Loin d'être le parfait Eldorado, la plate-forme de financement participatif Kickstarter essuie les plâtres. Pour quelques projets porte-étendards, la majorité des campagnes se perdent dans la masse, flouées par une “suriconisation” de projets à l’état pré-embryonnaire tandis que d’autres projets échouent en production larguant l’espoir du contributeur aux objets trouvés. Malgré ce contexte, nul doute que d'excellents projets verront le jour dans les mois à venir. Je reste donc dans l'attente de ce jour.
Le créateur de rêves...
Kickstarter, le jardin d’Eden d’une armée de développeurs dits indépendants souhaitant donner vie à leur vision du jeu vidéo, permit durant ces 6 dernières années l’émergence de petites perles pour le plus grand plaisir des joueurs de tout bord. A l’association des termes succès et Kickstarter, une poignée de titres rafraîchissants nous vient à l’esprit avec un naturel certain. FTL : Faster Than Light et sa stratégie spatiale... Sunless Sea et son exploration baignée dans une atmosphère “made in Lovecraft”… Edge of Eternity, un J-RPG traditionnel à l’univers occidentalisé… The Fall, une chute vertigineuse dans l’action et la réflexion… Paper Sorcerer, un RPG old-school… autant d’expériences vidéoludiques aux concepts sortant des prérequis d’une industrie de plus en plus formatée et ayant pu voir le jour grâce au financement participatif.
Une manière de tendre la main aux concepts novateurs en contribuant autant que faire se peut au développement de projets prédestinés à l’hibernation sans la plate-forme Kickstarter.
... porté par un vent nostalgique
A chaque présentation de projet la même rengaine, les mêmes mots, les mêmes expressions revenant sans cesse pour des descriptions parfois plus proches du clone que de la profession de foi : old-school, à l’ancienne, héritier, successeur, hommage, 80’s, 90’s, rétro… Sur un autel du “Le jeu vidéo, c’était mieux avant” toujours plus présent, l’innovation se cherche désormais dans le passé, à croire que les esprits créatifs, engoncés dans leur gloire passée, ne subsistent que pour revivre deux décennies plus tard leurs souvenirs estompés. Et pourtant, nombre de projets persistent, signent et transforment l’essai. Un voyage dans le passé sachant se réinventer, offrir une vision nouvelle pour finalement nourrir le joueur avec une madeleine de Proust estampillée “Nouvelle Recette”.
Entre suites et héritiers (il)légitimes, Kickstarter accueille à bras ouverts cette vague d’hommages tant espérée par les joueurs. De cette déferlante 80’s-90’s naquirent des titres proches de la perfection, symboles d’un passé revanchard remettant au goût du jour le RPG avec des oeuvres telles que Pillars of Eternity et Divinity : Original Sin, développées respectivement par Obsidian et Larian Studios, et successeurs des légendes que sont Baldur's Gate et Neverwinter Nights, Wasteland 2, suite du premier opus paru 26 ans plus tôt, Shadow Run Returns, renaissance d’une licence issue des jeux de plateau, sans oublier Torment : Tides of Numerena, détenteur du record du cap du million de dollars atteint le plus rapidement sur Kickstarter avant la claque de l’E3 2015 Shenmue 3.
L'apogée du Nom Propre
Koji Igarashi, Keiji Inafune (Mega Man, Onimusha, Dead Rising), Peter Molyneux (Populous, Fable, Black & White), Tim Schafer (Monkey Island…) : une iconisation à outrance des figures stars de la sphère vidéoludique se profile projet après projet sur Kickstarter.
The Banner Saga est un parfait exemple. Prenez une équipe formée chez BioWare et Austin Wintory, le compositeur de la bande-son de Journey, pour le développement d’un RPG tactique se déroulant dans un univers nordique, et vous obtenez une machine à remonter le temps ayant récolté plus de 7 fois la somme demandée (soit 724.886 $ pour 100.000 $ demandés).
La palme revient à Koji Igarashi pour Bloodstained : Ritual of the Night. Une mise en scène travaillée, un Koji au top de sa prestance, un lieu de tournage sur mesure, mais aucune image du jeu, aucun prototype ne sont présentés. Le financement de Bloodstained et ses 5,5 millions de dollars récoltés ne repose que sur l’aura de son créateur, promettant la suite spirituelle de sa saga Castlevania. La personnification d’une oeuvre à peine dévoilée lors de sa campagne Kickstarter à l’exception de quelques artworks pour un projet restant (trop ?) mystérieux.
Voir la vidéo de présentation Kickstarter de Bloodstained : Ritual of the Night par Koji Igarashi.
Le briseur de promesses
A chaque conte de fées son cauchemar, à chaque pari ses échecs cuisants… La réussite des projets cités précédemment n’occulte malheureusement pas la manne de projets tombés dans l’oubli, souvent par manque d’intérêt, ou restés dans les mémoires comme la lie de Kickstarter.
