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Si l'on a déjà assez débattu sur la refonte graphique nécessitée pour ce remake (notamment en ce qui concerne le design des personnages) ou encore sur le système de combat qui reste à ce jour indéterminé, attardons-nous maintenant sur les conséquences qu'un tel remaniement pourrait avoir sur le game design du jeu. S'il ne fait aucun doute qu'un élan de renouveau puisse être favorable au jeu original, il convient d'abord de s'épancher plus en détail sur la structure de ce dernier afin d'évaluer les ajustements voire les chamboulements qu'il serait possible d'effectuer. Nous allons ainsi partir sur l'idée que ce remake entreprenne une orientation "open world". Mais un tel changement de cap est-il possible ?
UNE PROGRESSION PAR LE SCÉNARIO...
Final Fantasy VII est un J-RPG dans sa conception classique selon les idées de l'époque, et l'un des éléments les plus caractéristiques se trouve au niveau de la world map : une carte à échelle réduite, laquelle donne accès à des lieux qu'il est possible de visiter et à des zones faisant office de donjons. S'il est évident que cette standardisation n'ait été due qu'à des limites techniques, le fait est que les développeurs ont su faire preuve d'adaptation et que le world building du jeu a ainsi été pensé à partir de ces contraintes. Si ce jeu et nombre d'autres J-RPG de cette décennie proposent une certaine liberté de mouvement et d'action (notamment avec cette carte du monde qu'il est possible "d'explorer", prenant toujours en considération le fait qu'elle est à échelle réduite), la marge de manœuvre reste cependant limitée, le jeu disposant en réalité d'une structure linéaire. On pourra toujours flâner, s'écarter un peu de son chemin, mais jamais on ne pourra s'extirper du fil rouge, la progression du joueur se faisant en parallèle avec la progression du scénario. Durant tout le premier CD, le titre est donc une succession de scènes (voire scénettes) qui se suivent sans la moindre perte de rythme, les développeurs ayant également fait en sorte à ce qu'il y ait une certaine variété de situations rencontrées (pouf, on passe sans transition de "Cloud essaie de se tirer en douce de la maison d'Aeris pendant la nuit" à "Cloud et Aerith retournent le Wall Market en quête d'un déguisement de fille pour notre blond peroxydé"). Mais toujours dans une logique d'évolution du scénario et de progression du joueur.
... DIFFICILE À CONCILIER AVEC LE CONCEPT DE MONDE OUVERT
L'exemple pris est celui de Midgar, ce qui n'est pas anodin étant donné que c'est ce que les joueurs ont vu du trailer. Un Midgar revisité dont nous avons pu entrapercevoir des lieux inédits. La séquence avait beau être une cinématique en CGI, il est probable que les développeurs aient ainsi décidé d'agrandir la surface explorable de cette ville, sachant que la partie supérieure de Midgar se résumait principalement au bâtiment Shinra dans le jeu d'origine, et l'idée d'un open world dans lequel on ne pourrait pas explorer la ville principale paraît assez saugrenue à première vue. Le fait est que, dans la version originale, à aucun moment le joueur ne voit la couleur de ces "beaux quartiers", ce qui au vu du déroulement du jeu rentre dans une logique scénaristique. Cloud, Tifa et Barret sont des membres d'AVALANCHE, un groupe terroriste écologique qui élit domicile dans les "Taudis" et leurs agissements ne les conduisent simplement pas à explorer la plaque supérieure, plus encore quand on sait que leurs têtes sont mises à prix. On en revient donc à cette histoire de fil rouge, de progression par le scénario, or une plus grande souplesse se devrait d'être justifiée par l'histoire, ce qui nécessiterait donc de modifier cette dernière, probablement avec l'ajout de quelques subplots. Sachant pour conclure sur ce point que notre équipe n'est pas censée revenir à Midgar avant la fin du deuxième CD, il faudrait donc que ce soit très bien amené, au risque de casser le rythme.
LA LIBERTÉ AU DÉTRIMENT DU RYTHME NARRATIF ?
Revenons en maintenant à la world map. Après des heures passées dans un cadre froid et mécanique résolument steampunk, nos héros connaissent enfin les joies de la verdure et de l'air pur qui emplit leurs poumons (je veux dire, encore plus pour Tifa). Le joueur, lui, exulte et s'écrie "enfin, la liberté !". Du moins c'est ce qu'il croit, car encore une fois sa progression se voit conditionnée par l'avancement du plot. Il peut aller à la ferme des Chocobos s'il le souhaite, il n'y trouvera rien d'intéressant si ce n'est une sympathique chorégraphie performée par une troupe de volatiles danseurs. S'il essaie de s'aventurer dans les marais, il comprendra sa douleur très vite. Le joueur est donc dans l'obligation de faire escale à Kalm, ce qui lui permettra de faire avancer l'intrigue, et ainsi d'obtenir l'objet ou de parler au PNJ, lui permettant ainsi de progresser dans l'aventure, etc. Ce schéma est répété tout le long du jeu, du moins jusqu'au CD 3 qui permettra au joueur d'agir plus ou moins à sa guise avant d'affronter le boss final. Comme expliqué précédemment, cette structure linéaire possède néanmoins l'avantage d'offrir un rythme plutôt soutenu sur le plan narratif, et le fait que la world map soit à échelle réduite permet de réduire les temps de déplacement, et offre donc une progression fluide. En partant sur l'hypothèse que le jeu devienne un vrai open world, toute la map de FF VII serait alors à échelle réelle. Quand votre moyen de locomotion s'avère être un Chocobo, un Hautvent ou un Buggy, parcourir la carte ne devrait pas se révéler trop fastidieux, mais les longs trajets à pied risqueraient quant à eux d'entraîner des longueurs et ainsi nuire au rythme du jeu d'origine. Même si on peut considérer qu'il s'agisse d'un problème solutionnable dans le cas où les combats s'enchaînent de manière fluide et rapide, sans la moindre transition. Cependant, ce choix de game design pourrait amener une autre contrainte.
