Licenciements en masse, gros projets annulés, investissements douteux... cette compagnie de jeux vidéo connaît un désamour des joueurs sans précédent.
Ça bouge encore chez Embracer Group : Les développeurs du remake de Star Wars : KOTOR, Saber Interactive, auraient quitté la société mère, en difficulté, dans le cadre d'un accord de 500 millions de dollars, pour passer en indépendant. 500 millions de dollars, c’est bien moins que les 525 millions de dollars que le géant suédois a versé pour l'acquisition de la société en 2020, soit seulement quatre ans plus tôt. Selon Bloomberg, le remake est toujours en cours de réalisation, même si de petits doutes subsistent toujours quant à sa sortie. Rappelons qu’en novembre dernier, le PDG d'Embracer, Lars Wingefors, a refusé de répondre à une question sur le remake lors d'une présentation financière, déclarant seulement : "Je remarque que tout ce que je dis à ce sujet fait la une des journaux, c'est donc mon seul commentaire". On rappelle que Saber Interactive développe également Warhammer 40 000 : Space Marine 2, jeu très attendu par les aficionados de la licence, et dont la sortie est prévue en septembre. Pour certains, lâcher la boîte à un stade aussi culminant est un affront. Parallèlement, Kotaku affirme que le studio Gearbox, que vous connaissez bien pour la licence Borderlands, sera vendu à un acheteur anonyme et que la vente est actuellement "en cours de finalisation". Embracer Group a racheté Gearbox pour 363 millions de dollars en 2021 seulement. Mais que se passe-t-il donc chez Embracer, qui enchaîne les mauvaises nouvelles et hérite en ce moment du titre de compagnie de jeux vidéo la plus détestée du moment ?
Embracer : le briseur de rêves, et d’emplois
Dans la catégorie “je licencie en masse”, Embracer est actuellement un champion et s’est séparé de 1 387 personnes depuis le début d'une restructuration en juin dernier. L'effectif total d'Embracer a été réduit de 904 personnes au cours du deuxième trimestre de son exercice financier, puis de 483 autres au cours du troisième trimestre. C’est tout simplement 8 % de l'effectif global du groupe. On rappelle que le groupe a également annulé 29 jeux non annoncés au cours des deux trimestres, un chiffre absolument colossal. Il a aussi fermé un certain nombre de ses studios prestigieux, dont Free Radical, qui travaillait sur le nouveau volet de la série TimeSplitters, aujourd'hui annulé, et Volition, le développeur de Saints Row. Autant dire que la réputation du géant Suédois est loin d’être glorieuse depuis quelques mois, d’autant que des milliers de nostalgiques attendaient le retour en grâce de leur licence adorée, successeur spirituel de la licence GoldenEye disparu depuis bientôt vingt longues années. Les créateurs de la série, Steve Ellis et David Doak, avaient même été invités à participer à ce renouveau. Aux yeux du monde, Embracer n’est désormais rien d’autre qu’un briseur de rêves. "Aujourd'hui, nous devons confirmer la fermeture officielle de Free Radical Design et dire au revoir à de nombreuses personnes remarquables, talentueuses et travailleuses", indiquait la société mère Plaion sur LinkedIn quelques jours avant Noël. C'est la deuxième fois que Free Radical fermait ses portes, de quoi briser encore plus les cœurs.
Dernièrement, Embracer laissait encore des milliers de joueurs meurtris avec l’annulation d’un jeu Deus Ex. Eidos Montréal a perdu 97 personnes fin janvier dans le cadre de l'annulation du projet, en préparation depuis deux ans. Le studio avait repris le travail sur la franchise avec l'excellent Deus Ex Human Revolution en 2011. La firme a aussi pondu Deus Ex The Fall sur iOS et Android, ainsi que Deus Ex Mankind Divided en 2016 sur PC et consoles. Après plus de huit ans d'absence, autant dire que les nouvelles au sujet d'un nouvel épisode étaient attendues de pied ferme. Si on voyait d’abord Embracer Group comme le sauveur des licences oubliées, il en est maintenant l'horrible bourreau.
