Cette semaine, Yuzu a baissé les armes face à Nintendo et capitule. Revenons sur cette nouvelle étape dans la guerre entre le japonais et l'émulation.
Sommaire
- Tropic Haze capitule : La fin de Yuzu et de Citra
- L'émulation, pratique légale mais crontroversée
- Pourquoi Yuzu a capitulé ?
Si vous êtes amateurs d’émulation ou un tant soit peu intéressé par l’actualité Nintendo, vous avez probablement entendu la nouvelle : le géant japonais a décidé d’attaquer en justice les développeurs de l’émulateur de Nintendo Switch le plus populaire du marché, Yuzu, pour avoir "facilité le piratage à une échelle colossale". L’action coup de poing a été lancée après un constat affligeant pour la boîte : The Legend of Zelda : Tears of the Kingdom a été téléchargé illégalement plus d'un million de fois avant même qu’il ne sorte en bonne et due forme. Une situation qui rappelle également le cas Sonic Frontiers de SEGA, exhibé lui aussi sur des émulateurs comme Yuzu ou Ryujinx avant même sa publication officielle. On pourrait presque se dire qu'il a tout de même mis du temps avant de réagir frontalement, mais Nintendo sort finalement les armes et dépose une plainte à Rhode Island le 26 février, partiellement partagée en ligne. Tropic Haze, l'opérateur de Yuzu, y est accusé d’avoir causé un préjudice "irréparable" en fournissant "à n'importe quel internaute dans le monde les moyens de décrypter illégalement et de jouer à pratiquement n'importe quel jeu Nintendo Switch - y compris les jeux de la génération actuelle et les plus populaires de Nintendo - sans jamais payer un centime pour une console Nintendo ou pour ce jeu."
Lancé en 2018, Yuzu est un émulateur Nintento Switch gratuit sorti à peine quelques mois après le lancement de la machine officielle. Par définition, le logiciel permet aux gens de jouer aux titres de la console directement sur leurs ordinateurs ou leurs téléphones.
Tropic Haze capitule : La fin de Yuzu et de Citra
C’est une nouvelle étape pour Nintendo dans sa lutte acharnée contre l’émulation et le piratage de jeux. Dans le passé, l’éditeur a déjà remporté plusieurs procès, dernièrement contre RomUniverse, un site qui hébergeait directement des fichiers piratés de jeux vidéo et qui s’est vu contraint de verser plus de 2 millions de dollars en dommages-intérêts et de détruire toutes ses copies de jeux Nintendo. Le géant s’est aussi attaqué à un certain Gary Bowser, arrêté et inculpé pour avoir vendu des hacks Switch et désormais relâché avec une dette de 10 millions de dollars. Le Japonais est intransigeant, mais le flou juridique qui entoure l’exploitation de Yuzu ne garantissait pas forcément sa victoire au sein d’un procès.
Pourtant, avant même de prendre la peine de se battre, Yuzu donne raison à Nintendo, Tropic Haze a non seulement accepté de payer 2 400 000 $ à Nintendo, mais affirme même que Yuzu est "principalement conçu pour contourner et jouer aux jeux Nintendo Switch". La société ne travaillera plus sur son émulateur, et se refuse maintenant d'héberger la plateforme, d’en distribuer les fonctionnalités et d'accueillir des sites web qui en font la promotion. L’entreprise cède aussi le nom de domaine yuzu-emu.org à Nintendo, et supprime "tous les outils de contournement utilisés pour développer ou utiliser Yuzu - tels que TegraRcmGUI, Hekate, Atmosphère, Lockpick_RCM, NDDumpTool, nxDumpFuse et TegraExplorer", en remettant à Nintendo tous les "dispositifs physiques de contournement" et le "matériel Nintendo modifié". Bref, Yuzu est dès à présent le tabou de la boîte et entraîne dans sa chute l'émulateur Nintendo 3DS Citra, lequel a été créé en avril 2014 et bénéficiait encore de mises à jour jusqu'en février de cette année.
Yuzu et son équipe ont toujours été contre le piratage. Nous avons commencé les projets en toute bonne foi, par passion pour Nintendo, ses consoles et ses jeux, et nous n'avions pas l'intention de causer du tort. Mais nous constatons aujourd'hui que nos projets, en contournant les mesures de protection technologique de Nintendo et en permettant aux utilisateurs de jouer à des jeux en dehors du matériel autorisé, ont donné lieu à un vaste piratage. En particulier, nous avons été profondément déçus lorsque des utilisateurs se sont servis de nos logiciels pour faire fuir le contenu de jeux avant leur sortie et ruiner l'expérience des acheteurs légitimes et des fans - Message publié sur le discord de Yuzu
Et pour beaucoup, c’est un coup de massue pour la préservation des jeux. Certains estiment en effet que si Yuzu peut prêter à des pratiques douteuses, Citra relève davantage de la conservation de jeux d’archive, qu’on ne peut désormais plus trouver sur les boutiques officielles de Nintendo depuis la fermeture de l'eShop de la 3DS en mars 2023. Conséquence directe de cette décision drastique : l’afflux de nouveaux logiciels d'émulation, éparpillés sur les réseaux sociaux et laissés à la disposition des amateurs de la pratique dans l’espoir de prendre le relais du mastodonte Yuzu.
