A l'heure où les développeurs commençaient à élever très haut le niveau des titres Super Nintendo et atteignaient quasiment les limites des capacités de la console, il fallait une fois de plus compter sur Rare pour repousser la machine dans ses derniers retranchements. Employant la technique graphique qui venait de faire ses preuves avec le brio que l'on sait dans Donkey Kong Country, Rare passait à l'assaut du jeu de baston dans Killer Instinct. Un jeu qui fit l'effet d'une tornade lors de sa sortie en 1995 en réussissant à innover et à impressionner sur un terrain déjà dominé par les Street Fighter 2 et autres ténors du jeu de combat.
Une fois la cartouche noire entre les mains, acquise forcément le jour J à un prix avoisinant bien souvent les 600 francs (rappelons que nous étions alors en 1995), le joueur avait en face de lui celui qui allait instaurer la mode des combos à très très grande échelle. Là où un néophyte ne pouvait y voir qu'un simple jeu de baston classique reprenant les bases d'un Street Fighter 2 pour la maniabilité avec la dimension gore d'un Mortal Kombat, le joueur averti s'étant entraîné des heures avec passion pouvait réussir à clouer n'importe quel adversaire moyennant un enchaînement spectaculaire pouvant atteindre les 50 combos ! Ne criez pas à l'hérésie, un adversaire maîtrisant lui-aussi le jeu pouvait parfaitement briser cet enchaînement apocalyptique pour renverser la vapeur. Le genre d'expérience unique qui vous laisse à vie la marque d'une claque brûlante.
Mais tout ceci vaut bien quelques explications plus détaillées. Tout l'art technique du jeu reposait en fait dans la manière de combiner les frappes de base avec les coups spéciaux. Chaque frappe et chaque coup spécial se divisant en trois degrés d'intensité (rapide, moyen, violent), il suffisait de trouver quel type de frappe s'enchaînait avec quel type de coup spécial pour produire une combo dont la longueur ne dépendait que du nombre d'attaques que le joueur parvenait à enchaîner. A cela deux difficultés : le timing (le rythme de déclenchement des attaques étant extrêmement rapide) et la mémoire nécessaire pour aligner une dizaine de combinaisons à la suite sans prendre la moindre nanoseconde pour réfléchir sur quels boutons appuyer. Le but était donc de trouver une bonne ouverture pour déclencher la combo, un spécial de fin pour la terminer, et un maximum de choses à mettre entre les deux. Un bon moyen d'assurer une excellente marge de progression au soft en permettant aux joueurs de sortir des combos de plus en plus longues et impressionnantes, pouvant aller de 3 à 50 coups !
Plusieurs autres subtilités de gameplay venaient d'ailleurs s'ajouter à cela. D'abord, le système d'Ultra combo. Il suffisait, pour le réussir, de connaître le coup spécial spécifique à son personnage pour le placer en fin de combo, et de réaliser l'enchaînement complet au moment où l'adversaire était sur le point de succomber. On voyait alors son personnage ajouter de lui-même une bonne dizaine de frappes supplémentaires totalement imparables qui doublaient quasiment le nombre total de combos. Un moyen plus que jouissif de conclure un affrontement, pour ceux qui avaient fait le tour des fatalités. Car comme dans Mortal Kombat, Killer Instinct comportait également un certain nombre de fatalités appelées No Mercy propres à chaque personnage. L'occasion de voir la miss Orchid dégrafer son corsage pour donner une crise cardiaque à ses adversaires, de voir Jago faire tomber une voiture sur la tête de son opposant par la seule force de sa pensée ou encore Riptor avaler son ennemi goulûment. C'était souvent gore, mais aussi parfois drôle, comme le prouve la technique de l'humiliation qui permettait de forcer son adversaire à danser bêtement à la fin du combat. Autre subtilité de gameplay, mais totalement indispensable dans un jeu tel que celui-ci, les Combo Breaker. Cette technique constituait le seul moyen de briser une combo adverse en réussissant à placer au bon moment un coup spécial précis avec l'intensité supérieure à celle utilisée par l'adversaire (rapide > moyen > violent > rapide). De plus, une fois le Combo Breaker effectué, un indicateur apparaissait sur la barre de vie signalant la possibilité de faire appel à des Shadow Moves pour placer des coups spéciaux optimisés.
Les rounds étaient d'ailleurs gérés de façon différente des autres jeux de baston, le combat s'interrompant de manière brève à chaque fois qu'un combattant perdait sa première barre de vie (pour un total de deux), laissant son opposant continuer avec son énergie en cours jusqu'à la fin du temps imparti pour chaque round. Une manip permettait également de faire passer le jeu en mode Turbo, les combats devenant de véritables joutes rythmées à une allure irréaliste. Seule ombre au tableau, le manque de charisme de la plupart des personnages. Difficile de trouver son bonheur entre un panel de personnages aussi hétéroclite que celui-ci : une combattante aux formes avantageuses mais totalement dénuée de charme, une torche humaine censée représenter un criminel dangereux, un lycanthrope, un raptor, un boxeur poids lourd, un iroquois, un alien en fuite, un moine guerrier tibétain, un prototype de robot tueur ou un squelette ricanant. La faute à Ultratech, la corporation imaginée par Rare pour organiser le tournoi Killer Instinct. Au bout du parcours : un monstre hideux nommé Eyedol qui nous en aura fait baver.
Quelques mots pour finir à propos de l'aspect technique de Killer Instinct. Outre la qualité impressionnante des graphismes et des animations, la bande son contribuait aussi fortement à l'immersion dans le jeu. Le soft était d'ailleurs offert avec le CD des musiques réorchestrées, des thèmes forts et variés fort sympathiques pour une durée totale d'un peu moins d'une heure. Killer Instinct était également l'un des rares titres Super Nintendo à bénéficier de digits vocales très réussies, les cris étant certes peu variés mais totalement immersifs. Même chose pour les bruitages reflétant parfaitement la lourdeur du loup-garou s'abattant sur le sol, le pas lourd du robot ou le choc de la lame du squelette contre le sol. Précisons qu'il était aussi possible de créer son propre tournoi jusqu'à 8 joueurs, et que le jeu à deux autorisait des parties réellement tendues. Un excellent jeu de baston qui fut décliné plus tard sur N64 et Gameboy.
Romendil