Embracer le géant trop gourmand
Pour ceux qui n'en ont jamais entendu parler, Embracer est une société holding, qui par définition, prend des participations financières dans d’autres sociétés et en contrôle l'activité. Depuis 2017, le mastodonte anciennement appelé Nordic Games Publishing ou THQ Nordic AB a empilé bon nombre d’éditeurs de jeux, accumulant les rachats et les reprises de gros projets. Le YouTubeur Monsieur Plouf en parle d’ailleurs très bien dans une vidéo baptisée “L’industrie du jeu vidéo va mal”, dans laquelle il rappelle même que le groupe s’est tout bonnement payé les droits du Seigneur des Anneaux pour la modique somme de 395 millions de dollars. Dernièrement, ces gourmands possédaient pas moins de 138 studios internes éparpillés sur 40 pays, incluant quelques marques à forte valeur sentimentale grâce aux studios à l'origine de Tomb Raider, Deus Ex et Borderlands. En 2022, Axios rapporte même que le groupe a dépensé 1 milliard de dollars pour 20 acquisitions.
Mais voilà qu’en 2023, le suédois annonce une grosse restructuration, vouée à rendre l’entreprise “plus légère, plus forte, plus ciblée et plus autonome". Traduction : des studios, et donc quelques milliers d’employés, vont être envoyés à la trappe, tout comme certains gros projets de jeux vidéo. Dans une lettre ouverte, le PDG Lars Wingefors indique vouloir davantage se concentrer sur les IP internes et faire appel à des financements externes pour ses gros projets. “L'ère des grandes dépenses touche à sa fin ; il est temps de rentabiliser ses investissements”, lâche ainsi le patron, qui enchaînait encore les investissements l’année d’avant. Finalement, Embracer a peut-être eu les yeux plus gros que le ventre.
"Si l'on considère la réduction de 8 % de la main-d'œuvre Embracer, il est évident - je ne connais pas le chiffre pour l'ensemble du secteur, mais je pense que c'est quelque chose que tout le monde doit surmonter. Je veux dire, comme je l'ai dit, que c'est plus dû au surinvestissement des années précédentes parce que tout le monde a mis tout son capital dans les jeux et peut-être un peu trop dans certains cas” - Lars Wingefors lors des questions-réponses sur les résultats de l'entreprise.
Un analyste a souligné que le nombre de projets en développement d'Embracer avait chuté de 20 à 25 % après la restructuration et que, "avec le recul, cela contribuait clairement au surinvestissement de l'industrie".
La collaboration de l’échec
Mais pourquoi ce rétropédalage si brutal ? Le PDG désigne de son côté "la détérioration de l'économie et de la réalité du marché" quand les experts ont en réalité repéré une autre raison bien plus dévastatrice. Les difficultés financières d'Embracer Group ont réellement commencé à la suite de l'échec d'un accord de 2 milliards de dollars, apparemment entamé avec la société Savvy Games Group, financée par le gouvernement saoudien. Savvy est plus concrètement le véhicule par lequel le pays du Moyen-Orient canalise les investissements dans l'industrie des jeux vidéo ; il a déjà investi dans Nintendo, Take-Two et Capcom. Avant cet échec, la boîte avait déjà investi 1 milliard de dollars dans le groupe suédois, dans l’idée de l’encourager dans sa folle quête d’investissements et de consolider la présence de Savvy sur le marché. Une collaboration naturellement vivement critiquée en raison des innombrables violations des droits de l’homme commises par le gouvernement saoudien. Et si Wingefors a tenu à affirmer que les valeurs suédoises de l’entreprise restaient “inébranlables” quoi qu'il arrive, il s’était tout de même bien tenu de révéler l’identité de son bienfaiteur avant qu’Axios ne le fasse à sa place. La raison de cet abandon n’a jamais été officialisée, mais dans le même temps, Embracer a revu à la baisse ses prévisions de bénéfices pour l'année 2023 en raison de multiples retards dans les jeux et a terminé l'année avec une dette nette de 1,4 milliard d’euros.
Résumons donc l’affaire : Embracer, nouveau venu sur le marché des jeux, s’est rêvé comme sauveur des vieilles licences adorées en rachetant plusieurs studios AA stagnants avant de solliciter des millions de dollars auprès du gouvernement saoudien et d’échouer complètement, se voyant forcé de dissoudre les studios qu'ils avaient acquis. Un rapide tour sur les réseaux permet de se rendre compte du désamour rencontré par la compagnie : “Un cas classique d'investisseurs stupides qui ont mis en jeu la carrière de centaines de personnes sur des plans irréalistes et de mauvais paris, et qui ont ensuite tout perdu” déplore un internaute sur Reddit, quand un autre se rappelle : “Je me souviens avoir été très enthousiaste il y a 6 à 12 mois à l'idée que tous ces studios et IP classiques aient une nouvelle chance. Aujourd'hui, ce n'est plus le cas”. Et sur Twitter, même constat : “Je déteste Embracer Group avec passion. Est-ce pour cela que vous achetez tous ces éditeurs/développeurs, pour simplement les fermer ? Absolument ridicule.”