Tout est question de mise en scène. C'est vrai au théâtre, c'est vrai au cinéma, c'est vrai dans la photographie, et c'est aussi vrai dans le jeu vidéo. Si vous voulez que les joueurs en prennent plein les yeux, il faut soigner votre mise en scène et leur offrir des expériences marquantes. Dans ce sens, Valve a tout compris. Plutôt que de dévoiler un casque de réalité virtuelle et de présenter une série de démos comme ce que font déjà Oculus, Morpheus, OSVR et d'autres, Valve a choisi d'aller un cran plus loin en présentant un casque de réalité virtuelle et une série de démos partageant toutes ce petit quelque chose que l'on appelle la mise en scène.
Un casque, deux pads, deux stations
Très clairement, pour Valve, la réalité virtuelle ne s'arrête pas à un écran 3D plaqué devant les yeux capable de berner le cerveau pour lui faire croire qu'il découvre un autre monde. Elle ne s'arrête pas non plus à l'intégration de gestes comme ce que fait Sony avec Morpheus et le PS Move. Pour Valve, la réalité virtuelle englobe tout cela et propose aussi une certaine mobilité dans l'espace, la possibilité de marcher autrement qu'en poussant un stick, et finalement l'option de se promener dans les mondes que l'on découvre autour de soi. Peut-être qu'Oculus, Sony et les autres partagent les mêmes ambitions et qu'ils sont tous capables d'en faire autant, mais l'histoire retiendra qu'au final, c'est Valve qui le premier aura choisi de soigner sa mise en scène, et de mettre en avant le nécessaire afin d'immerger encore plus les joueurs dans la réalité du virtuel.
Valve s'est associé au constructeur HTC pour mettre au point Steam VR, sa première solution de Réalité virtuelle comprenant un casque, deux contrôleurs mais aussi deux spots lasers pour assurer la reconnaissance dans l'espace. L'ensemble sera commercialisé en pack dans le courant de l'année à un prix encore non annoncé. Aujourd'hui, j'ai pu essayer la version Devkit qui sera donc déployée aux développeurs d'ici quelques mois et qui comprend un design non définitif et des contrôleurs filaires. La version finale aura quant à elle droit à des contrôleurs sans fil ; seul le casque sera relié par un unique câble. Un mot sur les contrôleurs. Ils possèdent chacun un track pad cliquable similaire à ce que l'on trouve sur le Steam Controler et sur lequel vient se poser le pouce de chaque main. Une gâchette accueille l'index, tandis que deux boutons latéraux peuvent être activés en serrant l'objet. L'ensemble se montre particulièrement intuitif, mais également parfaitement repéré dans l'espace grâce aux nombreux capteurs présents sur le haut de chaque appareil.
Le développeur me tend chaque contrôleur (...) je suis surpris de constater que j'arrive à les saisir avec la plus grande des aisances. Je n'ai pas à les chercher ni à tâtonner pour les trouver puisqu'ils sont là
En me rendant sur le stand de Valve de la GDC, j'étais loin de me douter que j'allais vivre l'une de mes plus grandes expériences de joueur. Un développeur Valve m'accueille dans une salle pratiquement vide. En son centre, le casque et les contrôleurs trônent sur un tabouret tandis que les capteurs lasers sont stratégiquement posés dans deux coins de la pièce. On m'équipe et me voilà prêt à embarquer dans une série d'expériences et de démos, certaines purement contemplatives, d'autres plus interactives. Toutes partagent cependant une constante : je peux me déplacer pour évoluer librement dans l'espace qui s'ouvre devant mes yeux. Grâce aux contrôleurs, je peux aussi interagir dans ces nouvelles dimensions, et force est de constater que tout cela se fait extrêmement naturellement dès la première seconde d'utilisation. Avant même que les démos ne démarrent, alors que j'ai déjà le casque bien en place devant les yeux, le développeur me tend chaque contrôleur. Je ne peux pas voir les contrôleurs dans la réalité, mais je vois leur représentation dans le monde virtuel. Avec assurance, le dév me demande de les attraper et je suis surpris de constater que j'arrive à les saisir avec la plus grande des aisances. Je n'ai pas à les chercher ni à tâtonner pour les trouver puisqu'ils sont là, devant mes yeux, du moins c'est ce que mon cerveau perçoit.
Conquis en une démo
La séance de démos débute par une plongée aquatique. Je suis sur une épave de bateau et j'observe les poissons, petits comme grands passer autour de moi. De la main, il est possible de les balayer pour les voir nager plus loin. Tandis que je me promène sur le petit ponton, je peux me pencher par-dessus bord et observer les tréfonds sous-marins. Mon regard est attiré par une ombre qui bloque le soleil. Je relève la tête. Si ce n'est qu'une raie qui suit paisiblement son chemin, j'en suis persuadé, un requin fera son apparition et je me prépare mentalement à me retrouver nez à nez avec la bête. Mais le requin n'est jamais venu. A la place, une baleine bleue arrive et s'arrête à moins d'un mètre de moi pour m'observer de son œil immense. Après m'avoir suffisamment dévisagé, elle décide de suivre d'autres courants, je me trouve alors un peu stupide à reculer de quelques pas pour éviter sa nageoire, et encore plus idiot lorsque je m'accroupis pour ne pas me faire expulser par sa queue… L'immersion est totale. C'est bon Valve, la session peut s'arrêter là, je suis déjà conquis.
