Après le succès de Genshin Impact, Honkai Star Rail et à présent de Zenless Zone Zero, Hoyoverse s’est imposé comme le nouveau maître du gacha free-to-play. Retour sur le parcours de la société.
Depuis 4 ans, les productions de Mihoyo - Hoyoverse en dehors de Chine - sont des incontournables de la scène free-to-play gacha à la sauce anime. Ces jeux gratuits, où les joueurs peuvent débloquer de nouveaux personnages via un système de loterie (avec une monnaie in-game ou de l’argent réel), font un carton depuis les années 2010 mais le géant chinois a réussi à installer un standard inédit en la matière. En 2020, Genshin Impact (plus de 5 milliards de dollars générés à ce jour) débarque à la fois sur PC-PS4-mobile dans le monde et s’impose comme un tour de force technique à l’ambition rare - monde ouvert, scénario développé - surtout pour un jeu gratuit venu de Chine… Trois ans plus tard, Honkai Star Rail viendra entériner ce coup d’éclat, mais troquera l’open world contre des zones ouvertes, de l’action en temps réel contre des combats au tour par tour et l’univers de fantasy contre un cadre futuriste. Puis, depuis juillet, c’est Zenless Zone Zero qui ravit les fans de gacha et d’anime, avec un terrain de jeu urbain et des affrontements encore plus punchy. Le dernier-né d’Hoyoverse a fait 50 millions de téléchargements dans le monde en 2 jours (Genshin, c’est 14 millions en 4 jours).
La grandeur des petits débuts
Un succès insolent qui a de quoi rendre vert les plus gros acteurs de l’industrie ! Mais d’ailleurs, d’où il sort ce succès ? Comment Hoyoverse est devenu le second géant du jeu vidéo chinois en si peu de temps ? Eh bien, l’histoire de la firme remonte au début des années 2010. Cai Haoyu, Liu Wei et Luo Yuhao (co-fondateurs de Mihoyo) sont trois amis qui étudient au master informatique de l’université Jiao Tong, à Shanghai. Mais, en marge des cours, ils partagent un autre point commun : ils sont fans d’animation, de manga et de jeux vidéo. Pour reprendre la catchphrase de leur future entreprise, ils se définissent comme des otakus, des gens qui consacrent le plus clair de leur temps à des loisirs d’intérieur (notamment ceux que l’on vient de citer). L’envie de transformer cette nature en business se concrétisera en 2011, lorsque le groupe décroche un local de 50 mètres carrés ainsi qu’un prêt de 100.000 yuans (12.000 euros). C’est le début de leur 1er jeu FlyMe2theMoon en tant qu’indépendant.
FlyMe2theMoon n’a rien à voir avec Genshin Impact ou Honkai Impact 3rd (qui précédera la sortie du célèbre free-to-play en monde ouvert). C’est un jeu de plateforme 100% mobile, en mode portrait, où il faut aider la sorcière Kiana à rejoindre le sommet de chaque niveau. Même si on note déjà l’amour de Mihoyo pour l’animation - le jeu est d’ailleurs inspiré de la version de Fly Me to the Moon de Neon Genesis Evangelion -, le résultat est relativement sommaire, payant à l’entrée, et sera un échec lors de sa sortie en 2011… C’est dur mais à l’époque, comme l’explique Liu sur un média local, la passion ne se tarit pas pour autant. Le trio (devenu un quatuor depuis l’arrivée de Zhang Qinghua en tant que directeur créatif) cède alors une partie de son capital contre 1 million de yuans (soit 120.000 euros). Mihoyo devient une véritable entreprise, au sens légal du terme.
