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On se souvient tous de ces deux Florentins debout sur le clocher d’une église, le regard porté vers leur avenir tandis que le nom Assassin’s Creed 2 apparaissait à l’écran. On se rappelle aussi de ce sentiment de toute puissance que l’on a ressenti aux commandes d’un 47 décidé à en découdre jusqu’au cœur même de la Maison Blanche. Qu’ont ces deux scènes en commun ? Une musique inoubliable, qui à elle seule évoque immédiatement toute leur intensité. Aujourd’hui, on s’intéresse à Jesper Kyd, un compositeur de talent qui a marqué l’histoire du jeu vidéo moderne. Hitman, Assassin’s Creed ou encore Borderlands sont autant de titres qui ont bénéficié du génie du compositeur danois
Jesper Jakobson Kyd est né à Hørsholm, Danemark, le 3 février 1972. Il débute l’apprentissage de la musique par le piano, la guitare et le chant. Il s’intéresse par la suite à la composition par ordinateur et obtient un Commodore 128 qui lui permet de réaliser ses premières mélodies. Il s’investit dans la scène démo et a l’occasion de travailler sur quelques projets, environ une cinquantaine durant l’année 1990. Il travaille ensuite pour des véritables jeux vidéo, le premier étant U.S.S. John Young (Matai). Après quoi il s’associe avec des développeurs pour fonder le studio Zyrinx. Ensemble, ils créeront les jeux Subterrania, Scorcher et Red Zone. Suite à la faillite de Zyrinx, Kyd reste vivre à New York et devient compositeur indépendant. Il aura encore l’occasion de travailler avec ses anciens collègues retournés au Danemark, qui ont pendant ce temps fondé le studio IO-Interactive.
L’an 2000, la consécration
Le tournant de la carrière de Jesper Kyd se situe en 2000. Il travaille dans un premier temps sur MDK2 et Messiah et s’ouvre ainsi à un public plus large. Mais c’est aussi l’année de sortie de Hitman : Codename 47. Kyd utilise tout un panel d’instruments et de bruitages originaux, mixés par ordinateur. Il donne une ambiance particulière au jeu, à la fois sombre et rythmée. Sa patte artistique est désormais reconnaissable. Deux ans plus tard, il remet le couvert avec Hitman 2 : Silent Assassin. Cette fois il se fait accompagner de l’orchestre symphonique de Budapest et signe des œuvres d’une intensité exceptionnelle. Certaines d’entre elles n’ont rien à envier à des musiques de film, notamment celle des menus (Main theme) et 47 makes a decision. Considéré par beaucoup de fans comme étant le meilleur jeu de la série, la musique grandiose de Kyd n’est certainement pas étrangère à ce phénomène. Il travaille sur les deux opus suivants mais ne collabore plus avec IO pour la suite de la série Hitman.
L’apogée
En 2003, sort Freedom Fighters, toujours développé par IO. Kyd signe encore une BO captivante qui sort de l’ordinaire, reposant sur une large évocation de thèmes tels que la menace soviétique, la révolution ou encore la liberté. En 2006, il finit de travailler sur la licence Hitman, avec Blood Money, et laisse derrière lui des musiques qui resteront dans les annales du jeu vidéo. L’année suivante voit la naissance de la série Assassin’s Creed et le début d’une collaboration entre Jesper Kyd et Ubisoft. Il prouve ainsi qu’il est capable de s’adapter à toute époque. Le jeu plonge le joueur en pleine croisade et ce sont des thèmes médiévaux, empreints d’un certain exotisme et ponctués de prières en latin, murmures et autres bruitages que l’on entend tout au long du jeu. Cette même année est prolifique pour le compositeur puisqu’il travaille également sur Kane and Lynch (IO) et Unreal Tournament III (en collaboration avec Rom Di Prisco). En 2009, il débute un autre partenariat, avec Gearbox cette fois, pour le premier opus de la série Borderlands. Pour ce dernier jeu, sorte de Far West futuriste et totalement déjanté, plusieurs compositeurs (dont Raison Varner en tant que superviseur et bien entendu Jesper Kyd) collaborent pour créer des musiques d’ambiance, quelque peu légères et décalées. Kyd s’est attaqué aux compositions que l’on peut entendre dans les larges zones du jeu comportant des grosses phases d’exploration. 2009 c’est aussi l’année durant laquelle sort Assassin’s Creed II. Jesper Kyd se retrouve de nouveau aux commandes et donne véritablement le ton du soft avec ses compositions hors pair. C’est à cette occasion qu’il crée l’une de ses musiques les plus connues (si pas LA plus connue) : Ezio’s family.
