Hideo Kojima fait partie de ces personnes qui ont compris depuis bien longtemps que le cinéma et le jeu vidéo ne sont pas des frères ennemis, les deux médias se nourrissant l'un de l'autre afin de se renouveler pour apporter à leur public des expériences nouvelles, intenses, inoubliables. Metal Gear Solid est sans doute une des séries les plus abouties de ce point de vue-là puisque l'influence cinématographique de l'oeuvre se trouve à chaque coin d'écran, des personnages aux situations en passant par les cadrages. Si Metal Gear Solid 3 : Snake Eater s'est imposé comme le point d'orgue de la saga en termes de narration et d'hommage au septième art, nous avons récemment eu le plaisir en France de découvrir la fantastique bande dessinée d'Ashley Wood et Kris Oprisko (2 tomes sortis à ce jour chez Soleil) reprenant les événements du tout premier Metal Gear Solid sorti sur PSone et GameCube.

Si graphiquement, le style de Wood est très similaire aux croquis du designer Shinkawa Yoji, il se détache néanmoins des travaux de ce dernier ne serait-ce que par la colorisation des planches (qui baignent tout de même le plus souvent dans des teintes de gris), un trait plus épais, plus appuyé, ou l'impression de mouvement (stylisé à l'extrême), absente des illustrations de Shinkawa qu'on trouve dans les nombreux artbooks consacrés à ses oeuvres. Si de prime abord, on peut trouver que le travail de Wood est peu accessible, anarchique, fouillis, le tout renvoyant parfois à un story-board réalisé à la va-vite, le réalisme qui ressort de ses planches s'adapte parfaitement à l'ambiance poussiéreuse, lourde et stressante collant aux événements de Shadow Moses. Le graphisme de l'homme, très européen dans son approche (son trait rappelant quelque peu celui de l'auteur de Corto Maltese, Hugo Pratt), est donc ici transcendé par l'approche interactive du produit, synonyme de travellings à l'intérieur des pages, d'incrustations d'onomatopées, d'une bande-son, de bulles apparaissant à la volée. De fait, il est étonnant de constater que le résultat n'est pas seulement le pâle reflet de ce qu'on trouve dans la BD, l'expérience proposée par Metal Gear Solid Digital Graphic Novel étant complémentaire de celle procurée par la lecture du comics.

Le plus surprenant dans l'histoire vient du fait que Konami a eu la bonne idée de proposer trois types de lecture pour pleinement apprécier le poème graphique de Wood. Ainsi, s'il est possible d'opter pour une lecture toute simple composée d'une succession de 271 planches, vous pourrez à tout moment passer en mode Exploration mentale. Ceci se traduira alors par une pause durant laquelle vous aurez la possibilité de déplacer un curseur pour "capturer" des Souvenirs liés aux personnages ou situations affichés, en zoomant ou dézoomant pour apprécier le coup de crayon du dessinateur. Enfin, une fois que vous aurez acquis ces fameux Souvenirs, le mode Simulation de création de mémoire vous transportera dans une sorte de dôme en 3 dimensions recélant tous les souvenirs que vous avez débloqués. C'est à cet endroit que vous pourrez relier lesdits Souvenirs pour reconstituer la mémoire de l'incident de Shadow Moses. Si ces idées sont totalement dans l'esprit high-tech de la série, on déplorera malgré tout une navigation peu instinctive dans le dernier mode cité. Cependant, on appréciera d'avoir une aussi grande banque d'informations à sa disposition, surtout que tous les textes ont été traduits en français. De plus, chaque page de la bande dessinée est directement accessible et une sauvegarde permet de conserver tous les Souvenirs acquis.

Bien entendu, si le prix de 20 euros est aussi un argument de poids pour l'acquisition de ce produit d'exception, on pourra déplorer que Konami n'ait pas réitéré l'expérience The Silent Hill Experience en y incluant des interviews de Kojima et de son équipe, des trailers des différents MGS, etc. On peut aussi déplorer que certains passages soient beaucoup moins puissants que dans le jeu (notamment la séquence avec Psycho Mantis où celui-ci s'adressait directement au joueur) ou peu compréhensibles par ceux qui n'y ont jamais touché, surtout quand les questions politiques ou éthiques soulevées par Kojima sont mises en avant. Pourtant en marge de cette semi- déception, c'est bel et bien le sentiment de satisfaction qui s'impose à la lecture de ce MGS Digital Graphic Novel qui synthétise d'une bien belle façon la fusion entre le jeu vidéo, le 7ème art et la bande dessinée.

• Site officiel des productions Kojima
• Site officiel de Ashley Wood