Une douce nuit estivale, une torpeur nocturne, l’ombre d’une flamme vacillant sur un mur décrépi au rythme d’une brise tiède s’infiltrant par une fenêtre fêlée dans une chambre plongée dans l'obscurité. La manette en main, les yeux rivés sur un écran cathodique 30 centimètres, une goutte de sueur perlant sur un front crispé, le joueur d’antan se délectait de ce sentiment de perte de soi, d’appréhension à chaque pas consenti. La peur fut un puissant levier des designers durant des années. Jump scares, atmosphères délétères, créatures sanguinaires, apparitions inopinées …pléthore d’idées corrosives n’ayant pour objectif que d’insinuer la peur dans le coeur des joueurs avides de ressentir une fois de plus ce tendre frisson au détour d’un couloir.
Bien que tout jeune à la sortie des pionniers du genre, mon esprit malléable de l’époque fut marqué au fer rouge par ces visions ayant nourri mes cauchemars durant les années qui suivirent. Les murs se resserrent, le jour fait place à la nuit, vos sens tremblent de joie. Changez les piles de votre lampe torche, ruez-vous sous la couette et fermez à double tour … vous pénétrez désormais dans les méandres de l’épouvante vidéoludique.
Je me souviens d'un temps ...
… où la moiteur de nos mains traduisaient une frayeur véritable née d’une expérience au demeurant virtuelle. Par vagues successives d’oeuvres se renouvelant dans l’angoisse le joueur des années 90’s fut baloté de manoir hanté en hôpital psychiatrique, de villes abandonnées en rase campagne pendant près de 15 ans. 3 lustres passés à trembler, à sursauter la boule au ventre et l’oeil hagard.
Mes premiers pas, le trouillomètre au taquet, se firent sur Resident Evil et ses doux relents de film de série B en 1996. Alors que George Romero faisait du mort-vivant communément appelé zombie l’essence de sa filmographie avec le célèbre La nuit des morts-vivants, la tentative de Capcom, fortement inspirée par les oeuvres du réalisateur, consolida les bases d’un genre introduit par Alone in the Dark (1992). Des plans fixes singeant le langage cinématographique, des lieux glauques, une ambiance obscure … une maîtrise du hors-champ … tant de mécaniques devenues la sève d’un genre en devenir. La fièvre de l’infecté progressa avec la sortie de deux séquelles (Resident Evil 2 et Resident Evil 3 : Nemesis) peaufinant un gameplay salué à la fois par la presse et le public.
Avec ses scénarios basés sur les écrits de H.P Lovecraft et teintés de vaudou et ses visuels torturés par l’imaginaire de l’artiste H.R Giger (créateur du xénomorphe - Alien), Alone in the Dark, édité par Infogrames, sut égratigner la santé mentale d’une foule de non initiés à la peur interactive. Un succès au rendez-vous poussant la création de plusieurs suites entre 1993 et 2001 (Alone in the Dark 2, Alone in the Dark 3, Alone in the Dark : The new Nightmare).
Puis vînt l’automne et son brouillard à couper à la serpe. Une sirène déchire le silence. Un jeune homme déambule dans les rues d’une ville déserte sous-éclairée. Des créatures récalcitrantes se déhanchent au son d’un revolver toujours en rade de munition. Silent Hill, sorti en juillet 1999 et édité par Konami, ne se contentait pas d’effleurer la peur mais sautait à pieds joints dans l’horreur. Ce brouillard, astuce technique pour réduire la profondeur de champ et donc le nombre d’éléments à afficher, était ici une mécanique à part entière, le principal antagoniste du jeu. Ancré dans l’imaginaire des joueurs PlayStation, deux suites virent le jour en 2001 et 2003 perpétuant l’héritage brumeux d’un titre à l’origine d’une angoisse constante pour toute une génération.
Au-delà des ces 3 franchises à jamais gravées dans nos mémoires, de petites perles horrifiques imprégnèrent notre psyché … chacune à sa manière … nous enfonçant toujours un peu plus dans ce canapé au cuir usé ayant supporté des centaines des sursauts. Forbidden Siren se distinguait par sa narration destructurée, sa campagne japonaise aliénée, sa mer rouge mutagène et une immortalité des morts-vivants des plus problématique. Project Zero nous dépaysait par son ésotérisme fantomatique, ses rituels et autres exorcisme … armant la jeune Miku d’un simple appareil photo capable d’enfermer les esprits belliqueux. Quant à Obscure et son scénario à la sauce Teen Movie avec ses étudiants coincés dans une université en proie au mal, le studio Hydravision avait su faire de la lumière une source salvatrice en milieu hostile.
Nous pourrions de la sorte oser une liste exhaustive de deux décennies de peur … à moins que ce sentiment ne nous prenne aux tripes. Et pourtant … l’année 2005 ébranla les fondations d’un genre à son apogée.
Une prescription de napalm et de testostérone
Le Survival-Horror ouvrit en l’an de disgrâce 2005 la boîte de Pandore déversant les termes TPS, Action, scènes scriptées, explosion, dynamisme … sur un genre jusque-là fondé sur l’appréhension. Avec son gameplay novateur porté action et ses séquences dantesques, précurseur par la position de sa caméra, Resident Evil 4 fut une réussite indéniable aussi bien critique que commerciale traçant pour les années suivantes l’axe de développement de la franchise, les autres éditeurs s’engouffrant avec envie dans la brèche. L’action fit ainsi table rase du passé ... la peur n’était plus.