UNE CARTE COMPLÈTE À REMODELER
Le fait est que Final Fantasy VII a été conçu selon cette idée de map à échelle réduite, et que les lieux visitables (hors Midgar) le sont tout autant aujourd'hui. Traverser de grandes plaines remplies de vide pour accéder à des villages de taille assez restreinte ne semble pas être la chose la plus passionnante qui soit, ce qui induirait inévitablement une re-pensée de la map. Ça passe donc par l'ajout de lieux et de NPC jalonnant le chemin, ce qui est loin d'être une chose aisée étant donné que toutes les villes de Final Fantasy VII ont fait l'objet d'un travail certain en termes de background et d'architecture. Presque toutes ont une justification scénaristique, même le Gold Saucer, l'endroit où l'on peut voir un blondinet faire du gringue à un gros black barbu dans une grande roue. Il y a alors l'option d'agrandir la superficie des villes du jeu, le danger étant alors de ne pas les dénaturer. Aussi, le travail à accomplir paraîtrait alors conséquent, voire démesuré. On peut également penser à une map aux dimensions revues à la baisse, avec des villes plus proches les unes des autres, ce qui risquerait de donner un aspect confiné trop prononcé. Il y a un vrai travail d'équilibrage à fournir à ce niveau, et il serait regrettable de souhaiter une formule excluant la carte du monde, peu importe l'échelle de cette dernière. Le jeu original propose en effet une dimension exploration (via la world map qui permet au joueur de parcourir les "continents") qu'il paraît préférable de conserver. Sinon, quid des nombreux lieux "optionnels" du jeu, comme la grotte de Lucrécia, la maison du Chocobo sage, ou encore l'avion Gelnika uniquement atteignable en sous-marin ? Nul doute que Tetsuya Nomura et son équipe procéderont à des ajustements, et même à une suppression pure et simple de certains éléments, le tout est que ça reste cohérent et que ça ne nuise pas à l'univers et au background du jeu.
QUID DE LA MISE EN SCÈNE DES COMBATS ?
'Venons-en ensuite à la question des mobs, car il va sans dire qu'il faut aussi les prendre en considération lorsqu'on redimensionne une map et des lieux. L'énorme dragon rouge affronté dans la salle de la matéria noire au Temple des Anciens ? L'Arme Diamant qui traverse les mers en direction de Midgar ? L'arme de destruction massive qui réussit la prouesse de tenir dans un ascenseur du bâtiment Shinra ? Tout mettre à la même échelle induirait de ce fait deux possibilités : soit un redimensionnement des lieux comme évoqué plus tôt, soit une revue à la baisse des mensurations desdites bébêtes. Sans compter qu'au-delà de ce souci de cohérence, un RPG open world implique aussi des combats en temps réel, sans transition. Ce qui pour le cas de certains boss pourrait s'avérer ardu à mettre en scène, pensons notamment à l'Arme Emeraude que l'on combat sous l'eau et en apnée (point qui soulève déjà quelques incohérences). Ou encore à l'Arme Ultime que l'on poursuit et attaque par les airs avec l'aide du Hautvent, un combat à distance qui exclurait l'utilisation des attaques à courte portée, un peu à la manière du combat contre Effray dans Final Fantasy X. Il serait alors bien possible que le joueur n'ait plus à les affronter, ou que la mise en scène de ces combats change radicalement (on peut ainsi imaginer un combat contre l'Arme Emeraude sur la terre ferme). Pensons aussi au cas du Zolom de Midgar qui empêche tout accès aux grottes de Mythril avant d'avoir fait un détour par la ferme aux Chocobos. Dans la version d'origine, il suffit d'éviter son ombre pour ne pas avoir à l'affronter, ceci étant expliqué par le fait qu'il cache sous les marais, ce qui répond à une certaine logique. Dans un open world où les ennemis sont visibles sur la map et où il n'y a pas de transition avant chaque combat, comment cela peut-il bien s'organiser ? Car en théorie, esquiver le Zolom à pied deviendrait alors possible. Encore un des nombreux exemples d'idées s'articulant autour d'un modèle de game design désormais éculé, sans parler des innombrables petits détails difficiles à reproduire dans le cadre d'un open world réaliste, qu'il s'agisse des sorts influant sur l'apparence des personnages (Mini, Crapaud), de l'utilisation des invocations (il paraît en effet illogique de pouvoir faire appel à une invocation telle que Bahamut Zero dans un lieu confiné) ou encore des déplacements maritimes qui étaient soumis à plusieurs conditions dans le jeu original (le Tiny Bronco par exemple, ne pouvait pas naviguer sur des étendues d'eau profonde). Ce qui laisse imaginer le nombre de changements inévitables qui devront être effectués pour offrir un jeu en accord avec son temps tout en restant fidèle à l'esprit du titre original.
Vous l'aurez donc compris, en s'embarquant dans l'ambitieux projet d'un remake d'un des opus les plus aimés de la série, Yoshinori Kitase et son équipe savaient qu'ils auraient du pain sur la planche. Quelle que soit la future orientation du titre, il faut d'ores et déjà s'attendre à un Final Fantasy VII revisité, je dirais même à une toute nouvelle façon d'aborder un titre que nombre d'entre nous connaissent sur le bout des doigts. Ce qui, pour peu qu'on fasse preuve d'un minimum d'ouverture d'esprit, ne semble pas être une mauvaise chose après tout.