Pour Dragon Age Inquisition, les mots d'ordre semblent être ouverture et exploration comme nous l'explique Mike Laidlaw. Le directeur créatif du jeu au sein de BioWare répond à nos questions sur le troisième épisode de la saga, un volet qui aura la lourde tâche de reconquérir le cœur des fans après un Dragon Age II en demi-teinte.
jeuxvideo.com > Dragon Age Inquisition utilise le moteur Frostbite 3. Qu'est-ce que ce moteur apporte à la série ?
Mike Laidlaw : C'est le jour et la nuit depuis que nous utilisons la technologie Frostbite. Ce moteur apporte principalement deux éléments majeurs pour le jeu. Tout d'abord, l'aspect visuel. Les graphismes sont sans commune mesure avec ce que nous avions auparavant. Les premiers extraits diffusés sont plutôt anciens puisqu'ils utilisaient le moteur de Dragon Age 2 que nous avions retouché notamment au niveau des lumières. Mais il leur manquait un aspect haut de gamme et tous les cool shaders qu'il est possible d'avoir aujourd'hui. Frostbite nous a permis d'améliorer l'aspect visuel de notre jeu en apportant plus de détails et en rehaussant tout simplement le niveau de qualité générale. Le moteur apporte aussi une gestion plus poussée des lumières qui peuvent désormais être gérées dynamiquement, ce qui est important pour les visuels, mais aussi pour le gameplay.
L'autre grand changement pour nous, c'est que le moteur Frostbite nous permet de créer des espaces potentiellement gigantesques par rapport à ce que nous pouvions faire jusqu'alors. Pas tous ne le seront, mais nous avons la possibilité de le faire. C'est un moteur qui a été développé pour être capable de gérer des jets volant au-dessus de gars qui se battent au sol, donc il est largement capable de gérer d'immenses cartes. C'est une opportunité que nous avons voulu saisir. En tant que groupe, et même en tant que compagnie, nous voulons retrouver ce sens de l'exploration. Ce ne sera pas une composante dominante de notre jeu, mais quand vous avez un monde fantastique et épique comme le nôtre, c'est important d'avoir le sentiment de pouvoir découvrir ses mystères. Par exemple, en longeant le rebord d'une falaise, c'est important que vous puissiez vous demander ce qu'il y a au fond du ravin. Si votre monde est trop petit, vous ne pourrez pas dévoiler ce qu'il y a en contrebas. Ou du moins, pas d'une manière naturelle, et cela se sentira.
Les grands espaces nous permettent d'étaler les choses pour donner un sentiment de voyage, pour vous autoriser à vous perdre (dans le bon sens du terme) et de profiter de l'expérience. Et bien sûr, les visuels participent pleinement à cela.
jeuxvideo.com > Est-ce que le moteur a du coup aussi influencé l'histoire du jeu ?
Mike Laidlaw : Il n'a pas influencé l'histoire directement, en tout cas pas l'arc narratif. Mais son utilisation a influencé le design. Nous voulions ouvrir les espaces, donner accès à plus de lieux à explorer et dans un sens retrouver ce sentiment de découverte permanent, comme dans Baldur's Gate 1 où vous sortiez du côté droit de l'écran pour apparaître du côté gauche de l'écran suivant en vous exclamant "Oh, y a des ogres ici !". C'était vraiment cool et très marquant. C'est ce type de sentiments que nous cherchons à ramener.
Il y a aussi plus de cinématiques et de séquences scriptées dans le jeu au service d'une grande histoire où vous devez prendre de grandes décisions. Je dirais en fait que le moteur n'a pas tant influencé l'histoire mais plutôt la manière dont nous avons approché le gameplay.
jeuxvideo.com > Quelles sont les motivations derrière la tournure "monde ouvert" que prend cet épisode ?
Mike Laidlaw : Nous considérons les éléments open world du jeu comme des extensions du cœur de gameplay. A sa base, Dragon Age est un groupe qui s'entraide pour avancer dans un monde de fantasy. Selon nous, les éléments qui nous manquaient pour raconter ce type d'histoire, c'était de grands panoramas et la liberté d'exploration. Notre motivation a toujours été de nous pousser à garder ce sentiment d'exploration en permettant par exemple de s'approcher d'anciennes ruines pleines de mystère.
Vous savez, les zones marécageuses, les monts enneigés, ou tous ces lieux plus ouverts fonctionnent parfaitement avec nos mécaniques de gameplay, du moment que vous avez bien une équipe, que vous avez des personnages qui commentent leurs environnements, qu'il y a un esprit d'équipe durant les combat… Toutes ces choses se transposent plutôt bien dans un monde ouvert.
jeuxvideo.com > Pouvez-vous nous donner une idée de la taille du monde de Dragon Age Inquisition en comparaison avec ceux des épisodes précédents ?
