On a tous été, un jour ou l'autre, ému par un titre dans lequel la découverte, l'exploration, voire la survie, ne se faisait plus dans la peau d'un seul et unique avatar mais en compagnie d'un allié qui devenait, l'espace d'une partie, notre meilleur ami.
Plutôt coutumiers des longues sessions de jeu en solitaire, les joueurs que nous sommes s'avouent parfois profondément touchés dès lors que vient le moment de progresser en duo, mais cela, nous ne nous en rendons pas toujours bien compte.
Et pourtant, lorsqu'on essaye de comprendre comment un jeu comme ICO a pu s'élever au rang d'oeuvre d'art en parvenant à s'extirper du carcan ludique pour prétendre à l'émotion, on réalise que ce n'est pas juste une affaire d'ambiance et de poésie. Ce qui nous touche finalement le plus dans ICO c'est de nous enfuir, main dans la main, avec Yorda, dans une course folle vers un objectif dont on se fiche éperdument tant on se sent prêt à aller jusqu'au bout du monde en sa compagnie.
Car dans le jeu vidéo comme dans la vie, c'est seulement lorsqu'ils sont réunis que les individus les plus vulnérables sont capables de surmonter tous les dangers. Seuls, ils redeviennent le jouet de leurs doutes et de leurs angoisses.
Lâchez la main de Yorda et vous êtes perdu...
Si ICO illustre parfaitement la force qui peut résider dans un jeu solo basé sur l'entraide entre ses personnages, il n'est ni le premier ni le dernier à l'avoir expérimenté. Ce que nous essayons ici de déceler c'est si cette valeur n'est pas en train de se perdre au fil du temps. Car si les titres basés sur la coopération continuent de fleurir sur nos machines actuelles, c'est avant tout dans un souci de convivialité, et plus forcément dans l'idée de doter le joueur solitaire d'un allié inestimable.
L'entraide au service de l'ambiance
Ainsi donc, aux antipodes d'un Lemmings ou d'un Flockers dans lesquels des hordes d'individus décérébrés foncent massivement vers une mort certaine, on trouve des jeux qui placent l'entraide au coeur de l'histoire ou du gameplay. Que cette alliance s'articule surtout autour de la narration ou du gameplay, voire des deux à la fois, le résultat fonctionne uniquement s'il ne s'agit pas simplement d'un prétexte mais d'un véritable ressort narratif et/ou ludique.
Dans Another World, par exemple, le joueur ne passe finalement que quelques minutes en solitaire avant de comprendre qu'un mystérieux allié est susceptible de venir lui sauver la mise à tout instant. Le fait de ne rien connaître de cet autochtone motivé visiblement par un désir de fuite similaire au nôtre renforce même le sentiment absolu de pouvoir compter sur lui quoi qu'il advienne. Jusqu'au dénouement du jeu, sa présence suffira ainsi à redonner à Lester l'espoir qu'il pourra peut-être s'en sortir vivant.
Un compagnon de cellule providentiel dans Another World.
L'entraide au service du gameplay
Mais même lorsque la coopération est utilisée essentiellement dans l'intérêt du gameplay, elle contribue à transformer un objectif qui aurait pu être bêtement égoïste en une bataille légitime pour le bien de l'ensemble du groupe. On trouve cela notamment dans The Lost Vikings, jeu de plates-formes et de réflexion dans lequel trois brutes doivent mettent leurs aptitudes en commun pour progresser de façon complémentaire afin de surmonter les aléas des niveaux. On pourrait citer bien d'autres représentants de cette catégorie mais ce n'est pas le point sur lequel nous voulons nous attarder ici.
L'art du duo atypique et réussi
Force est de constater que ce sont généralement des duos qui se forment en matière d'entraide, comme si l'amitié risquait de perdre de sa force en se divisant. Et bien souvent, le lien se crée entre des êtres de nature radicalement différente, comme dans le cas du jeu Haunting Ground, un bel exemple de solidarité entre une jeune femme et un chien fidèle qui tentent de se comprendre pour échapper à des psychopathes véritablement malsains.
Sans la présence de notre compagnon canin, l'expérience Haunting Ground serait franchement insoutenable.
