Pratiquement aussi vieille que le jeu vidéo, la triche a pris de nombreux visages au fur et à mesure des années. Code à taper, modification de la mémoire du jeu ou logiciels pour améliorer les performances, les cheateurs ont eu de multiples moyens de se faciliter la tâche, parfois au grand dam d'autres joueurs. Grandement accepté et même parfois encouragé par les développeurs à ses débuts, le cheat n'est plus vraiment en odeur de sainteté aujourd'hui. Pourquoi ? Voyons cela ensemble.
Comme je le disais en ouverture, tricher dans les jeux vidéo ne date pas d'hier. Cela a toujours fait partie intégrante du secteur et, il faut bien l'avouer, ça n'a pas toujours été pour nous déplaire. Lorsque j'ai commencé à jouer, au milieu des années 80 sur Amstrad CPC, le moyen le plus courant était d'accéder aux codes de programmation du jeu pour les modifier soi-même. Je ne sais pas comment j'arrivais à faire un truc pareil alors que je suis une bille intersidérale en informatique et que j'avais à peine 5 ans, mais c'est fou ce qu'on peut trouver comme ressources quand on veut vraiment finir un jeu ! Bref, on a tous grandi dans cet univers où il y a toujours un moyen, même détourné, d'arriver à son but.
Le plus édifiant, c'est qu'un des systèmes de cheat les plus connus, les codes, a directement été créé par les développeurs. En effet, ces derniers avaient régulièrement besoin de tester leur jeu pendant la production, ce qu'on appelle communément le bêta-testing. Pour éviter d'avoir à lutter pour passer une zone, ils créaient des manipulations spéciales pour s'octroyer plein de vies, des munitions infinies et autres joyeusetés. Et, ô joie, ces manipulations restaient dans la version finale du jeu. Par exemple, pour l'histoire, le fameux Konami Code (Haut, Haut, Bas, Bas, Gauche, Droite, Gauche, Droite, B, A) a été créé par le développeur Kazuhisa Hashimoto lors du développement de Gradius sur Nes parce qu'il trouvait le jeu trop dur. Aujourd'hui, il s'agit sans aucun doute du code le plus connu du jeu vidéo. Pourtant, vous souvenez-vous de la dernière fois que vous l'avez utilisé ? Il y a de grandes chances que cela fasse très longtemps. Pourquoi ? Parce que les codes, comme beaucoup d'autres formes de triche, ne sont plus vraiment en odeur de sainteté... Un tournant qui s'est fait petit à petit.
Années 90, un premier virage
Les premiers à avoir mis le holà à la pratique sont les développeurs eux-mêmes. Si la triche a toujours été grandement acceptée pendant les années 90, les messages in-game qui se moquaient des tricheurs étaient de plus en plus fréquents. Par exemple, dans Mr Nutz, utiliser un code de triche (pourtant créé par un développeur, on le rappelle) change l'option "Start" du menu principal en "Cheater". Certes, on peut maintenant changer de niveau et récupérer de la vie quand on veut, mais le jeu n'oublie pas de nous pointer du doigt pour autant. S'il s'agit ici d'une simple boutade, il y avait des cas plus vicieux. Par exemple, si vous essayez d'utiliser des codes de Descent dans sa suite Descent II, l'énergie et le bouclier de votre vaisseau descendent directement au minimum. Et bim !
Dans d'autres cas, utiliser un cheat vous empêchait d'avancer dans le jeu, c'est notamment ce qu'ont fait les équipes de Rareware pour GoldenEye 007. Si vous utilisez un des cheats déblocables pour finir un niveau, ce dernier ne compte pas comme terminé. Il faut donc finir les niveaux honnêtement pour avancer dans l'aventure. Mais cela n'a rien d'étonnant quand on sait que ce FPS sur N64 mettait grandement en avant la notion d'exploit du joueur. En effet, à l'époque, le seul moyen de débloquer les cheats était de réussir certains niveaux en un temps donné très court, ce qu'on appelle communément un speedrun. En forçant les joueurs à se débrouiller par eux-mêmes, les missions étaient beaucoup plus inoubliables. Réussir le niveau Facility en moins de 2'05" pour obtenir le cheat de l'invincibilité serait-elle encore une épreuve légendaire si elle avait été facilitée par l'utilisation d'autres cheats ? Sûrement pas. Certes, Rareware diffusera des codes plusieurs années après la sortie du jeu, mais l'idée était là. Et même si nous ne sommes là qu'en 1997, cette même idée s'est développée avec l'arrivée des achievements.
