Trois films et 115 millions d'euros plus tard

En 2019, le producteur Dimitri Rassam se fie aux scénaristes Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière pour son nouveau gros projet. Après avoir réalisé ensemble Le Prénom, gros succès de l’année 2012, ils souhaitent désormais faire de certaines œuvres classiques de la littérature des adaptations cinématographiques dantesques. Après délibération, leur intérêt se porte sur Les Trois Mousquetaires, célèbre roman d’Alexandre Dumas. Pour ce qui est de la réalisation, la tâche est confiée à Martin Bourboulon (Eiffel, Papa ou Maman), à qui un budget colossal de près de 70 millions d’euros est alloué par les producteurs Pathé Films et Chapter 2. Ce montant vaut pour la réalisation d'une œuvre en deux parties, directement inspirée des films de cape et d’épée ambitieux et populaires, qui, autrefois, ont fait la fierté du cinéma français.

Malheureusement, à sa sortie en salle en 2023, le diptyque n’emballe ni la critique, ni le box-office. Cumulant respectivement 32 et 20 millions d’euros, les deux œuvres sont loin d’être rentables, et ce, malgré un casting intéressant et une attention portée aux décors et costumes. Si les défauts d'adaptation sont minoritaires et contrebalancés par d’intéressantes propositions dans le premier volet nommé D’Artagnan, ils se creusent dans la suite nommée Milady et donnent un film en demi-teinte, qui manque cruellement de personnalité.

Ainsi, face aux résultats mitigés des Trois Mousquetaires, nombre de producteurs auraient réfléchi à deux fois avant de repartir sur une formule similaire. Cependant, depuis 2020, un autre projet est en cours pour Dimitri Rassam, Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte. Le roman du Comte de Monte-Cristo a tapé dans l'œil de l’équipe et, cette fois-ci, ils veulent prendre note de leurs précédentes erreurs pour enfin réaliser un blockbuster digne des productions outre-atlantique. À cet égard, le budget est fixé à près de 43 millions d’euros et Martin Bourboulon n’est pas reconduit, c’est désormais le duo de scénaristes qui s’occupera de la réalisation.

Un Comte mémorable

Le Comte de Monte-Cristo nous embarque dans l’histoire d’Edmond Dantès, un jeune marin à qui Pierre Niney prête ses traits. Alors âgé de 22 ans, ce fils de domestique voit sa vie changer du tout au tout. Le chanceux se prépare à devenir capitaine de son navire et à épouser la riche et fascinante Mercédès Herrera. Jalousé de toute part, il est trahi et dénoncé comme conspirateur bonapartiste par certains de ses proches. Après 14 ans d’emprisonnement au château d’If, il parvient à s’échapper de sa prison et trouve un trésor qui lui confère une fortune sans précédent. Animé par la rancœur et par la haine, Edmond sait comment utiliser ce nouveau pouvoir : il va se venger de ceux qui ont brisé sa vie.

Une histoire intemporelle et connue de tous, que les deux scénaristes ont pris un malin plaisir à adapter. Au vu des quelque 1900 pages qui composent l'œuvre originale de Dumas, le long-métrage devait forcément faire des choix d'adaptation. Pour ce faire, les deux compères ont pris la décision d'écourter certaines périodes de la vie d’Edmond. On pense notamment à son passage en prison, abrégé en faveur d'une attention plus grand portée à la mise en place de sa vengeance. De même pour la rencontre entre Edmond et Albert, qui ne ressemble en rien à ce qu’elle était dans le livre, et ce, au profit d’une scène ingénieuse et bien plus succincte.

Enfin, la qualité du scénario puise aussi sa force dans le rythme de l'œuvre originale. Malgré un métrage long de trois heures, les spectateurs n’ont d’autres choix que d’être embarqués dans ce torrent de révélations et de rebondissements en tout genre, qui ne laisse aucune place à l'ennui. Contrairement au diptyque des Trois Mousquetaires, le film ne se perd pas dans une revisite pompeuse du support de base, mais se concentre plutôt dans l’élaboration maline et moderne d'une adaptation qui ne prétend en rien surpasser le matériau d'origine. Ainsi, à la manière des grands blockbuster d’aventure hollywoodien, Le Comte de Monte-Cristo parvient à monopoliser l’attention de son spectateur à l’aide d’une intrigue prenante et d’un sentiment d’aventure constant, que les critiques ne manquent d'ailleurs pas de relever.

Pierre Niney en état de grâce

Ce qui est sûr, c’est que Matthieu Delaporte et Alexandre de La Patellière ont beaucoup appris du revers de leur précédent projet, et ça se voit au niveau réalisation. À l’aide de large plan d'ensemble, leur caméra met parfaitement à l’honneur les somptueux décors qui se multiplient au cours du métrage. Nos protagonistes semblent ne faire qu’un avec ces grands ensembles, dont les ameublements reflètent souvent leurs personnalités. Lors des dialogues et des scènes d'action, la caméra se positionne très près des sujets d’intérêt et conserve un mouvement constant qui, malheureusement, ne laisse que trop peu de temps à la contemplation. Un point dommageable, surtout au vu du travail effectué sur la composition des plans qui, souvent, fait la part belle à d'intéressants jeux de lumières et de perspective auxquelles la colorimétrie vive et intense du film donne un côté féerique.

En ce qui concerne le casting, les performances de Pierre Niney et d’Anaïs Demoustier (interprète de Mercédès) sont vraiment à souligner. Les deux s’en sortent avec brio, et ce, malgré les nombreuses exigences que leurs rôles demandent. Que ce soit en jeune marin naïf, en bagnard affamé ou en noble assoiffé de vengeance, la star césarisée réussit toujours à tirer le meilleur d’un Edmond tantôt intimidant, tantôt pathétique. Des performances bien plus impressionnantes que celles de certains acteurs secondaires qui, contraints par un texte très lyrique hérité du roman, se perdent parfois dans des envolées mélodramatiques qui sonnent fausses. Enfin, un dernier point important doit être attribué aux maquilleurs qui ont réalisé un travail monstre sur le personnage d’Edmond Dantès. Contrairement aux précédentes adaptations de l'œuvre, le choix a été fait de faire apparaître visuellement les changements physiques d’un protagoniste qui aime se cacher derrière différents masques. Le point culminant de cette prouesse intervient lorsque notre protagoniste se grime en Lord anglais. La métamorphose est si grande que même nous, spectateurs, venons à douter qu'il s'agit de Niney sous le maquillage.

Le Comte de Monte-Cristo réussit donc haut la main sa mission d’être un moment de divertissement qualitatif et talentueux qui concurrence les grandes productions étrangères. Pendant plus de trois heures, on plonge sans sourciller dans la découverte pas à pas du plan de cet anti-héros contestable. On s’éprend aussi du destin de ses deux protégés, Andrea et Haydée, qui, dans un diptyque parfait, racontent deux réponses opposées, mais tout aussi touchantes, à leur quête de vengeance. Après deux semaines d’exploitation, le film cumule déjà 2.5 millions d’entrées, collectionne les éloges du public (4.1/5 sur Letterboxd et 4.5/5 de la part du public sur Allociné) et est applaudi par la presse. Comme Variety par exemple, qui évoque “un conte d’aventure époustouflant et satisfaisant solidement réalisé” qui “par rapport aux adaptations précédentes” est bien plus “prenante et divertissante”. 175 ans après la sortie de l'œuvre de Dumas, l’histoire d’Edmond Dantès continue donc, encore, d’être interprétée et appréciée de par le monde. Est-ce donc ça, la véritable force d’un classique intemporel ?