Difficile à croire à l'heure actuelle, mais les jeux d'aventure avaient franchement la côte au milieu des années 90. A cette époque, ils occupaient même une large place dans le secteur. C'était le début de la petite bataille entre LucasFilm (rebaptisé depuis LucasArts) et Sierra. Chacun y allant de ses propres séries, gâtant le joueur de titres sans cesse plus beaux, sans cesse plus drôle. Lucas sortait Day Of The Tentacle, Sierra ripostait avec un Larry ou un Freddy Pharkas. Ah oui, c'était une grande époque pour le jeu d'aventure, une époque où on passait d'un univers à l'autre, d'un délire à l'autre, avec l'immense satisfaction d'avoir toujours un jeu de secours à enchaîner juste derrière. Avant d'en arriver là, il a tout de même fallu amorcer la machine et séduire un public sans cesse plus large. Certes, le jeu d'aventure a toujours plus ou moins existé, notamment sous la forme d'aventure textuelle, mais il faut reconnaître que certains éditeurs ont contribué à rendre la chose plus évidente. LucasFilm était de ceux-là.
Après quelques succès dans le domaine - Maniac Mansion (1987), Zak McKraken (1989) et Loom (1990), LucasFilm sort le grand jeu avec ce qui sera le premier volet d'une série haute en couleurs : The Secret Of Monkey Island. Nous sommes alors en 1990, après plusieurs rejets et autant de retouches nécessaires, Ron Gilbert parvient enfin à imposer son projet, l'histoire d'un jeune garçon qui rêve devenir le plus grand pirate des Caraïbes. Les influences sont multiples, mais on retiendra surtout l'attraction Pirates des Caraïbes des parcs Disney, influence pas si anodine que cela dans le scénario pour qui connaît bien la série, mais chut, nous n'en sommes pas encore là.
Le premier volet nous permet de faire la connaissance d'un personnage au nom imprononçable, à l'âge encore indéfini mais à l'ambition déjà dévorante. Guybrush Threepwood vient de débarquer sur l'Ile de Mélée et il compte bien y découvrir tous les secrets de la piraterie. Ses premiers pas sur l'île le conduiront directement à la taverne où se tient le fameux conseil des pirates. Imbibés de grog, les trois représentants du fameux conseil mettent à l'épreuve le jeune postulant. Les conditions sont claires, s'il veut devenir pirate, il faudra que Guybrush réussisse trois défis : déterrer un trésor, battre la reine du sabre et parvenir à voler un objet de valeur. Condensées dans le premier chapitre du jeu, ces épreuves seront l'occasion de s'imprégner de ce qui sera par la suite la marque de fabrique de la série : un univers décalé, qui déborde d'humour et de personnages au caractère bien trempé. On se souvient par exemple d'Otis, le prisonnier à l'haleine fétide, ou encore de Lady Voodoo, la prêtresse qui prédira l'avenir au héros. Guybrush rencontre également le gouverneur de l'île, la charmante Elaine Marley, une jeune femme plein de panache qui ne laisse personne indifférent. Ce beau casting ne serait pas complet sans l'ajout d'un grand méchant, vilain à souhait, et motivé par la seule volonté de nuire au héros. Ce rôle sera confié à Lechuck, pirate fantôme de son état, lui aussi éperdument amoureux de la belle Elaine.
Au cours de son initiation, Guybrush entraîne le joueur dans des situations totalement loufoques. Avec lui, on apprend que les combats de sabre ne se règlent pas à l'adresse du poignet ou de la garde, mais à l'aptitude à sortir les bonnes répliques aux bons moments. Demander à son adversaire s'il porte encore des couches, ou si c'est en raison de son haleine que les gens tombent comme des mouches à ses pieds seront autant d'insultes qui vous permettront de le déstabiliser et de prendre l'avantage dans un combat. Le combat d'insultes est en effet l'un des grands moments de Monkey Island, tout comme la séance de marchandage auprès de Stan, le vendeur de bateaux baratineur. Au milieu de tout cela, Guybrush devra aussi retrouver Elaine, kidnappée par Lechuck, s'échapper d'une tribu d'indigènes végétariens et même discuter avec une vieille tête de navigateur (une tête coupée, maintenue en vie grâce à un collier magique. Comment le collier peut-il tenir puisque la tête n'a pas d'épaules, ça c'est une autre histoire...).
The Secret Of Monkey Island a connu plusieurs versions différentes au cours de l'évolution des machines. Si la toute première édition reprenait à l'identique la formidable interface vue dans Maniac Mansion ou Loom (le joueur clique sur un verbe en bas de l'écran puis sur le décor pour agir, par exemple "ouvrir la porte"), on se souviendra surtout de la version PC CD-Rom qui comprenait en plus des musiques de bien meilleure facture. Outre ses nombreuses qualités techniques et son humour communicatif, on retiendra surtout de ce premier Monkey Island qu'il a posé les bases d'une série prête à connaître son apogée dès l'année suivante avec The Secret Of Monkey Island 2.
Jihem