L'émulation, pratique légale mais crontroversée
Il est toujours bon de rappeler que l’émulation est d’abord une pratique tout à fait légale. Par définition, elle permet seulement de faire fonctionner des jeux conçus pour une plateforme spécifique sur une autre, souvent en imitant le matériel d'origine via un logiciel. Elle a ses fervents partisans, qui plaident l’importance du patrimoine vidéoludique et la favorisation de l'innovation ; et puis il y a les propriétaires, pour qui l'émulation soulève des préoccupations majeures quant à la violation des droits d'auteur. C’est pour cette raison que certains émulateurs sont même développés en collaboration avec les éditeurs/développeurs, légitimant ainsi leur utilisation. Un thread Twitter de l’internaute MisterDorian, CM et journaliste, explique d’ailleurs que Yuzu ne fournit pas directement de jeux piratés et estime que moralement, “accuser un émulateur d'inciter au piratage est comme accuser VLC ou n'importe quel lecteur vidéo d'en faire de même”. Aujourd'hui si Yuzu perd le soutien de Tropic Haze, l’émulateur reste open source, et donc exploitable par qui le veut.
⚠️ L'ÉMULATION EST LÉGALE ⚠️
— MisterDorian (@MrDorian71) March 5, 2024
Depuis hier, je lis beaucoup de choses et de nombreuses croyances sur Yuzu, Nintendo et le sujet de l'émulation.
Il est important de connaître vos droits en la matière, et de parler un peu plus de pourquoi Yuzu a fermé.
🧵🧵🧵 https://t.co/fy6Z46cXYy
Aux Etats-Unis, il existe même une jurisprudence entre Sony et Bleem, un cas de 1999 qui fait un peu écho à celui d'aujourdhui, Bleem étant également une entreprise spécialisée dans l'émulation. Mécontent de la présence majeure qu’elle pourrait occuper chez les consommateurs, Sony a intenté des actions en justice alléguant la violation de droits d'auteur et la contrefaçon. Le japonais accusait Bleem d'avoir volé sa technologie quand ce dernier affirmait avoir utilisé des outils disponibles dans le commerce, réfutant des pratiques anticoncurrentielles. C’était à l’heure où Sony était bien moins enclin à voir ses jeux portés sur PC, lui qui imposait des frais de licence estimés à 10 dollars par production. "Nous préférons une plateforme agnostique. Si Sony ne parvient pas à garder la mainmise sur la PlayStation, nous, les développeurs, commencerons à rechigner à payer des royalties", déclarait alors dans le cadre de l'affaire Robert Stevens, porte-parole du studio Boss Game Studios, dans les colonnes de Forbes. Finalement, en 2000, les deux parties ont conclu un règlement à l'amiable hors tribunal, permettant à Bleem de poursuivre ses activités sous certaines conditions. L'affaire a néanmoins eu un impact significatif sur le débat qui entoure la légalité des émulateurs de jeux vidéo et a renforcé le flou juridique qui l’entoure. Et à cause de frais de justice trop lourds à supporter, Bleem a finalement dû fermer ses portes quelques mois plus tard. D'abord perdant, le grand a finalement mangé le petit.
Pourquoi Yuzu a capitulé ?
Sur le sujet de l’émulation, la position de Nintendo est très ferme, l’entreprise étant fermement opposée à toute forme d'émulation. Sur sa page de questions/ réponses, elle déclare :
“Bien que nous reconnaissions la passion des joueurs pour les jeux classiques, soutenir l'émulation, c'est aussi soutenir le piratage illégal de nos produits. Dans la mesure du possible, Nintendo et ses licenciés s'efforcent de trouver des moyens de proposer des jeux classiques légitimes sur les consoles actuelles (par le biais des titres de la Console virtuelle, par exemple).
Des informations erronées circulent sur l'internet concernant l'exception relative à la sauvegarde et à l'archivage. Il s'agit d'une limitation très étroite qui s'applique aux logiciels informatiques. Les jeux vidéo sont constitués de nombreux types d'œuvres protégées par le droit d'auteur et ne doivent pas être classés dans la catégorie des logiciels uniquement"
Si Yuzu ne propose pas directement le téléchargement illégal de Tears of the Kingdom, Nintendo accuse ses développeurs d’en permettre le piratage et déplore que les "clients respectueux de la loi" ont été "contraints d'éviter les médias sociaux pour ne pas voir de spoilers et préserver leur surprise et leur plaisir lors de la sortie du jeu" à la suite de la fuite du jeu. Le géant pointe aussi du doigt les termes employés dans le guide de démarrage rapide de Yuzu, : "Pour commencer à jouer à des jeux commerciaux, Yuzu a besoin de quelques fichiers système provenant d'une console Nintendo Switch HACKABLE afin de les jouer correctement". Une citation qui met en cause les méthodes de décryptage gravitant autour de Yuzu et leur bonne foie.
Mais pourquoi Yuzu abandonne sans même se battre ? Si Yuzu a abandonné si vite, c’est sûrement qu’il préférait éviter un scénario justifiant d'énormes frais d'avocat pour mener l'affaire jusqu'à la victoire d'un procès. Richard Hoeg, un avocat d'affaires qui anime le podcast Virtual Legality, a suggéré à The Verge : "C'est beaucoup d'argent (2 400 000 $ de dommages et intérêts) , mais c'est un montant connu, et je soupçonne que le conseil qu'ils recevaient était que leur exposition était élevée et qu'ils avaient de bonnes chances de perdre après avoir payé des avocats pendant une longue période."
Si Yuzu est évincé, l'émulation Switch est encore loin de l'être. Reste à savoir combien de temps Nintendo attendra avant de s'attaquer à Ryujinx, un autre émulateur qui a jusqu'à présent évité toute action en justice. S'il veut être intransigeant, le géant va aussi devoir se battre contre les cartes R4 qui font maintenant le tour d'internet, lesquelles sont fournies avec leur petit micro SD qui font déjà baver des milliers de potentiels acheteurs.