Que nous le voulions ou non, que nous la repoussions ou que nous suivions, la politique fait partie de nos vies. Alors que nous connaissons une période particulièrement agitée au moment où nous écrivons ces lignes, nous remontons dans le temps. En 1991, plus précisément. À cette époque, des studios japonais commencent à sortir des jeux ayant pour héros… le dirigeant de l’URSS !
Sommaire
- Pas que des histoires
- Gorby construit, Gorby distribue
- Panic button
Pas que des histoires
Rencontrer des personnages historiques dans nos jeux vidéo n’est pas quelque chose de particulièrement rare. Ces dernières années, Assassin’s Creed nous a permis de prendre les armes aux côtés de Léonard de Vinci, Socrate, Cléopâtre, Benjamin Franklin, parmi de nombreux autres. Au début des années 1990, Wolfenstein donnait même la possibilité d'affronter Hitler. En 1991, un jeu vidéo de SEGA s’est permis non seulement d’être centré sur un homme politique toujours en vie au moment de sa sortie, mais il en a fait son héros ! Dans Gambara Gorbi!, le joueur incarne Mikhaïl Gorbatchev, l’ex-dirigeant de l’URSS.
Nous n’allons pas entrer dans une description détaillée des choix politiques orchestrés par celui qui est principalement connu pour avoir mis fin à la Guerre Froide. Alors que durant la seconde moitié du XXe siècle le bloc de l’Ouest (Etats-Unis et leurs alliés) et celui de l’Est (l’URSS et ses états satellites) sont dans une tension géopolitique extrême, Mikhaïl Gorbatchev renoue le discours avec le bloc adverse et signe des accords de désarmement qui engendreront la chute des régimes communistes en Europe, suivie par la dislocation de l’URSS en 1991.
Honoré du prix Nobel pour la paix en 1990, perçu comme un homme voulant aider son peuple à mieux vivre, Gorbatchev n’est pas seulement apprécié en occident. Au Japon, alors qu'il était esquissé comme un ennemi dans le jeu Strider en 1989, il est perçu petit à petit comme un homme de paix souhaitant faire avancer diplomatiquement l’entente entre les deux pays. “Gorby”, comme il est surnommé un peu partout dans le monde, a même prévu de se rendre à Tokyo afin de proposer des pourparlers sur le désarmement et pour faire des propositions sur des territoires disputés.
Gorby construit, Gorby distribue
C’est à ce moment-là, au début des années 1990, que l’homme politique soviétique devient le héros non pas d’un, mais de deux jeux vidéo produits par des studios japonais. Le premier, Gorby no Pipeline Daisakusen, arrive sur Famicom en 1991. Développé par Compile que l’on connaît pour ses Puyo Puyo, ce puzzle game à la Tetris demande d’embrasser une nouvelle ère d’échange entre Tokyo et Moscou en construisant un oléoduc entre les deux capitales. Créée par Takamasa Shimaura, un illustrateur de l'Asagaya College of Art and Design né en 1960, l’illustration de la jaquette du jeu montre Mikhaïl Gorbatchev, le doigt fièrement levé en l’air. Un travail validé par l'ambassade soviétique qui a autorisé que l’homme politique soit cité et représenté dans le jeu distribué par Tokuma Shoten.
Deux mois plus tard, Gorbatchev revient sur console par l’intermédiaire de SEGA of Japan. Cette fois-ci, c’est sur Game Gear que ça se passe. Gambare Gorby!, que l’on peut traduire par “accroche-toi, Gorby”, est un jeu de réflexion où le but est de prendre le contrôle d’une usine et de fournir aux masses opprimées les biens dont elles ont besoin : du pain, de la viande, de médicaments et bien évidemment des Game Gear. Il faut manipuler les tapis roulants à bon escient afin de diriger les bonnes denrées vers les bonnes personnes. Mais gare aux soldats de l'Armée rouge qui rôdent dans les locaux de l’usine pour tenter de tout faire capoter ! D’abord armés de simples matraques, puis de fusils, ils sont à éviter à tout prix, où à ralentir grâce à des insultes bien envoyées, insultes dont la portée et la puissance peuvent être décuplées si Gorby trouve un mégaphone. Les mots blessent plus que les coups, n’est-ce pas ce que l’on nous apprend lorsque l’on fait de la politique ?
Panic button
Malgré un scénario quasiment inexistant, des règles simples et une technique qui permet de n’afficher que quelques pixels à l’écran, Gambare Gorby! Propose un véritable message politique, aussi simple qu’il puisse paraître. Seulement voilà, peu après la sortie du soft au Japon, un putsch raté va accélérer la dislocation de l’URSS, alors que la guerre froide s’arrête définitivement quand Gorbatchev démissionne le 25 décembre 1991. Sortir un jeu en Europe où le désormais ex-responsable de l’URSS distribue lui-même des vivres aurait pu poser des problèmes, malgré une certaine cote de popularité du personnage en occident.
C’est pourquoi SEGA décide de faire quelques “ajustements” avant d’envoyer sa cartouche en dehors des frontières japonaises. Dans la nouvelle version revue et corrigée, c’est un industriel véreux qui décide de garder tous les produits de qualité pour lui seul qu’il faut combattre en redistribuant les victuailles. Le héros est redessiné : adieu le protagoniste au crâne dégarni accueillant une tache violacée, les joueurs dirigent désormais un jeune homme à la chevelure blonde. Toute référence à Gorbatchev est retirée, les gardes de l'Armée rouge deviennent de simples agents de sécurité, et le titre “Gambare Gorby!” se transforme en “Factory Panic”. Le titre n’arrivera jamais aux Etats-Unis, mais une version brésilienne existera bel et bien, intitulée "Crazy Company".