Portrait est une rubrique qui vise à mettre en avant le parcours d'un artiste du jeu vidéo, et à comprendre son approche dans le processus créatif. L'idée est de pouvoir valoriser le travail de recherche effectué en amont de tout développement et qui servira de pierre angulaire pour définir l'ambiance et le ton général d'un jeu.
Muni d'un bac en arts appliqués, Ronan Coiffec a suivi une formation de graphiste dans la communication visuelle – un cursus trop axé sur la publicité à son goût, mais qui lui permet toutefois de faire ses premières armes dans le design et d'intégrer un studio de développement de jeux sur téléphones portables. Nous sommes en 2004, le jeu sur mobile est encore loin de ce qu'il est actuellement et le job consiste à composer avec les limites d'un minuscule écran. Aujourd'hui, on appelle cela du pixel art, mais ce n'est pas ce que Ronan souhaite faire. En fait, il ne tient surtout pas à se retrouver enfermé dans le genre avec l'étiquette de simple graphiste sur téléphone mobile. Il n'a pas envie non plus de se limiter à la 2D.
Il tente alors sa chance à l'école Estienne à Paris, aussi réputée que sélective, où il obtient une place pour suivre une formation spécialisée dans le cinéma d'animation 3D. Son stage sera fait au sein d'Eden Games alors en plein travail sur Alone in the Dark 5. La mission initiale consiste à filer un coup de main sur les décors du jeu mais se transforme en offre d'emploi qui confronte Ronan à une lourde décision. Conscient de la chance qui lui est présentée de pouvoir entrer pleinement dans le jeu vidéo, il quitte l'école et intègre le studio lyonnais. Décision risquée, mais payante puisque les années passées chez Eden lui permettront de toucher à une large palette de métiers couvrant différents aspects de la production de jeu vidéo.
Toujours chez Eden, ses multiples talents lui permettent de rejoindre une petite équipe chargée du remake du tout premier Alone in the Dark. Toutefois, les ventes décevantes du cinquième épisode donnent des frayeurs à Atari qui annule le projet. L'équipe d'Alone 1 est donc transférée sur une toute autre mission, elle doit désormais s'occuper de la partie casino du jeu de course Test Drive Unlimited 2. Pas vraiment ce à quoi aspirait le graphiste aux multiples casquettes qui quitte donc Eden. Après un passage chez Ubisoft sur Les Lapins Crétins, puis chez Dontnod sur Remember Me, Ronan décide de sauter le pas. Avec deux associés, il monte Osome Studio et revient au genre survival en imaginant White Night, sorti le 4 mars sur PS4, Xbox One, PC, Mac et Linux.
Sans subir la pression externe d'un éditeur (Activision qui édite White Night est arrivé tard sur le projet), et avec l'ambition de faire "un Alone in the Dark à nous", le directeur créatif est libre d'imaginer le jeu qu'il veut et d'y coller l'univers visuel qu'il souhaite. L'esthétique de White Night puise ainsi dans le cinéma et plus précisément dans le cinéma fantastique allemand du début du 20ème siècle. Ronan Coiffec cite par exemple Nosferatu de Friedrich Whilheim Murnau ou Le Cabinet du Dr. Caligari de Robert Wiene. Il dit également s'être inspiré par ce qui a été fait dans le film d'animation Peur(s) du noir.
Etonnamment, si White Night hérite d'une forte identité visuelle, le dessin tient une place extrêmement fonctionnelle durant la phase de production chez OSome. Ronan Coiffec indique que les graphismes sont plus un outil qu'autre chose pour lui et représentent une manière rapide de communiquer ses idées aux personnes qui gravitent autour du projet. Ainsi, les croquis qu'il griffonne sont là pour évoquer une ambiance, chercher le bon cadrage ou simplement trouver des formes.
Faire de beaux trucs à encadrer n'a plus de sens pour moi. Ca me fait perdre du temps. En trois traits, je peux exprimer ce dont j'ai besoin.
Cela n'a pas toujours été le cas et, durant son parcours, Ronan est bien passé par ces artworks que l'on peut encadrer, comme il les appelle. Chez Eden par exemple, où "il y avait plus de monde, on va aller très loin dans des dessins de production très réalistes pour que les graphistes ne perdent pas de temps ensuite à savoir quoi mettre sur les murs."
Dans les grosses boîtes, ces dessins ont un rôle important à jouer pour la cohésion de l'équipe, mais aussi pour tout ce qui est marketing. Quand on travaille avec un éditeur, c'est important d'avoir des choses finales et propres à proposer.
Le niveau de détails dépend en grande partie de la taille de l'équipe. Pour OSome, il n'y a personne à convaincre. L'idée est déjà validée dans ma tête, je dois simplement la communiquer à quelques personnes.
Si OSome est effectivement une petite équipe, entourée de quelques collaborateurs indépendants, il lui a tout de même fallu décrocher un budget pour White Night. Comme beaucoup, OSome a donc présenté un dossier devant la CNC. Et pour convaincre le centre national du cinéma et de l'imagerie animée, "il a bien fallu faire des trucs propres, c'est toujours plus agréable de voir un dessin poussé. Mais ça m'intéresse moins", confesse Ronan Coiffec. "J'adore dessiner, mais je ne suis pas vraiment fan [des dessins de production trop poussés]… Je préfère rester dans la rapidité du trait, dans la recherche, dans le brainstorming coup de crayon."