comprendre la vie des personnes atteintes de la maladie. Avec e-Schizophrénia, la formation est personnalisante, précise le Pr Guillaume Vaiva, Chef du service de psychiatrie du CHRU de Lille, cofondateur du Serious Game E-Schizophrénia. Le jeu est financé par le laboratoire Jansen et est pour l'instant réservé aux professionnels de la santé, mais dans un avenir proche, le jeu s'ouvrira aussi à « la psychoéducation des familles » précise le développeur.
Business is serious business
Malléable, flexible, utile, le Serious Games peut tout de même trouver ses limites si il est utilisé de manière détournée. L'advergame est le produit le plus vicieux de cette famille de jeu. Aux États-Unis certaines grandes entreprises n'hésitent pas à profiter de la brèche du système éducatif afin de promouvoir leurs marques dans les écoles. A cet âge les cerveaux des enfants sont comme des éponges, comme le rappelle le Super Size Me de Spurlock.
En Angleterre aussi des questions se posent quant à cette nouvelle forme de Marketing. Le Serious Games a l'avenir devant lui pour devenir un nouveau levier d'apprentissage ou de promotion d'idées à divers niveaux. Le jeu vidéo développe encore son réseau et cette rentrée 2016 le rappelle.