Dans Okami Den, c'est le dieu-louveteau Chibiterasu qui endosse le rôle principal, la monture canine volant carrément la vedette à ses cavaliers humains qui se contentent de lui donner un coup de main à tour de rôle.
Et même lorsque l'entraide n'intervient pas de façon omniprésente dans un jeu, elle peut s'avérer tout aussi mémorable, comme l'illustre assez bien la princesse Elika dans le reboot de Prince of Persia en tendant la main au joueur à chaque fois qu'il est sur le point de perdre la vie. Dans la version Wii des Sables Oubliés, le rôle de guide joué par Zhara, le djinn féminin, reste en mémoire bien plus longtemps que les différentes épreuves que l'on traverse dans le jeu.
Ces dernières années ont ainsi vu toutes sortes d'alliances improbables se former entre des protagonistes que tout sépare : un voleur et un monstre cornu (Majin and the Forsaken Kingdom), une belle et une bête peu causante (Enslaved : Odyssey to the West), ou encore un enfant et une créature hideuse, représentation métaphorique d'un père alcoolique (Papo & Yo). Tous ces jeux articulent véritablement leur déroulement autour de la relation entre les deux membres du duo, avec plus ou moins de réussite au niveau de l'ambiance, mais toujours dans une intention pertinente.
Quand l'entraide en solo vire au coop en multi
L'objectif est sans doute plus facile à atteindre lorsque le propos se veut léger, à l'instar de Epic Mickey : Le Retour des Héros qui introduit le fonctionnement en duo principalement pour orienter le joueur vers des parties plus conviviales en coopération.
C'est d'ailleurs un petit peu le constat que l'on fait ici : l'entraide dans les jeux en solo n'est-elle pas en train de disparaître au profit du coop à tout prix ? De moins en moins de titres semblent ainsi véritablement fondés sur l'entraide et destinés uniquement aux parties solo, même si le très touchant Brothers : A Tale of Two Sons nous a brillamment prouvé le contraire il n'y a pas si longtemps que ça. Dans cette aventure sincèrement émouvante, la manette est carrément partagée en deux pour donner autant de force à chacun des deux frères au destin tragique.
Dans Brothers : A Tale of Two Sons le lien entre les deux frères est parfaitement dépeint.
A l'inverse, le rôle plus effacé du renard polaire dans Never Alone ne lui confère pas autant de force qu'on aurait pu l'imaginer aux côtés de cette petite inuit qui affronte les dangers d'une nature toujours plus hostile.
A l'inverse, le périple de Never Alone nous touche moins qu'on aurait pu l'espérer.
La tendance générale semble de toute façon vouloir s'orienter vers des titres principalement destinés aux parties en coop mais dans lesquels l'IA prend le relais pour contrôler le second personnage lors des parties en solo. On pourrait citer là bien des exemples, à commencer par la série des LEGO mais aussi les deux aventures coopératives de Lara (The Guardian of Light et The Temple of Osiris), ou les Zelda mettant en scène plusieurs Link en simultané (Four Swords Adventures et The Legend of Zelda : Tri Force Heroes). Tous ont en commun une orientation multijoueur qui rend l'expérience de jeu en solo totalement différente de celle que l'on peut éprouver en s'essayant à des titres tels que ceux évoqués au début de l'article.
Vers une alliance plus moderne et désenchantée ?
Finalement, parmi les titres les plus récents ayant su replacer au premier plan une entraide à toute épreuve on retiendra surtout le road-movie post-apocalyptique de Joel et Ellie dans The Last of Us, traité de façon admirable du début à la fin du jeu. Voire la relation surnaturelle entre Jodie et Aiden qui ont une façon bien à eux de communiquer dans Beyond Two Souls. Deux manières significatives et bien distinctes d'insuffler un peu de fraîcheur et d'originalité sur le thème de l'entraide dans le jeu vidéo.
A l'avenir, d'autres titres devraient se charger de relever à nouveau le défi en tentant de nous surprendre chacun à leur façon. On pense par exemple au jeu épisodique Troll and I que nous sommes d'ores et déjà curieux de découvrir, mais surtout au fameux The Last Guardian qui sera, espérons-le, le digne héritier d'ICO sur le plan de la sensibilité et de l'émotion.
Après une attente aussi longue, The Last Guardian tiendra-t-il ses promesses ?