Godus semble prendre le chemin des échecs en devenir. Peter Molyneux, célèbre concepteur de jeu vidéo, a la fâcheuse manie de promettre au-delà des possibles pour ensuite se raviser au grand dam des joueurs et désormais des contributeurs. Entre les départs de membres clés de l’équipe tels que Jemma Harris (producer) et Jack Attridge (cocréateur) et l’annonce d’un second projet au sein des studios 22Cans, Godus, légitime successeur de Populus, subit les remous d’un développement des plus chaotique. Et les mauvaises nouvelles s’entassent mois après mois. Supprimer la version Linux, évoquer un modèle économique free-to-play, sabrer le novateur mode multijoueur et couper dans les fonctionnalités du jeu… pour un Godus incapable de se reconnaître lui-même, marchant sans vergogne sur les promesses faites aux fans ayant déboursé leurs deniers.
Et le pire reste à venir...
La plate-forme de jeu sous Android nommée Ouya peut se vanter d’une campagne Kickstarter tonitruante, récoltant 8,5 millions de dollars en promettant une console de salon sous Android, un rêve pour les développeurs… le jeu vidéo accessible… Grand bien leur fasse. Sortie en juin 2013, le constat est sans appel. La Ouya, malgré un investissement massif, ne se vend pas. Vendue 129 € avec une seule manette, les revendeurs peinent à s’en débarrasser. Et le catalogue reste obstinément vide. A l’exception de Towerfall, aucun jeu ne pousse à se procurer cette console aux finitions discutables. Un pavé dans la mare des paris osés, un retour brutal à la réalité.
A ces échecs viennent s’ajouter des titres aux qualités discutables où une fois encore le fossé entre potentiel et réalité s’est creusé. Mechs & Mercs : Black Talons (note JV.com : 9/20), Mercenary Kings (note JV.com : 13/20), Blade Symphony (note JV.com : 12/20), et j’en passe… Autant de jeux aux promesses alléchantes n’ayant su concrétiser leur vision.
L'argent de poche des éditeurs
Tomb Raider (90 millions d’euros), Assassin’s Creed Unity (70 millions d’euros)… autant dire que les contributions sur Kickstarter représentent le prix d’un malabar en comparaison des sommes astronomiques englouties en production par ces titres AAA. Les 5 millions de Bloodstained : Ritual of The Night, soit 7% du budget d’AC Unity, apparaissent dès lors comme ridicules.
Cet état de fait n’a pas freiné Yu Suzuki et Sony lors de l’E3 2015, lançant une campagne Kickstarter pour l’arlésienne Shenmue 3. Un jeu narratif en monde ouvert, un scénario riche, un univers copieux… Les 3.500.000 $ récoltés jusqu’à présent ne seraient donc jamais suffisants pour terminer un tel jeu et Yu Suzuki s’est fendu d’un communiqué confirmant le soutien de Sony pour ce qui est de la sphère marketing. Avec un budget de 47 millions de dollars pour le premier opus, Shenmue 3 devrait atteindre les budgets des blockbusters actuels, balayant le soutien financier des fans d’un revers de la main.
Cependant, certains projets peuvent remercier nos éditeurs phares. Allongeant les milliers d’euros supplémentaires pour terminer une production, ces projets voient finalement le jour envers et contre tout. Cloudberry Kingdom a eu cette chance. Ayant transformé sa campagne Kickstarter, le titre de Pwnee fut supporté en fin de production par Ubisoft, permettant à ce jeu de plates-formes hardcore de voir le jour.
Les projets insolites
Il est coutume de dire que l’enfer est pavé de bonnes intentions et Kickstarter ne déroge pas à la règle. Enfin... les intentions de Kickstarter sont louables, celles des projets ci-dessous sont déjantées ? discutables ? condamnables ? Je vous laisse seuls juges.
Entre la destruction d'une PlayStation 4 Edition Anniversaire, une recette de salade de pommes de terre et un film pour adulte filmé dans l'espace (proposé sur la plate-forme Indiegogo), Kickstarter & Co. proposent de drôles de projets à la limite de la mauvaise blague. Le projet de salade pour preuve avec ses 55.000 dollars récoltés démontrant ainsi les limites du financement participatif.
Loin d'être le parfait Eldorado, la plate-forme de financement participatif Kickstarter essuie les plâtres. Pour quelques projets porte-étendards, la majorité des campagnes se perdent dans la masse, flouées par une “suriconisation” de projets à l’état pré-embryonnaire tandis que d’autres projets échouent en production larguant l’espoir du contributeur aux objets trouvés. Malgré ce contexte, nul doute que d'excellents projets verront le jour dans les mois à venir. Je reste donc dans l'attente de ce jour.
La liste des projets cités dans cet article est non exhaustive.