Ces derniers mois, plusieurs grands noms de l’industrie du jeu vidéo, comme Phil Spencer et Tim Sweeney, ont discuté des politiques nécessaires pour assurer la prospérité du secteur, en soulignant les nombreux changements et pièges à éviter. Récemment, l’ancien adjoint du PDG de Square Enix a également partagé une analyse éclairante sur les enjeux actuels.
Un expert du jeu vidéo considère que le modèle actuel est « dépassé »
L'ancien adjoint de la direction de Square Enix, Jacob Navok, analyse les défis liés aux investissements dans les jeux vidéo AAA à l'heure de la domination des jeux service. Il souligne que les budgets pour des titres comme Final Fantasy XVI et FF7 Remake ont été définis avant l'explosion de Fortnite, à une époque où l'industrie tablait sur une croissance continue de l'audience.
Jacob Navok explique dans un threads publié sur X que la simple multiplication du nombre de ventes par le prix du jeu ne reflète pas le profit réel de l'éditeur. Il compare le développement d'un jeu à un investissement boursier. Si un jeu coûte 100 millions de dollars et prend 5 ans à produire, il doit générer un retour supérieur à 201 millions de dollars (rendement boursier moyen sur 5 ans) pour être rentable.
A thread on the recent Square Enix news regarding FF sales numbers and expectations. https://t.co/mI1MAtRU3n
— Jacob Navok (@JNavok) May 23, 2024
Or, la réalité est loin d'être aussi favorable. Seulement 49 dollars sur les 70 payés par le consommateur reviennent à l'éditeur (après déduction des frais de plateforme). En ajoutant les frais marketing, les remises et les retours, le montant net descend à environ 40 dollars. Pour atteindre le seuil de rentabilité de 201 millions de dollars, un jeu AAA devrait se vendre à plus de 5 millions d'exemplaires.
L'ancien de Square Enix reconnaît que ses chiffres sont probablement sous-estimés. Les coûts de développement et de marketing sont probablement deux fois plus élevés, ce qui rend l'équation encore plus difficile. De plus, l'inflation, la hausse des salaires et les attentes croissantes des consommateurs contribuent à l'augmentation des coûts.
Dans ce contexte, la moindre erreur peut s'avérer catastrophique pour un studio, d'autant plus que de nouveaux acteurs, comme les jeux service, remettent en question le modèle traditionnel des jeux vidéo AAA.
Confrontés à la « Fortnitisation » du jeu vidéo, les éditeurs devraient inévitablement augmenter leurs prix
Il y a quelques années, l'arrivée des jeux service, comme Fortnite, a bouleversé le paysage du jeu vidéo en attirant les jeunes joueurs, délaissant les franchises AAA traditionnelles. Selon Jacob Navok, les jeunes joueurs ne s'intéressent plus aux jeux AAA comme Final Fantasy, car ils n'ont pas grandi avec ces franchises et privilégient des plateformes comme PC ou mobile pour jouer à des titres comme Fortnite, Roblox ou Minecraft.
Now if you're a younger gamer in your teens, you may not even be thinking about FF. If you are 13 years old now, you were 5 years old when the last mainline FF, FF15, came out.
— Jacob Navok (@JNavok) May 23, 2024
Your family may not own a PS5 and you may not care. You're satisfied with Fortnite or Roblox or…
Face à ce désintérêt des jeunes de la génération alpha, les grands noms du jeu vidéo, comme Sony, investissent massivement dans les jeux service, un modèle économique plus rentable et plus attractif pour les jeunes joueurs. Les données de Newzoo indiquent que 25% du temps de jeu des joueurs en 2023 se concentre sur 5 jeux seulement : Fortnite, Roblox, Minecraft, GTA 5 et League of Legends. Seuls 8% du temps de jeu sont consacrés à de nouveaux jeux hors franchises annuelles.
Jacob Navok estime que les studios de jeux vidéo historiques sont pris au piège entre la production de jeux AAA coûteux et risqués, et le développement de jeux service confrontés à une concurrence féroce.
Pour survivre dans ce contexte difficile, les studios ont trois leviers d'action :
- Réduire les coûts de production, ce qui est difficile en période d'inflation et de course à la qualité.
- Augmenter les prix des jeux, une solution impopulaire mais potentiellement nécessaire pour assurer la viabilité des jeux AAA.
- Accroître l'audience, un défi majeur dans un marché en stagnation.
Selon Jacob Navok, les prix des jeux vidéo vont inévitablement continuer d'augmenter pour compenser les coûts croissants. Selon lui, il ne s'agit pas d'avidité de la part des studios, mais d'une nécessité pour assurer la survie des jeux AAA.