Mike Laidlaw : Disons que c'est significativement plus grand. C'est probablement la façon la plus simple de le dire. Certaines de nos plus petites zones sont déjà plus grandes que les terres sauvages de Korcari, qui représentaient la plus grande zone de Dragon Age : Origins. Les niveaux de Dragon Age Inquisition sont beaucoup, beaucoup plus grands, ils sont plus espacés. Les choses ne seront plus forcément cachées ou passées sous silence lors d'une ellipse narrative. Ici, vous devrez contourner une montagne, là il faudra passer derrière une ancienne muraille et s'engouffrer dans un trou dans le mur. En découle un vrai sens de la découverte, et c'est ce que nous voulions.
jeuxvideo.com > Est-ce que la taille du monde permet aussi de multiplier les quêtes annexes ? Quels types d'activités trouvera-t-on dans Dragon Age Inquisition ?
Mike Laidlaw : Cela ouvre effectivement pas mal d'opportunités en termes de quêtes. Mais plus que tout, je pense que cela donne la liberté aux joueurs de suivre leur propre quête. Il y aura certainement différentes choses que vous voudrez faire durant le jeu, comme commencer une quête particulière ou chasser un dragon. Un jeu plus confiné vous présenterait directement les choses à faire, vous les verriez certainement toutes, et tous vos amis les verraient également. Peut-être discuteriez-vous avec eux de la manière ou de l'ordre dont vous avez abordé chaque chose.
Ce n'est plus la même chose dans un monde plus large où certains des dragons peuvent se cacher aux extrémités de la zone de jeu. Il n'y aura peut-être pas de pointeur de quête pour vous conduire jusqu'à eux, mais vous aurez la motivation de trouver un chemin pour vous y rendre, les tuer et confectionner une armure avec leurs écailles.
jeuxvideo.com > Que pouvez-vous nous dire sur la customisation des personnages "au niveau de l'apparence, de leurs talents ?
Mike Laidlaw : La façon de gagner des niveaux devrait sembler familière à ceux qui ont joué à Dragon Age 2. Vous avez les niveaux de personnages, vous avez les arbres de talents, vous avez des talents qui peuvent être achetés ou améliorés suivant votre exploration de l'arbre. Il y a trois classes principales : mage, voleur et guerrier, et chacune propose des talents complètement uniques. Le guerrier tend à se rapprocher d'un style tank-défenseur. Les mages tendent à se placer dans un rôle de soutien et de crowd control. Les voleurs tendent à se jouer en DPS.
Ceci dit, en tant que joueur, vous pourrez toujours mettre un petit twist et par exemple jouer un guerrier plus à l'aise à distance ou un voleur qui s'amuse plus en confrontant directement les ennemis plutôt que de placer des coups en traître. Ce sont des choix tout à fait viables.
jeuxvideo.com > Nous avons pu voir des séquences de gameplay en vidéo et il semble que le jeu suive une voie plus action-RPG que les précédents. La pause active est bien toujours présente dans le gameplay pour sélectionner ses personnages et prévoir sa stratégie, n'est-ce pas ?
Mike Laidlaw : Elle est même plus présente que jamais en fait ! Toutes les versions de Dragon Age Inquisition auront droit à la caméra tactique qui permet d'observer le champ de bataille sous n'importe quel angle. Elle n'est pas bloquée sur une simple vue. Du coup, vous pouvez la placer sous les arbres, derrière ou autour de l'action. En fait, vous pouvez la diriger où bon vous semble pour prendre une capture d'écran si vous le souhaitez. Mais plus que cela, il s'agit d'un outil tactique permettant de mettre le jeu en pause, de donner vos ordres à tous les membres de l'équipe, de voir où se situent tous les ennemis, etc. Puis, sans quitter ce mode, vous pourrez ôter la pause, voir les actions se dérouler, les attaques être portées. C'est très similaire à la caméra tactiques de Dragon Age : Origins, avec le même feeling, les attaques automatiques qui se déclenchent, ce genre de choses.
Beaucoup des actions et des capacités du jeu ont été conçues pour paraître cool à l'écran, c'est sûr. Le jeu donne envie de lancer des grosses boules de feu avec le mage, d'enfermer un personnage dans une prison de glace… tout cela a été conçu pour être très gratifiant visuellement. Mais les actions ont aussi été pensées pour fonctionner dans des scénarios de puzzles.
Par exemple, il y a un extrait avec un guerrier qui fait une roulade sur le côté alors qu'un dragon l'attaque. Eh bien, il s'agit d'une capacité à acheter, une habilité qui consomme de la stamina et que vous pouvez déclencher pendant la pause. Vous choisissez la direction où rouler, puis lorsque le cours du jeu reprend, le personnage s'exécute.
jeuxvideo.com > Dans quelles mesures nos décisions impacteront l'histoire ?