Durant les années qui suivent, il travaille surtout sur les séries Assassin’s Creed et Borderlands, signant dernièrement les œuvres de Borderlands : The Pre-Sequel. Il compose de temps en temps pour d’autres jeux, comme Darksiders II en 2012 et State of Decay en 2013. Il a aussi collaboré pour des séries télévisées, notamment The Resistance et Métal Hurlant Chronicles. Jesper Kyd est clairement rentré au panthéon des compositeurs, au même titre que Jeremy Soule et Jason Hayes.
Philosophie
Jesper Kyd a recours à des techniques fort diverses lorsqu’il compose : musique électronique, bruitages d’ambiance, paroles murmurées et instruments d’époque. Il n’est pas rare qu’il fasse un mix de tout cela au sein d’une même musique. Mais avant tout, il est respectueux des thèmes et époques abordés dans les jeux pour lesquels il travaille. Si l’on prend le cas d’Assassin’s Creed premier du nom, chacune des trois villes principales (Jérusalem, Damas, Acre) possède ses propres thèmes. Acre Underworld est un melting-pot de sons en tous genres avec une prédominance de prières en latin et de sons de cloche. Le tout rappelle instinctivement la culture chrétienne. A l’inverse, Spirit of Damascus met l’accent sur les sonorités orientales. Dans le jeu, Acre est une ville aux mains des croisés tandis que Damas ne subit que peu ou pas les affres de la troisième croisade. Quant à Jérusalem, son thème principal évoque les deux : une ville sainte en plein Proche-Orient, la rencontre et la confrontation entre deux religions différentes. Pour ce faire, un chœur entonne des prières latines sur un fond de cordes persanes et de notes de piano. Enfin, l’ambiance donnée au village des Assassins (Masyaf) est nettement plus mystérieuse. Son thème est une sorte de chant tribal, poursuivi par un solo féminin, sur un fond sonore relativement angoissant. Cette dualité entre légèreté et instrumental inquiétant sera d’ailleurs réutilisée par Jesper Kyd pour d’autres compositions de la série, notamment l’un des thèmes les plus mystérieux d’Assassin’s Creed II, The Plague.
https://www.youtube.com/watch?v=Da4OGaXlx80Jesper Kyd essaie toujours de composer dans le but d’enrichir l’expérience du joueur par une approche non conventionnelle. Sa musique ne s’inscrit pas forcément dans le cadre de l’action du jeu mais elle renforce toujours l’ambiance globale du soft. Ainsi, Venice Rooftops (Assassin’s Creed II) est une musique de course, qui évoque pourtant davantage l’héritage de la famille Auditore par la réutilisation du thème Ezio’s family. Dans un autre genre, le but premier de Vegas (Hitman Blood Money) n’est certainement pas d’évoquer l’ambiance festive que l’on peut trouver dans la célèbre ville aux casinos. L’utilisation d’échos dans un premier temps évoque la solitude dont fait preuve 47.
https://www.youtube.com/watch?v=Nk3OTN1YXPALa musique de Jesper Kyd est, on l’a vu, empreinte d’une patte artistique caractéristique. Piochées tantôt dans l’électronique, tantôt dans le bruitage pur et simple ou encore la chorale la plus pure, ses compositions n’ont pas pour unique vocation d’appuyer l’action du jeu. Elles sont bien plus que cela, elles insufflent une ambiance mémorable au soft. On ne peut donc qu’espérer que Kyd continue sur cette lancée…
Site officiel de Jesper Kyd