Mais la session est loin d'être terminée. J'enchaîne sur une petite simulation de cuisinier rigolote comme tout. La recette inscrite sur un tableau face à moi, il me faut trouver les ingrédients dans le frigo ou sur les comptoirs tout autour de la pièce, avant de les placer dans la marmite et de finalement envoyer le plat en salle. Je casse des œufs, attrape des champignons, referme un sandwich, bref, je me prends pour un petit chef avant de troquer ma toque pour un pinceau d'artiste. La démo suivante est fascinante puisqu'elle me permet de peindre en trois dimensions tout autour de moi. Le trackpad sous mon pouce droit permet de choisir la couleur, tandis que le contrôleur gauche offre une palette d'outils pour modifier le coup de pinceau. Après quelques gribouillis initiaux, je prends finalement mon temps pour sculpter une œuvre avec grande minutie, évoluant dans la pièce comme un peintre tridimensionnel certain de son art, mais à la recherche du meilleur angle.
La démo suivante revient à quelque chose de plus contemplatif. Il s'agit tout simplement de me projeter dans les données de Google Earth, d'abord dans les rues de San Francisco avec des buildings qui m'arrivent à la hauteur des cuisses, puis au-dessus du grand canyon, au sommet de l'Himalaya, et même dans l'espace où je peux me déplacer pour observer la Terre sous tous les angles, pour un peu, je me prendrais presque pour un Bugenhagen qui observe l'univers dans Final Fantasy 7.
La meilleure expérience VR du moment ?
L'expérience est absolument fascinante et à dire vrai, il y a de grandes chances que tout cela puisse fonctionner sur les autres casques de réalité virtuelle. Cependant, le fait de se déplacer réellement change absolument tout. Cela propulse même l'expérience plusieurs crans au-dessus de tout ce que j'ai pu voir et expérimenter jusque-là. Evidemment, les déplacements sont restreints par les limites physiques de la pièce dans laquelle on se trouve. D'ailleurs, le système gère cette contrainte en faisant apparaître un mur virtuel en fil de fer dès que l'on se rapproche de trop près du vrai mur (voire à ce sujet "Lighthouse : Le tracker de réalité virtuelle de Valve"). A priori, il n'y a donc aucun risque de se cogner. Mais revenons à nos démos…
Comme un coup de grâce dans cette succession de démos déjà largement convaincante, Valve a encore une autre carte à jouer, une dernière expérience qui vient immédiatement faire vibrer ma fibre de joueur. Me voilà à présent dans l'univers de Portal. Oui, je suis littéralement transporté dans le monde de Portal. Une voix synthétique me donne quelques directives et me permet de comprendre que ma mission consiste à réparer des robots. Dans mon atelier, on me dit d'ouvrir un tiroir. Je me saisis de la poignée, et tire en reculant au passage de quelques pas. Plus tard, il faut que j'ouvre le portail derrière moi. J'y découvre alors les deux robots de Portal 2 en piteux état. L'un d'eux s'approche de moi ; il a pratiquement ma taille. Ce n'est plus le petit robot avec lequel je me suis amusé sur l'écran de mon Mac. Ici, c'est un "vrai" robot, qu'il me faut remettre en état de marche en manipulant quelques boutons, en faisant tourner des vis, etc.
Puis, elle arrive. D'abord sa voix, ensuite son œil, gigantesque. GlaDOS surgit. Elle aussi est immense. Bien plus grande que ce que je pouvais imaginer. Le face-à-face est intimidant. GlaDOS fait des siennes et certaines dalles s'ouvrent sous mes pieds. Une sensation de vertige s'empare de moi. Je recule par sécurité, mais je ne peux m'empêcher de regarder en bas, en repensant à tout ce que j'ai déjà vécu dans Portal 2 et en imaginant ce que la réalité virtuelle pourrait apporter à la série si un épisode entier était bâti autour de cette technologie. La démo s'arrête et il n'y a cette fois plus de rappel en stock.
En l'espace de quelques minutes, j'ai eu l'impression de redécouvrir totalement le concept de réalité virtuelle, de le percevoir avec un œil nouveau, bien excité par toutes les possibilités que cela pourrait offrir. Ironiquement, l'appareil de Valve ne m'a pas paru particulièrement plus abouti que ses concurrents. L'image n'est pas forcément la plus définie qui soit non plus. Quand bien même, Valve est parvenu à redéfinir pour moi ce que la réalité virtuelle est capable de faire. Tout cela en ajoutant "simplement" la liberté de mouvement. Simplement quelques pas dans un sens ou dans l'autre, au milieu d'une pièce pourtant vide. La magie de la mise en scène…