Mike Laidlaw : Les décisions ont beaucoup de poids sur l'inquisiteur. Alors que vous essayez de mettre sur pied une organisation à partir de rien, et que vous tentez de percer des mystères, il y a tout un panel de décisions à prendre. Quels seront les personnages qui me suivront ? Comment vais-je les faire monter de niveau ? Quels équipements vont-ils porter ? Les grandes décisions, celles qui impactent l'histoire, ont été particulièrement soignées ; nous voulions nous assurer qu'elles mettent en valeur de vrais dilemmes. Il y a un moment où non seulement vous prendrez une décision, mais comprendrez aussi les répercussions de votre choix. Nous faisons en sorte que ces décisions ne soient jamais faciles pour vous.
Dans Dragon Age Inquisition, vos choix aboutiront sur du contenu exclusif, donc si vous choisissez X, vous ne verrez certainement pas Y. Et dans certains cas, c'est sûr que vous ne verrez pas Y. Selon moi, cela participe à rendre le jeu plus personnel, plus réactif aux décisions prises. Et aussi, le jeu garde sa fraîcheur si vous décidez d'y rejouer ou d'échanger votre expérience avec un ami. Alors que vous lui direz ce que vous avez fait, lui répondra qu'il n'a pas du tout vu cela. C'est une bonne chose selon moi car cela force le jeu à avoir des conséquences au niveau de l'histoire et de la narration, parfois aussi directement au niveau du gameplay.
jeuxvideo.com > En parlant de rendre le jeu plus personnel, est-ce aussi l'intention de BioWare au niveau de la saga dans son ensemble ? Les décisions prises dans les précédents épisodes seront-elles répercutées dans ce volet ?
Mike Laidlaw : Nous n'avons pas encore donné tous les détails à ce sujet, mais nous avons développé un système appelé The Dragon Age Keep. Il s'agit d'un outil en ligne qui permet aux joueurs d'avoir un monde tout prêt. Je ne vais pas faire de promesses, mais notre souhait est que cet outil puisse sortir et être accessible à tous avant la sortie de Dragon Age Inquisition.
Dragon Age Keep permet de coordonner vos décisions passées, mais également de créer de nouveaux mondes si jamais vous voulez découvrir ce qu'il se serait passé si telle ou telle décision avait été prise dans Origins ou Dragon Age 2. Cet outil vous permettra de faire tout cela facilement. Toutefois, nous ne serons pas en mesure de transférer absolument toutes les décisions prises dans les jeux précédents. Notre philosophie est de nous attarder sur les décisions qui ont une réelle importance. Je sais qu'avec le retour de Morrigan, beaucoup de joueurs se demandent si leurs actions X, Y ou Z à son encontre dans Dragon Age Origins auront une importance. La réponse est oui, tout cela comptera.
jeuxvideo.com > Les romances ont toujours occupé une part importante dans les jeux BioWare, presque au point de devenir un passage obligé dans l'aventure. Du coup, comment s'assurer que les romances s'intègrent naturellement au jeu sans devenir un simple bonus maladroitement ajouté juste parce qu'un jeu BioWare doit avoir une romance ?
Mike Laidlaw : Notre approche vis-à-vis des romances, des sorties ou des simples interactions entre personnages, est qu'une grande partie de tout cela reste optionnel. Nous sommes très contents et très fiers du travail effectué à ce niveau-là. Nos auteurs sont très doués pour évoquer ou décrire de vrais personnages avec leurs propres désirs, besoins, problèmes, mais nous n'avons jamais considéré les romances comme obligatoires, du genre untel doit avoir une histoire avec untel. Je ne pense pas que ce soit un passage obligé dans une histoire. Ceci dit, il s'agit d'un élément valide d'une histoire, c'est une option placée là.
Nous considérons les romances comme un élément qui se trouvera vraisemblablement dans un jeu – mais je ne dis pas que nous développerons toujours des romances dans chacun de nos jeux, d'ailleurs certains de nos titres n'ont pas de romances. Toutefois, notre approche générale est de commencer avec les personnages et pas avec les romances. Vous ne voulez surtout pas dire "oh, cette personne sera une option principale pour les romances." Vous pouvez éventuellement le sentir dans votre for intérieur, mais nous n'avons aucune pression pour que ce soit le cas avant de sentir un peu plus les personnages, de les concevoir sur papier, d'imaginer à quoi ils vont ressembler, comment ils vont parler. Parfois on attendra même d'entendre les comédiens qui les doubleront. En règle générale, nous nous occupons des romances plus tard dans le processus de création.
