L'histoire du premier Suikoden a cela de remarquable qu'elle s'efforce, dès le départ, de s'interdire tout manichéisme en nous glissant dans la peau d'un jeune homme forcé de trahir son camp. Parce qu'il est le fils de Teo McDohl, l'un des cinq généraux impériaux de l'Empire de la Lune Ecarlate, le destin de Tir semblait écrit à l'avance. Mais lorsque le jeune homme regarde au-delà du point de vue de l'empire et qu'il réalise l'oppression dont est victime son peuple, il décide de quitter les forces impériales pour rejoindre l'armée de libération et en devenir le nouveau leader. Doté de la mystérieuse rune Soul Eater, il s'aventure ainsi sur une voie pavée de tragédies en sachant très bien qu'il lui faudra tôt ou tard affronter son père.
Quel est le véritable pouvoir de la Soul Eater, l'une des 27 true runes ? Qui est cette mystérieuse sorcière qui semble pouvoir contrôler les êtres à leur insu ? Et notre héros sera-t-il capable de conduire l'armée de libération à la victoire ? Toutes ces questions sont au coeur de l'histoire de Suikoden premier du nom sorti en avril 1997 sur PlayStation, soit un peu moins de deux ans après la version japonaise (Gensô Suikoden). La version Saturn ne sera éditée qu'au Japon.
Au Bord de l'Eau
Rappelons que la série est, à la base, fortement imprégnée du roman chinois Au Bord de l'Eau de Shi Nai'an dont elle reprend à la fois l'idée de faire intervenir 108 personnages mais également l'aura d'aventure, de sacrifices et de trahisons qui caractérise cette oeuvre datant du 14ème siècle.
Le scénario du jeu reste, en revanche, totalement inédit. Autour des humains viendront d'ailleurs se greffer d'autres peuples totalement imaginaires, comme les Elfes, les Nains et les Kobolds, autant de races dont seront issues les 108 étoiles de la destinée que le joueur devra tenter de rallier à lui pour découvrir la véritable conclusion du jeu.
A ce sujet, si les conditions requises pour s'entourer de certains alliés sont parfois un peu tordues, cette quête des 108 étoiles se révèle tellement bien intégrée au déroulement de l'histoire principale qu'elle ne devient jamais contraignante. On a en effet toujours la possibilité de partir recruter de nouvelles unités entre deux missions liées à l'avancée du scénario et cela rallonge considérablement la durée de vie qui, autrement, ne dépasserait pas les 20 heures de jeu en ligne droite.
Les 108 étoiles de la destinée
Servi par un character design charmant et travaillé, autant pour les héros les plus charismatiques que pour les figures nettement plus antipathiques, le jeu nous aide un petit peu en distinguant les simples NPC des 108 étoiles par un portrait systématique pour les unités qui peuvent potientiellement être recrutées. Et si le groupe ne peut accueillir que six membres actifs, les autres sont bien présents au QG et jouent un rôle plus ou moins utile selon leur profession (une idée qui sera notamment reprise dans Skies of Arcadia). Tout le monde participe donc directement au développement de cette base, établie sur île, qui devient de plus en plus grande à mesure qu'on avance dans le jeu. On peut même la personnaliser en y ajoutant des éléments décoratifs, à condition de trouver des personnes qualifiées pour ce genre de travaux.
A terme, le QG permet d'accéder à tous les services sans avoir à se déplacer dans les villages, d'où l'intérêt de recruter un maximum de protagonistes via des quêtes annexes. Parmi les plus utiles, on retiendra surtout cette mystique capable de nous téléporter en un clin d'oeil dans n'importe quel lieu déjà visité, cette cartographe qui rajoute une mini-map vraiment salvatrice, ou encore ce brave individu assigné à l'entrepôt qui se charge de stocker les objets qui débordent de notre inventaire. Mais toutes ces fonctionnalités n'étant pas accessibles dès le début, il faut passer le cap des premières heures de jeu pour que le titre devienne réellement agréable.
