En tant que spectateur, il y a indéniablement deux manières d'aborder l'adaptation d'un jeu vidéo en film. Soit on est cinéphile ne connaissant rien au jeu. Dans ce cas-là, seul compte ce qui est à l'écran. Soit on est un aficionado du jeu dont le film est tiré et là, en plus de pouvoir apprécier le film, on s'amuse à rechercher les références plus ou moins subtiles dont le réalisateur a émaillé son oeuvre. L'idéal, c'est quand les représentants des deux camps ressortent de la salle satisfaits. Cette perfection dans le dosage, il y a peu de films qui peuvent s'en targuer. A brûle-pourpoint, on n'en voit qu'un : Mortal Kombat de Paul W. Anderson, un "actioner" convenable à la mise en scène ne se moquant pas du spectateur et s'appropriant de manière digeste l'univers du jeu. Depuis, rien de bien recommandable, même à des joueurs curieux qui voudraient savoir ce qu'on a fait de leurs jeux favoris. Ce rapide exposé pour vous aider à cerner l'origine du malaise qu'on peut ressentir après avoir vu Doom. Il y a dans ce film une vraie dichotomie entre son aspect "ciné" et son aspect "jeu". Commençons par ce qui fâche, on continuera par ce qui dérange. "Doom - le film" reprend à la lettre le scénario de "Doom - le jeu". "Quel scénario ?", serait-on tenté d'ajouter. Car ce qui servait de prétexte pratique aux massacres en vue à la première personne pour le jeu n'offre pas suffisamment de matière à un long métrage. Le réalisateur semble s'en foutre royalement et nous sert une histoire d'intervention de commando qu'on a déjà vue trente fois depuis "Predator". Et si comparaison il devait y avoir avec le chef-d'oeuvre de John McTiernan, elle ne serait que factuelle, pas qualitative. Ce service minimum se poursuit dans la construction des personnages, essentiellement les membres dudit commando. Il y a les désaxés : l'obsédé sexuel, la grenouille de bénitier à tendances masochistes, le lâche... Et même quand on ne couve pas la moindre tare psychologique apparente, on n'en est pas moins une image d'Epinal : le héros traumatisé, le petit jeune exalté de se retrouver aux côtés des vétérans, le sergent bien autoritaire... Tout ce petit monde s'agite, vocifère, tire dans tous les coins dès qu'un trombone tombe d'un bureau... Bref, le cinéphile se trouve fort marri face à ce désastre. Même les pervers sympathiques qui savent trouver mille qualités à des nanars sans nom du fait même de leur nullité, seront bien en peine de découvrir des arguments en faveur de ce défilé de lieux communs traîtés sans une once d'imagination.
Côté cinéma, c'est donc game over. Côté jeu, par contre, "Doom" s'impose comme le film qui fait le plus référence au jeu dont il est tiré. Sans vouloir se lancer dans une énumération qui torpillerait forcément le film (en tout cas, un peu plus...), on commence par les premiers mots hurlés par un professeur fuyant devant un ennemi encore invisible : "Professeur Carmack !" soit le nom de la moitié du tandem qui a crée le jeu Doom : John Romero et John Carmack. Le "la" est donné et le festival se poursuit avec, en vrac, des armes dont le look doit tout aux concepteurs du jeu, l'insertion presque digeste du concept de passages secrets qui constituait l'un des éléments clés du principe du jeu, l'utilisation de la tronçonneuse arme véritablement iconique du Doom des débuts, etc. Tout cela culmine avec la fameuse séquence d'environ sept minutes complètement tournée en vue subjective et qui pousse le spectateur à chercher la manette tant il pourrait croire se retrouver devant le jeu vidéo. Hélas, entre FPS et train fantôme, ce passage dit tout ce qu'il a à dire dès qu'il débute et, au bout d'une petite minute, l'effet de style ne représente absolument plus aucun intérêt. C'était sans doute une bonne idée et on ne peut que respecter la volonté de rendre hommage au jeu mais, côté cinéma, c'est zéro. Deux autres points noirs achèveront le fan de jeu venu savoir ce qu'on a fait de ce titre quasiment fondateur qu'est Doom. D'abord, le cruel manque de variété des monstres. Rétrospectivement et avec la meilleure volonté possible, on n'en a dénombré que trois alors que le jeu proposait un véritable zoo dominé physiquement et qualitativement par l'effroyable CyberDemon. Cette restriction s'explique sans doute par l'autre défaut majeur du film : un changement dans le scénario qui donne aux monstres une autre origine que cette dimension parallèle qui était la leur dans le jeu. Dans le film, le mal vient d'ailleurs en se parant d'un prétexte pseudo-psychologique risible et trop manichéen pour être honnête. "Doom" au cinéma n'est donc pas une réussite, loin s'en faut, et on ne peut que le regretter car certains éléments marquent un effort sincère de séduire jusqu'aux joueurs. Ca ne suffit pas pour faire un bon film. Résultat, selon sa nature, on ressort de la salle hilare ou abattu mais en aucun cas convaincu.
"Doom" - un film de Andrzej Bartkowiak avec Karl Urban, Rosamund Pike et The Rock. Sortie le 16 novembre 2005.