Contrairement à ce que la date de sortie du titre dont nous allons parler laisse entendre, il ne s’agit pas d’une blague. Lancé pendant la première semaine d'avril 1991 sur PC Engine, ce soft publié par Uni Post Company a connu un destin à peine croyable. De puzzle-platformer insignifiant, il devient le jeu le plus recherché de la console conçue par NEC, avant que sa cote ne perde 98 % de sa valeur en un claquement de doigts. Bienvenue dans le rocambolesque cirque de Circus Lido.
Le jeu fantôme au râle assourdissant
Rien ne prédestinait Circus Lido à faire les gros titres des journaux et ceux des sites spécialisés. À vrai dire, ce jeu très inspiré de Bubble Bobble aurait normalement dû finir sa vie loin des projecteurs après avoir sorti une prestation somme toute oubliable. Dans ce platformer comportant des puzzles, il est demandé d’utiliser la langue du héros – un caméléon – afin d’avaler ses adversaires puis de les recracher dans la gueule de plantes voraces. Sa queue, quant à elle, lui permet d’atteindre des endroits surélevés puisque le petit animal ne sait pas sauter. Une fois que la flore carnivore est repue, une porte allant vers le niveau suivant s’ouvre. Plus le joueur progresse, plus le défi s’accentue avec l’ajout de décors amovibles, de boss vicieux, ou encore de boules colorées servant à s’agripper/combler des trous.
Ce n’est pas avec son gameplay déjà daté pour l’époque, ni avec ses graphismes passables quoi que colorés, que Circus Lido s’est fait remarquer. Si l’on entend parler de lui au début des années 1990, c’est justement parce que personne ne l’évoque. Paradoxal, n’est-ce pas ? Les magazines spécialisés de l’époque l’ignorent alors que les quelques joueurs informés de son arrivée n’arrivent pas à l’acheter dans leurs boutiques habituelles. Circus Lido semble être un jeu fantôme. Pourtant, des exemplaires circulent bien dans la nature. Les années passent, et le prix de la création d’Uni Post Company grimpe sans jamais redescendre, contrairement au caméléon servant de héros à son jeu. Sa rareté est telle que certains spécialistes pensent qu’il n’est jamais sorti officiellement dans le commerce. La vérité est plus ubuesque que cela.
Le spectre de la bibliothécaire
À la fin des années 1990 puis au début des années 2000, la cote de Circus Lido atteint des montants absurdes. Quasiment introuvable au moment de sa sortie, produit par un petit éditeur n’ayant probablement pas conçu beaucoup de copies, le jeu défraie la chronique. Au Japon, les quelques exemplaires mis en vente se trouvent à plusieurs centaines de milliers de yens alors qu’en France, nous retrouvons des témoignages évoquant la rondelette somme de 30 000 francs (plus de 4 600 euros). Dans le n°16 des Oubliés de la playhistoire, Florent Gorges explique qu’en l’an 2000, un acheteur a dépensé 400 000 yens (soit un peu plus de 3 800 euros) pour mettre ses mains sur ce joyau tant recherché. “Un record à l’époque” ajoute-t-il.
Si Circus Lido est si rare, c’est pour une raison saugrenue. Le jeu n’a effectivement pas été vendu dans les magasins habituels, mais il a tout de même été distribué… au compte-goutte, dans des librairies japonaises triées sur le volet ! À ce moment de votre lecture, vous vous demandez sûrement pourquoi une société vend des jeux vidéo dans des boutiques qui vendent des livres. C’est une excellente question qui n’a toujours pas de réponse officielle. Certains passionnés estiment qu’il s’agit d’une combine détournée pour faire parler du jeu et jouer sur la crainte de la rareté, une hypothèse soutenue par le fait que dans la jolie boîte du jeu, nous retrouvons une carte numérotée intitulée “User’s Card”. D’autres connaisseurs misent plutôt sur l’incompétence d’Uni Post Company, petit éditeur qui aurait vraisemblablement pensé que son jeu était destiné aux enfants, et que les enfants aimaient aller dans les librairies avec leurs parents. Ce n’est que dans le courant de l’année 2000 – presque 10 après la sortie initiale de Circus Lido – que les collectionneurs découvrent cette drôle de décision, et c’est ce qui va tout changer.
Légende amazonienne
Vendu à 400 000 yens lors d’une enchère au tout début de l’année 2000 tellement il est introuvable, Circus Lido revient en force : de plus en plus de cartouches apparaissent sur les sites de revente en ligne. Logiquement, les prix fondent comme neige au soleil… 200 000 yens, 100 000 yens, quelque chose est en train de se passer. Au début de l’année 2001, c’est un mystérieux internaute qui révèle le pot aux roses : après avoir découvert une vieille publicité du jeu précisant que le soft était distribué en librairie, il a découvert qu’il restait un gigantesque stock de Circus Lido sur Amazon.jp… dans la section “livres”, et non dans la rubrique “jeux vidéo” ! Une nuance qui a son importance.
Le jeu prétendument le plus rare de la PC Engine, vendu au début de l’an 2000 à 400 000 yens (3 800 euros) en occasion, était en fait disponible depuis des années, neuf, au prix de 5 243 yens (50 euros) sur un des sites les plus connus du monde ! L’abracadabrantesque information se met à circuler partout. Amazon.jp se fait détrousser, si bien qu’en début d’année 2001, Circus Lido s’invite dans les meilleures ventes du célèbre site. Oui, dix ans après sa sortie ! Aujourd’hui, Circus Lido, de nouveau devenu rare en plus d’avoir gagné en célébrité à cause de son histoire improbable, s’échange aux alentours de 200 euros dans sa version en boîte. En ce qui concerne Uni Post, la société ne parviendra pas à sortir son autre jeu, Dino Force, un shoot spatial à défilement horizontal dans la lignée de R-Type. À moins qu’il ait été commercialisé en catimini dans les rayons “jouets” des Intermarché…