La tête dans les étoiles
Maintenant, ça ne rigole plus, la petite pousse chinoise se réorganise en interne. Comme le rapporte Medium, Cai se concentre désormais sur le contenu, Liu sur le recrutement et le service client et Luo sur le modèle économique. Ce branle-bas de combat donnera naissance à Zombiegal Kawaii (Honkai Gakuen au Japon), un shooter en défilement horizontal inspiré du manga Highschool of the Dead où des avatars féminins butent des morts-vivants à grand renfort de fusil à pompe. Mihoyo a alors une approche disons naïve du développement de jeux vidéo. Comme l’explique l’équipe sur GameLook, son but était avant tout de créer un jeu auquel elle voulait elle-même jouer, sans penser à une façon concrète de faire de l’argent : “Nous pensions qu'il suffirait de dépenser tout notre capital et de créer un titre que nous aimons” avoue le PDG Cai Haoyu, en 2014. Vous vous en doutez, ça sent pas bon. Zombiegal Kawaii sort en 2012 dans une version payante avec des achats intégrés et ce n’est pas la folie. Le shooter aurait été téléchargé un peu moins de 2 millions de fois sur toute son existence et ce pour un chiffre d’affaires total de 300.000 dollars... Et afin d'éviter qu’un jamais deux sans trois (échecs) ne s’abatte, la société doit revoir sa copie de toute urgence.
S’inspirer des meilleurs
Pour ce faire, Mihoyo va s’inspirer - certaines sources parlent de “copie” - des systèmes de Puzzle & Dragons, sorte de rencontre improbable entre Candy Crush et un dungeon crawler qui fait un carton à l’époque (et qui deviendra d’ailleurs le tout premier jeu mobile à générer plus d’un milliard de dollars). Cai, Liu et Luo vont en retenir plusieurs choses : le modèle free-to-play avec des achats intégrés, les mises à jour régulières et, surtout, le sacro-saint gacha. Ainsi, si Puzzle & Dragons vous fait gagner à la loterie de nouveaux monstres pour vos combats, dans Guns Girl Z (le nouveau titre de Mihoyo qui s’apparente à une version 1.5 de Zombiegal Kawaii), vous pouvez remporter des apparences inédites pour vos héroïnes. Et ça prend ! Avec seulement sept employés, la société crée son premier succès. Selon Naavik, grâce à Guns Girl Z, Mihoyo gagne en 2013 1,4 million de dollars par mois.
“Payer pour l’amour”
Dans une interview rapportée par le South Morning China Post, Liu Wei - l’un des co-fondateurs de Mihoyo - résume cette stratégie de monétisation en une formule : “payer pour l’amour”, c’est-à-dire “miser sur l'affection des joueurs pour les personnages féminins plutôt que sur leur désir d'acquérir un avantage concurrentiel en achetant des armes puissantes dans le jeu”, écrit le média. En 2014, Cai Haoyu avait reconnu que, dans la mesure où Guns Girl Z est un “titre otaku”, les “filles y sont un élément important”. Il aurait aussi déclaré qu’il jouait au MMORPG Blade & Soul “uniquement” pour un mod qui permet de déshabiller les avatars féminins et accentuer le mouvement de leur poitrine.
Ce Guns Girl Z - Honkai Gakuen 2 au Japon - posera également les bases de l’univers Honkai et est évocateur des ambitions narratives de l’entreprise, dès 2013-2014. Une narration qui part de dialogues / cut-scenes sommaires pour arriver, des années plus tard, à des courts-métrages d’animation quand un nouveau personnage jouable est annoncé ! Après tout, ce n’est pas pour rien que la firme s’est renommée “Hoyoverse” (“verse” de metaverse) en 2022, à l’international. La même année, elle annonçait d'ailleurs une série d'animation Genshin Impact en collaboration avec le studio Ufotable (Demon's Slayer). Liu Wei voit Hoyoverse comme une sorte de Disney.
Quoi qu’il en soit, Guns Girl Z marche fort, très fort. Grâce à ce succès, Cai, Liu et Luo dégainent un gros chèque (100 millions de yuan selon Medium soit 12 millions d’euros) pour leur prochain projet : Honkai Impact 3rd, un action-RPG en 3D qui sortira dans un premier temps sur mobile, en 2016 en Chine, avant d’arriver trois ans plus tard sur PC... On y distingue les bases de Genshin Impact, avec un système de combat super dynamique et une technique très soignée, surtout pour un jeu qui tient dans la poche. Bien sûr, la formule free-to-play gacha est de la partie avec une loterie qui ne se limite plus seulement à l’apparence des avatars féminins - toujours bien présents -, mais dorénavant aux armes et aux "Stigmata", des bonus de puissance... Il est aussi possible de remporter une héroïne jouable plus ou moins rare et c’est ce qui fera le sel, ou en tout cas l’un des ingrédients, de Genshin.