Lorsque nous avons une meilleure appréciation de la manière dont les personnages s'intègrent à l'histoire, lorsque nous avons défini leurs motivations, et que nous savons pourquoi ils sont là, alors les romances possibles et appropriées deviennent beaucoup plus claires. A ce stade, un auteur peut se trouver inspiré pour écrire une romance, un directeur cinématique peut aussi apporter son avis sur la voie à suivre. C'est vraiment un travail d'équipe. Notre but est que cela paraisse naturel pour les personnages que nous avons créés. Et encore une fois, les personnages sont plus importants que les romances elles-mêmes. C'est ainsi que nous voyons les choses.
jeuxvideo.com > Durant une conférence de la PAX de Boston il y a quelques jours, vous parliez justement des romances. Vous évoquiez l'envie d'un jour vous pencher sur le cas du mariage dans un jeu, que ce soit au travers d'un personnage déjà marié ou d'un personnage qui se marie en cours de route. Pourquoi ne pas l'avoir encore fait ? On pourrait facilement imaginer un joueur pousser à garder son mariage solide malgré les tentations dans un groupe…
Mike Laidlaw : A mon sens, rien ne nous empêche d'explorer un tel sujet et d'avoir un personnage marié ou un personnage avec de précédentes relations. Mais honnêtement, d'une certaine manière, les jeux font déjà ça puisque le personnage que vous contrôlez a toujours un passé avec de précédentes relations. Ceci dit, il faut être prudent avec les jeux de rôle car l'une des règles du genre est que vous incarnez le personnage que vous avez créé. Du coup, plus le jeu place de choses sur votre personnage (une femme, un mari…), moins il sera à vous.
Avec Dragon Age Inquisition, nous faisons tout notre possible pour que le personnage soit le vôtre : nous réintroduisons les races, permettant même d'être Qunari, avec les réactions que cela engendrera. Tout cela est un choix laissé au joueur. Je trouve que ce serait un peu étrange qu'au milieu de ces choix, on impose au joueur d'être marié.
jeuxvideo.com > Cela pourrait alors être une option laissée au joueur…
Mike Laidlaw : Il faut aussi regarder le jeu dans son ensemble. L'expérience a besoin de fonctionner comme un tout. Dans notre cas, lorsque vous regardez nos jeux de rôle, nous faisons tout notre possible pour que vous puissiez personnaliser et vous approprier votre héros, allant même jusqu'à choisir sa voix parmi deux timbres différents. Mais le plus vous ajoutez à son passé, le moins il vous appartient. Il s'agit de trouver la bonne limite, celle qui convient le mieux à votre jeu. Donc rien ne nous empêche de le faire si ce n'est que cela ne semble pas être la bonne décision pour notre jeu.
jeuxvideo.com > Comment l'équipe a-t-elle réagi à l'accueil mitigé réservé par la presse et les joueurs à Dragon Age 2 ?
Mike Laidlaw : Les réactions pour ce jeu couvrent un large panel. On trouve des réactions très positives comme des réactions très négatives. Nous avons regardé plus de 200 tests, vidéos sur YouTube, Let's Play, ce qui nous a permis de cerner les éléments majeurs qui ont plu et ceux qui n'ont pas plu. Probablement la réaction positive la plus entendue concerne l'arbre de talents. Les gens ont aimé l'arbre de talents qui est passé de quatre points linéaires à un véritable arbre avec des branches et des choix à faire.
Pour faire un bilan, vous avez à regarder ce qui a marché, et ce qui n'a pas marché. Il faut aussi considérer les défis liés à votre projet actuel, dans notre cas le changement de moteur par exemple. Tout cela donne l'opportunité de voir quel type de jeu vous voulez faire, comment vous voulez le faire et quels talents avez-vous dans votre équipe pour le faire.
Pour Dragon Age Inquisition, la bonne direction à suivre a été d'ouvrir les options de personnalisation et d'ouvrir de vastes environnements, sans tomber dans le piège d'aboutir à un lieu unique mais plutôt d'avoir des cimes enneigées, un désert, un marais plongé dans les ténèbres, etc.
jeuxvideo.com > Un mot pour les fans de la série à quelques mois de la sortie ?
Mike Laidlaw : Sachez que nous travaillons exceptionnellement dur en ce moment. Tout le monde a la tête dans le guidon mais tout commence à s'assembler enfin. J'ai hâte de pouvoir montrer plus de gameplay et de partager plus de détails, ce qui arrivera dans quelques mois. Mon souhait est de pouvoir réaliser des vidéos pour plonger dans les profondeurs du gameplay, montrer les diverses opportunités que les joueurs auront en jouant à Inquisition et obtenir un retour assez tôt de la communauté.
jeuxvideo.com > Merci beaucoup.