La sphère vidéoludique vit dans cette révolution un renouveau à l’origine de franchises considérées aujourd’hui comme des monuments du jeu vidéo par les joueurs. Les trilogies Gears of War (2006, 2008, 2011), Uncharted : Drake's Fortune (2007, 2009, 2011) … les franchises inFamous et Army of Two ... enflammèrent les moeurs à grand renfort de fusils mitrailleurs, de lance-roquettes et autres chars d’assaut dégoulinant de testostérone et de gas-oil.
Une licence symbolise à elle seule ce besoin de tout faire péter, crachant de l’huile sur le feu jeu après jeu, année après année … Call of Duty et sa saga Modern Warfare (2007, 2009, 2011). L’appât du gain étant, des éditeurs de tout bord allèrent jusqu’à dénaturer leur licence horrifique afin de toucher un panel plus large de joueurs. Resident Evil 5, un jeu à faire en coopération sacrifia son âme sur l’autel de l’actioner bourrin. Et que dire de Resident Evil 6 ! Une apologie du QTE, de l’action sans queue ni tête, du gunfight en pagaille pour un jeu reniant mécaniques de gameplay après mécaniques de gameplay son héritage.
Dans cette tranchée ensanglantée marquée par les affres d’une guerre manette en main, plusieurs éditeurs firent de la résistance et osèrent le pari d’un retour à l’horreur. Electronic Arts s’invita sur un vaisseau spatial infesté flottant dans l’immensité de l’espace avec Dead Space (2008) et sa suite (2011) avant de céder à l’appel mercantile du $$$ avec un troisième opus en forme de doigt levé pour tous les fans. L’éditeur japonais Sega offrit de son côté une oeuvre horrifique en vue à la première personne mêlant corps à corps, environnements glauques et énigmes, le bien nommé Condemned (2005).
Le retour survivaliste de la peur
Ancien eldorado oublié par ses pères, le Survival-Horror sut attendre tapi dans l’ombre l’heure de son retour en grâce. Une horreur portée sur la survie suivant la mouvance actuelle brassant apocalypse, virus, infectés … thèmes récurrents s’emparant des médias TV, cinéma et jeu vidéo avec une voracité retrouvée. Cette nouvelle vague de jeux s’appuie avant tout sur des mécaniques de survie en milieu hostile. La peur par le manque. L’appréhension par l’inconnu. The Last of Us iconise parfaitement cette volonté de l’industrie. Sorti le 14 juin 2013, le titre de Naughty Dog fit l’effet d’une bombe. Un monde dévasté, des humains transformés en créatures affamées, un gameplay mêlant à la perfection, infiltration, TPS et survie pour un jeu ayant marqué par ses qualités la génération PlayStation 3. LA claque survivaliste d’une génération.
L’être humain a peur du noir ... une peur ancrée en nous depuis notre enfance et s’estompant avec l’âge pour mieux ressurgir une fois plongé dans les ténèbres. Alan Wake (2010), exclusivité Microsoft développée par le studio Remedy, se jouait de cette appréhension en donnant vie à des créatures vulnérables à la lumière. Une carence en pile était synonyme de mort assurée. La même année, les ukrainiens du studio 4A Games, proposèrent leur vision de la fin du monde avec le jeu Metro 2033 et sa suite Metro Last Light, deux FPS apocalyptiques basés sur le roman du même nom et ses séquelles. Ce titre jouait avec la claustrophobie en enfermant le joueur sous terre pour mieux ressortir et s’abreuver de lumière un masque à gaz sur le nez et la peur d’étouffer qui l’accompagne.
Konami et Capcom, maître de l’horreur 90’s, assistant à ce retour de l’horreur prirent le train en marche extirpant tant bien que mal leur licence de leur geôle “Action” pour un voyage initiatique au pays du frisson. La résistance des ennemis, la rareté des munitions, la fuite comme espoir … la survie est au coeur du gameplay offrant une excellente surprise en provenance du pays du soleil levant. Resident Evil Revelations (2012) et Silent Hill : Downpour (2012) réhabilitant leur nom auprès des fans inconditionnels.
Et la peur continua sa progression nous gratifiant en Septembre 2014 de 2 jeux aux qualités indéniables : The Evil Within mis au monde par Shinji Mikami lui-même (créateur de la série Resident Evil) et Alien Isolation, une adaptation de la franchise lancée par Ridley Scott firent trembler l’assise de bien des joueurs. Entre un hôpital psychiatrique badigeonné de sang et une station spatiale épurée, un boucher armé d’une tronçonneuse et un xénomorphe des plus agressifs, la peur investit les demeures des plus téméraires avant de les voir fondre sous leur canapé, le coeur crachant un 180 battements par minute.
Le doux son d’une hache se traînant sur un sol carrelé, les grognements de créatures griffant les murs, l’air chargé d’une tension palpable, une humidité dévorant lentement des environnements inhospitaliers …les coeurs réapprennent à sursauter et les fontaines de sueurs froides coulent de nouveau abondamment. La peur comme leitmotiv, une main tremblante essuyant un front crispé, la joie de ronger sa santé mentale la manette en mains n'aura jamais été aussi plaisante en attendant de pouvoir déambuler une fois de plus dans la psyché torturée de créateurs au combien imaginatifs.
La liste des projets cités n'est pas exhaustive mais reflète exclusivement l'expérience de l'auteur.