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L'arrivée de la rubrique "Cross Media" sur Jeuxvidéo.com peut apparaître comme une étrange particularité, voire même une erreur. Sans rentrer dans le débat de la volonté économique, nous parlerons de la légitimité artistique et médiatique d'une telle rubrique. Il est important de garder en tête que le jeu vidéo n'a jamais été un objet parfaitement cohérent, au contraire.
Avant d'être un produit de consommation, un loisir ou même un art, le jeu vidéo est avant tout un média. Et, comme son ancêtre le cinéma avant lui, il est né d'une interaction entre différents arts et différents supports de communication. Pour synthétiser, le jeu vidéo n'est pas issu du néant et de la pureté imaginative d'un penseur éclairé, mais bien d'un conflit d'identité de plusieurs médias.
Jeu vidéo et intermédialité
L'intermédialité pourrait se définir comme "une convergence de pratiques artistiques et médiatiques diverses au sein d'un même dispositif" (Benjamin Lesson). En ce sens, le jeu vidéo est un objet pétri d'intermédialité : on y retrouve les codes narratifs du cinéma, les formes esthétiques de la peinture ou du dessin et la volonté émotive de la musique. En mobilisant toutes ces ressources artistiques et communicationnelles, le jeu vidéo nous parvient comme une entité unique. Toutes ces identités conflictuelles participent à la richesse de notre loisir préféré.
Prenons pour exemple la manière dont le studio Telltale parvient, avec The Walking Dead, à lier la logique narrative du cinéma et l'interactivité du jeu vidéo. A l'aide d'un gameplay basé sur les QTE ainsi qu'une narration forte et exigeante, le joueur est lui-même dans une position instable entre action et contemplation. La frontière entre ces deux médias est tellement fine avec ce genre de productions qu'il devient difficile de poser une limite claire et univoque. Alors, doit-on parler de jeu vidéo minimaliste ou de film interactif ? A vous de répondre.
Jeu vidéo et crossmédialité
On parle de "crossmédia" pour désigner un ensemble de produits et productions dérivés d'une oeuvre principale. D'une manière imagée, on peut imaginer l'oeuvre crossmédia comme l'épicentre d'une dynamique économique à partir de laquelle on produit des jouets, des films, des séries, etc., toute une gamme d'items culturels. Les adaptations de films en jeux vidéo (Superman, Batman), les adaptations de bandes dessinées en jeux vidéo (Dragon Ball, Naruto), les adaptations de jeux de société en jeux vidéo (Monopoly), tout ceci représente la notion de crossmédialité. Réciproquement, le jeu vidéo peut être à l'origine du crossmédia.
Le cas de Minecraft est l'exemple le plus frappant de ces dernières années. Il s'est créé, autour de l'oeuvre maîtresse qu'est le jeu vidéo, plusieurs produits dérivés comme des jouets, des BD, des t-shirts et on parle même d'un film à venir prochainement. Bien sûr, il s'agit de productions officielles, mais les oeuvres des fans ne sont pas en reste et il n'y a qu'à voir toutes les créations amateurs sur YouTube pour s'en convaincre. Cette dynamique économique et artistique participe à faire de Minecraft une oeuvre crossmédia.
Jeu vidéo et transmédialité
Le cas d'une oeuvre transmédia est plus compliqué. D'une part, il s'agit d'une notion récente dont les enjeux sont encore débattus au sein des communautés de chercheurs et, d'autre part, il s'agit - en théorie - d'une stratégie commerciale et artistique émanant des entreprises. Par souci de clarté, nous traiterons cette notion comme émanant d'une volonté générale.
Une oeuvre transmédia se distingue par son caractère expansif. Contrairement au crossmédia, il est question d'offrir un ensemble de productions semi-autonomes qui s'écartent de l'oeuvre maîtresse. "L'intérêt du transmédia réside dans la découverte progressive d'un univers diégétique (fictionnel) à travers des expériences esthétiques distinctes (cinéma, jeux vidéo, BD)" (Benjamin Lesson). Pour simplifier, on ne va plus parler "d'oeuvre" au sens strict, mais "d'univers fictionnel" au sens large. Chaque production va participer à repousser les limites connues d'un univers fictionnel précis, à travers différents médias.
Pour illustrer cette notion, nous prendrons l'exemple de Star Wars. Bien qu'à sa création il ne s'agissait pas d'une oeuvre transmédia, la franchise est devenue un espace de création dont les productions périphériques se sont déclinées sur des multitudes de médias différents (romans, bandes dessinées, films, séries et bien sûr jeux vidéo). Quelle est la différence avec le crossmédia dans ce cas ? Eh bien c'est très simple : chaque oeuvre (ou presque) a permis d'étendre l'univers de Star Wars en intégrant de nouveaux personnages, de nouvelles temporalités, de nouvelles péripéties, c'est pour cela qu'on parle d'"Univers Etendu"'. En s'écartant des films, chaque production a utilisé les caractéristiques de son support médiatique pour enrichir l'expérience globale du spectateur.
L'une des caractéristiques de l'oeuvre transmédia, c'est la possibilité de pénétrer l'univers de la franchise par plusieurs endroits. Les plus jeunes d'entre vous ont peut-être connu Star Wars à travers les jeux vidéo ou la série animée The Clone Wars, contrairement aux plus vieux qui ne jurent que par les films (la vraie trilogie, hein). Ainsi, le jeu vidéo Star Wars : Le Pouvoir de la Force n'est pas considéré comme une adaptation mais comme un appendice de l'Univers Etendu.
Conclusion
Loin de moi l'idée de porter l'étendard de Jeuxvidéo.com contre vents et marées dans un élan de fidélité aveugle. Néanmoins, il me semblait important d'observer ce qui sous-tend l'apparition d'une rubrique "Cross Media" et sa légitimité éditoriale sur un site de jeu vidéo. La volonté économique, les influences concurrentielles, la pression managériale, autant de facteurs qui peuvent intervenir dans une décision éditoriale et qui peuvent justifier des raisonnements incompréhensibles. Cette rubrique n'en est pas un.
A présent, il n'appartient qu'à Jeuxvidéo.com et à nous d'enrichir cette rubrique avec des contenus pertinents (ce qui n'est pas le cas d'une news sur un film sans rapport avec le jeu vidéo) et des réflexions innovantes sur une notion qui devient de plus en plus utilisée par les industries culturelles, notamment par les éditeurs de jeux vidéo.