A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire
En effet, les achievements sont sans aucun doute une des raisons qui ont fait des tricheurs des parias. Même si de nombreux jeux avaient déjà tenté de faire la chasse aux cheateurs, les développeurs avaient une raison de plus d'obliger les joueurs à finir le jeu honnêtement. Si vous gagnez des points ou trophées afin de pouvoir parader face à vos potes, il faut fatalement s'assurer que vous les avez bien mérités. Voilà pourquoi cheat codes et achievements / succès semblent bel et bien incompatibles. Outre le fait que de nombreux jeux ne proposent pas de moyens directs de tricher, ceux qui le permettent empêchent souvent l'obtention d'achievements dès qu'un cheat code est rentré (comme dans GTA IV), ou dans d'autres cas empêchent le joueur de sauvegarder.
L'effet est double. Tout d'abord, les joueurs se facilitent moins la tâche et prennent donc plus de temps à finir le jeu, ce qui en allonge la durée de vie (ou plutôt ce qui évite de la diminuer). A une époque où la durée de vie d'un jeu tient une importance primordiale dans l'esprit des joueurs, c'est plutôt bienvenu. Mais l'autre raison, qui n'existait pas vraiment dans les années 80 ou 90, c'est l'hyperconnectivité. Aujourd'hui, sur consoles ou sur PC, les succès / achievements / trophées sont bien en vue sur notre compte, quand on ne parle pas directement de leaderboard en ligne. Si un joueur triche, il sera clairement mis en avant alors qu'au final, il ne l'a sans aucun doute pas mérité. Qui n'a pas vu le fantôme d'un mec qui réussit une épreuve de Gran Turismo 5 en seulement quelques secondes parce qu'il a compris comment se faire comptabiliser le tour en passant dans le décor ou en rentrant dans un mur sur la ligne d'arrivée au pixel près ? Car oui, l'utilisation d'un bug est aussi considéré comme de la triche dans ce cas précis. Et à Polyphony Digital de punir les tricheurs et d'effacer les traces sur le classement en ligne, parce que ça fait vraiment tache. Mais si on ne parle ici que de classements, cela prend d'autres proportions quand on prend en considération la plus grosse évolution qu'a subie le jeu vidéo ces dernières années...
En multi, forcément, c'est moins cool
Car la triche, c'est bon quand on joue seul dans son coin. Prenons les jeux de cartes en exemple. Si vous voulez tricher alors que vous faites une réussite en solo, tout le monde s'en fiche. C'est votre partie après tout. Par contre, si vous trichez au poker, que vous ayez parié de l'argent ou pas, c'est là que vous risquez de vous faire des ennemis. Dans le jeu vidéo, il n'y a pas de raison pour que cela marche différemment. Afin que chaque joueur puisse jouir d'un confort de jeu idéal en ligne, il ne faut pas qu'il soit en face d'un adversaire arbitrairement avantagé. Online, la triche est tout simplement prohibée. Et comme le jeu en ligne est maintenant une grande part du jeu vidéo, il explique presque à lui seul pourquoi tricher n'est plus du tout accepté. Malheureusement, si les développeurs ne sont pas assez suicidaires pour caser des cheat codes en plein dans un MMO, les joueurs s'en donnent à coeur joie en créant de multiples moyens de tricher.
Tellement que la lutte en devient complexe et les joueurs plongent dans la paranoïa. Le mec qui vient de vous headshot noscope à 80 m est-il vraiment bon ou a-t-il un aimbot ? Et celui qui sait toujours quand vous arrivez, a-t-il le nez fin ou plutôt un gros wallhack ? Les bots sur MMO, l'anti brouillard de guerre sur les jeux de stratégie, rares sont les genres à être épargnés. Les éditeurs et développeurs travaillent aujourd'hui d'arrache-pied pour chasser ces vils cheaters qui pourrissent l'ambiance en ligne à grands coups de bannissements temporaires et définitifs, de Punkbuster (FPS principalement), de VAC (Valve) ou encore de Gameguard (MMO asiatiques notamment).