Car il faut reconnaître que ce premier Suikoden souffre de certaines lourdeurs inhérentes aux anciens J-RPG qui ont de quoi agacer, non seulement sur le plan ergonomique mais aussi par rapport aux contraintes qui sont directement liées aux recrutements. Ainsi, à moins de suivre une soluce pas à pas, on ne peut pas savoir à quel moment un personnage va nous quitter ni quand un autre va s'incruster de force dans l'équipe, et comme on ne nous laisse jamais le temps de récupérer leurs possessions, on doit faire une croix sur des items importants à moins de recharger notre dernière sauvegarde. Le fait de devoir systématiquement revenir au QG pour recomposer son équipe se révèle également fastidieux, et ne parlons pas de l'obligation d'équiper un des six membres de son groupe d'une rune bien précise pour avoir le droit de courir !
Formation et attaques combinées
A l'instar de Breath of Fire, Suikoden se démarque de la majorité de ses concurrents en optant pour des combats en vue de 3/4, via une perspective isométrique suivant laquelle les unités sont disposées en fonction des axes diagonaux. Les décors s'affichent en 3D tandis que les sprites des alliés et des ennemis demeurent en 2D, et si le résultat passe plutôt bien c'est sans doute grâce aux nombreux effets de zoom qui dynamisent un petit peu le déroulement des affrontements au tour par tour. Certes, ça donne des gros plans chargés en pixels bien baveux, mais comme les unités ont plutôt la classe, on ne s'en plaindra pas !
A chaque tour, on détermine l'ensemble des actions de notre groupe avant de lancer l'assaut en même temps que nos ennemis. Selon les unités choisies, il faut répartir judicieusement les membres de son équipe entre l'avant-garde et l'arrière-garde pour éviter que l'un d'entre eux ne se retrouve dans l'incapacité d'attaquer. Car les personnages jouables disposent chacun d'une arme de courte, moyenne ou longue portée qui les rend plus ou moins efficaces selon la ligne de formation sur laquelle ils se trouvent. Il en va de même pour les ennemis qui sont disposés sur deux rangs, les mieux protégés étant bien évidemment ceux situés à l'arrière.
Outre l'attaque, le joueur dispose d'un panel d'actions plutôt classiques (défense, items, magies ou skills via les runes), l'important étant d'inclure dans l'équipe des personnages capables d'unir leurs assauts pour lancer une attaque combinée. Essayez de mettre ensemble le héros et son maître d'armes, tous deux manieurs de bâtons, et vous verrez que la commande "unite" est une option redoutable au sein du système de combat ! Notez que lorsqu'un affrontement se déclenche via une rencontre aléatoire, on peut soit tenter de fuir, soit laisser les ennemis filer si notre niveau est supérieur au leur, soit les soudoyer avec de l'argent. On apprécie en tout cas la manière dont est gérée la distribution d'XP, les niveaux montant très rapidement lorsqu'on a un perso à la traîne pour stagner une fois atteint le cap de la zone dans laquelle on se trouve. Idéal pour mettre à niveau les nouvelles recrues et donc renouveler régulièrement la composition de l'équipe.
Une histoire de runes
Elément symbolique dans la série Suikoden, et qui deviendra donc récurrent par la suite, la notion de rune est véritablement au coeur du système de jeu. En dehors de 27 true runes qui sont indissociables de leurs porteurs, il existe un très grand nombre de runes que l'on peut librement affecter à n'importe quel membre de notre équipe. Ce sont les maîtres des runes qui se chargent de transformer le matériau de base (les cristaux) en des runes bien précises pour les assigner à tel ou tel personnage. Il est bien sûr possible de les faire retirer pour en changer si besoin puisqu'un héros n'a le droit d'en utiliser qu'une seule à la fois. Chaque rune donne accès à une éventail de magies qui s'étoffe à mesure que le personnage dispose de plus de MP et monte de niveau. Si leur nombre d'utilisation est très limité, leurs effets sont souvent ravageurs, surtout lorsqu'il s'agit de sorts de zones (tempête de feu, eau régénératrice), ce qui explique pourquoi ces magies sont aussi coûteuses en MP. Par conséquent, on se retrouve bien souvent à les utiliser le moins possible pour économiser des nuits un peu onéreuses dans les auberges, et on profite plus volontiers des runes qui confèrent à leurs porteurs des skills en nombre illimité (clone rune, boar rune, falcon rune) ou des bonus passifs permanents (hazy rune, prosperity rune, etc.).
