Ce n'est pas de l'IA ! Voici comment a été réalisé "Le Navire", un feat entre Gims et Booba

Depuis quelques jours, on voit passer un drôle de morceau de musique sur les réseaux. Véritable tube de l'été, le titre Le Navire réunit deux des plus grands géants du rap français : Gims et Booba. Ce qui est bizarre, c'est que dans le monde réel, les deux stars se détestent. Certes, Il y a 10 ans, le Duc de Boulogne déclarait au fil d'une rime "Y'a que Wati-B qui pèse", mais cette époque est révolue. Aujourd'hui, les rappeurs s'insultent mutuellement en public sur les réseaux sociaux. Tous les fans se doutent donc qu'un featuring est impossible.

Une question se pose alors : d'où sort Le Navire ? Ce morceau, d'abord publié sur la chaîne YouTube TT AUTHENTIQUE a suscité un engouement rapide. Aujourd'hui, environ 2 semaines après la publication de la vidéo, nous en sommes à plus de 500 000 vues. Grâce à ce début de popularité, le "clip" a été remarqué par certains gros comptes rap sur les réseaux sociaux. Et là, c'est l'explosion. Le tweet ci-dessous atteint presque les 1,5 million de vues en un week-end par exemple. Problème : ce tweet est mensonger. Contrairement à ce que pensent la plupart des gens, Le Navire n'a pas été conçu à l'aide d'une IA générative !

Depuis que ChatGPT a explosé, le monde entier n'a plus que deux lettres de l'alphabet à la bouche : IA. Nous comprenons l'envie intuitive de les caler à toutes les sauces, quitte à produire des contre-vérités. Il est tout de même dommage d'induire le public en erreur et d'invisibiliser le travail des artistes. La vidéo originale est pourtant claire dans sa description et son générique de fin : Le Navire n'est pas généré par IA puisqu'il s'agit d'un mashup.

Un mashup est une création originale qui naît du mélange de deux ou plusieurs morceaux préexistants. C'est un peu comme un collage sonore où l'on superpose des éléments de différentes chansons pour en former une nouvelle. Pas besoin de high tech, les racines du mashup remontent à bien avant l'ère numérique. Les DJ, dès les débuts de la radio, superposaient des morceaux pour créer des transitions fluides entre les chansons. Au début des années 2000, avec l'essor du Web et des outils numériques, les mashups ont explosé.

Voilà donc la vérité. La personne à l'origine de ce morceau a pris une instrumentale du beatmaker français Lewo sur laquelle elle a collé les vraies voix de Gims et de Booba. Les parties de Gims sont issues du morceau Saint-Tropez sorti en 2022 et les parties de Booba proviennent du titre Chicha Menthe vieux de 3 ans. Quelques heures de mixage de ces deux chansons au BPM similaire plus tard et paf, vous avez le hit de l'été 2024.

L'IA peut-elle vraiment composer un tube de l'été ? L'exemple d'Angèle

Pas encore. Pour le moment, une IA générative seule est incapable de produire des morceaux d'aussi bonne qualité, surtout lorsqu'elle copie un ou une artiste en particulier. Aujourd'hui, les IA génératives liées au monde de la musique (comme Suno) sont très imparfaites. Bien entendu, lorsqu'on suit un peu les évolutions techniques du milieu de l'intelligence artificielle, on sait qu'il ne faut pas insulter l'avenir. Les progrès dans ce domaine sont hyper rapides et il est probable que les rythmiques assez simples et répétitives des tubes de l'été puissent être copiées à la perfection d'ici à quelques mois / années.

Là, vous vous dites peut-être que vous avez déjà entendu des titres bluffants générés par IA. On vous arrête tout de suite : dans le réel, il ne s'agit pas tout à fait de chansons générées par IA. Prenons un exemple concret pour illustrer ce point. L'année dernière, une fausse Angèle a pété internet en reprenant le titre Saiyan de Heuss l'enfoiré, Gazo et Zeg P (12 millions de vues aujourd'hui).

Voici comment le morceau a été créé :

• Le beatmaker Lnkhey a composé une instru originale.
• Il a ensuite enregistré dans son studio et avec sa voix une reprise du morceau Saiyan, écrit par d'autres rappeurs.
• Enfin, Lnkhey a utilisé une IA entraînée sur des morceaux d'Angèle pour modifier sa voix.

Vous voyez : nous sommes très loin d'un titre généré par intelligence artificielle. Paroles, composition, enregistrement, mixage... tout provient d'humains. Même l'entraînement sur une voix (humaine) est produite par un humain. On répète le mot en boucle, comme ça, c'est clair pour tout le monde : humain, humain, humain, humain.

Aujourd'hui, pour créer des titres vraiment accrocheurs, il faut du jus de cerveau, pas des circuits imprimés. Ou pas que du moins. Sur Saiyan, l'IA n'est utilisée que comme un outil pour donner un petit twist au morceau. Elle ne donne qu'un effet sur la voix, presque comme un plugin classique.

Alors voilà, si vous entendez la voix d'une star sur un titre manifestement faux mais bluffant, sachez qu'il ne s'agit probablement pas d'une production générée par IA. La plupart du temps, nous sommes soit sur un mashup à la Gims feat Booba, soit sur une proposition artistique de beatmaker à la Angèle sur Saiyan.