Même le simple fait de quitter une partie avant la fin (bizarrement quand on était à deux doigts de perdre) est souvent considéré comme une façon de tricher lorsque cela ne permet pas à l'opposant de voir sa victoire comptabilisée alors qu'elle semblait acquise. En fait, en ligne, on considère carrément comme triche tout comportement qui nuit au plaisir de jeu des autres joueurs, peu importe si on n'a au final pas vraiment enfreint les règles initiales de gameplay. On peut citer comme exemple le killstealing dans les MMO qui consiste à tuer un monstre entamé par un autre joueur. Si c'est totalement accepté dans pas mal de jeux aujourd'hui, ce fut clairement proscrit dans d'autres comme Ragnarok Online par exemple.
Tu veux être badass ? Passe à la caisse
C'est une raison qu'on aura moins senti venir, mais qui est pourtant une des raisons majeures de l'absence de cheats dans les jeux aujourd'hui. Pourquoi offrir des possibilités énormes aux joueurs en tapant un simple code alors qu'on peut le faire payer ? C'est une question qui s'est rapidement imposée aux éditeurs avec l'arrivée massive des contenus payants. L'exemple le plus évident est le free-to-play. S'il y avait un code pour avoir des mouvements infinis dans Candy Crush Saga ou une énergie infinie dans Terra Battle, aucun joueur ne passerait à la caisse, mettant complètement en l'air le modèle économique du jeu principalement basé sur sa boutique. Mais même les jeux payants proposent parfois des armes spéciales ou des costumes aux pouvoirs dévastateurs à trois ou quatre euros... Il ne faut pas se leurrer, vous achetez une sorte de cheat. Et quand on y pense, c'est souvent cher payé.
Toutefois, il y a un hic. En effet, cette méthode de contrôle est parfois en contradiction avec la partie précédente, le jeu en ligne. Je vous disais que la triche était prohibée online parce que les joueurs ne veulent pas avoir l'impression d'affronter des adversaires avantagés. Or l'accès à une boutique avec des items spéciaux donne justement des avantages aux joueurs qui paient, alors que les autres se sentent lésés. Ce n'est pas de la triche car cela fait partie intégrante du jeu, mais ça n'en est pas moins frustrant C'est par exemple le cas du MMO ArcheAge, dans lequel il faut passer par la boutique pour être propriétaire d'un terrain. Notons tout de même qu'à force d'entendre la grogne des joueurs, les éditeurs calment de plus en plus le jeu en se contentant d'offrir des bonus esthétiques, mais il n'est pas rare de voir encore des avantages à la forge ou au gain d'xp dans certains MMO.
La triche, c'est fini ?
Une chose est sûre : tant qu'il y aura des joueurs, il y aura des cheaters. Ou au moins des joueurs qui essaient. Mais si on est tous d'accord pour dire qu'il faut proscrire toute tricherie en ligne (et ceci même si une partie d'entre vous a au final déjà triché en ligne), qu'en est-il de ceux qui veulent juste s'amuser seuls dans leur coin ? Ils ne font de mal à personne après tout... N'auront-ils plus cette chance de faire Bas, R, Haut, L, Y, B ? Rassurez-vous, de nombreux développeurs pensent toujours à vous ! Bien qu'il soit un moyen de triche antédiluvien, le cheat code reste aussi le plus tenace, notamment car il fait pour beaucoup partie de l'histoire du jeu vidéo. De nombreux développeurs continuent de lui rendre hommage dans des jeux récents comme Shovel Knight ou Pillars of Eternity. Certes il ne faut pas trop compter sur l'obtention de succès, mais on ne peut pas tout avoir ma bonne dame !
Bon allez, pour finir, je vous laisse avec une question qui a déjà causé quelques renversements de tables, juste pour rire : regarder dans l'écran des adversaires dans un FPS en écran splitté, c'était de la triche ou pas ?