Etonnamment, dans Suikoden, seuls les accessoires et les pièces d'armures sont à équiper. Les armes, elles, sont uniques et propres à chaque personnage du jeu. On a vu plus haut l'importance que pouvait avoir leur portée lors des combats, mais il ne faut pas omettre non plus de les faire aiguiser régulièrement contre des sommes de plus en plus importantes pour faire augmenter leur niveau. Détail amusant, elles peuvent même changer de nom lorsqu'elles franchissent certains paliers. Les forgerons ont également la possibilité d'enchanter ces armes à l'aide de fragments de runes liés à certains éléments naturels pour leur octroyer des effets supplémentaires.
Duels et batailles d'armées
Plutôt inhabituelles pour un J-RPG, les batailles d'armées rappellent un petit peu les conflits de Dragon Force dans l'idée, même si leur déroulement se révèle finalement assez limité sur le plan tactique. N'oublions pas que tout au long du jeu se dessine en arrière-plan l'opposition entre l'armée impériale et l'armée de libération. On aura donc à maintes reprises l'occasion de se livrer à de petits bras de fer entre les deux camps, suivant le principe du janken (ou chifoumi). A chaque tour, l'une des deux factions prend le dessus sur l'autre, lui causant de nombreuses pertes si elle a choisi l'action qui l'emporte sur l'autre. L'infanterie est plus forte que les troupes d'archers, qui sont plus forts que les magiciens, qui sont plus forts que l'infanterie. La boucle est bouclée.
Le problème, c'est qu'on ne peut pas vraiment savoir ce que l'armée adverse va faire, il y a donc une part de hasard considérable dans ces batailles. Une quatrième option permet néanmoins de recourir à des unités un peu plus spécifiques, en envoyant par exemple des voleurs ou des ninjas dans le camp ennemi pour anticiper leur prochain coup. Les stratèges s'occupent quant à eux de booster la charge de l'infanterie, tandis que les marchands peuvent tenter de corrompre les soldats adverses pour qu'ils trahissent leur propre armée. Sachant qu'on ne peut utiliser un groupe de héros qu'une seule fois et que le potentiel offensif d'un groupe dépend du nombre d'unités qui le composent, on trouve là encore une bonne raison de partir en quête des 108 étoiles avant la fin du jeu.
Plus rares, les duels sont une variante de ces batailles d'armées, à l'échelle cette fois de deux individus qui ne disposent que de quelques tours pour régler leurs différends. Heureusement, on peut ici se fier à ce que dit notre adversaire juste avant le début du tour. Ses mots trahissent en effet de manière plus ou moins franche son intention d'attaquer, de défendre ou de lancer une attaque désespérée.
Là encore, chaque action l'emporte sur une autre suivant le principe du janken, et il faut essayer d'entrer dans l'esprit de l'adversaire pour anticiper chacun de ses coups. Amusant, même si ces duels restent assez anecdotiques étant donné leur nombre très peu élevé sur l'ensemble de l'aventure.
Je m'arrête là pour ce petit récapitulatif nostalgique dédié au premier volet de la saga Suikoden, en vous rappelant tout de même que le titre profite également de très beaux morceaux musicaux signés par la compositrice Miki Higashino, que l'on retrouvera plus tard à l'oeuvre sur l'OST de Suikoden II.