Pendant longtemps, on ne savait pas vraiment comment parler de la vieillesse dans les jeux vidéo. Les personnes âgées étaient cantonnées à des rôles parfois risibles, souvent clichés. Mais depuis quelque temps, une poignée de jeux vidéo se sont saisis d’une mission : vous donner envie de vous intéresser un peu plus à vos grands-parents. Et ça marche !
Cet article est un billet d’opinion, il est par nature subjectif. L'avis de l'auteur est personnel et n'est pas représentatif de celui du reste de la rédaction de JV.
Mamie, raconte moi une histoire
En traînant inlassablement sur X, un petit jeu a récemment attiré mon attention. Le tweet disait, en gros, “si vous avez aimé Unpacking, jetez un oeil à Tell Me Your Story !” Mais quelle histoire peut bien avoir envie de nous raconter ce petit puzzle-game ? Et bien il s’agit de celle de Rose, la grand-mère de la jeune Amelia, une grand-mère qu’elle ne connaît pas vraiment. Entendez par là qu’elle ne sait pas ce qu’elle a vécu, le type de vie qu’elle a mené. À vrai dire, la jeune fille se fait une toute autre idée de sa grand-mère avant de lui rendre visite dans sa maison reculée du monde : “Avant de venir, Amelia pensait quelque chose du genre “c’est ma vieille grand-mère qui a besoin d’aide”, expliquent les développeurs sur Steam, “mais après coup elle réalise que son aînée a bien plus à offrir qu’il n’y paraît.” 'En l’aidant à ranger ses affaires, c’est des souvenirs par dizaines qu’elle va déterrer et qui vont l’emmener aux quatre coins du monde. Car oui, mamie était une globe-trotteuse, une “âme libre même si la façon dont elle a été élevée lui a inculqué l’inverse.” Amelia, elle est probablement comme beaucoup d’entre nous au final. Nombreux sont les petits-enfants qui ne connaissent pas l’histoire qui se cache derrière leurs grands-parents, se faisant même souvent une vision erronée de ces derniers. 'Car comme le rappellent les développeurs, “aucune grand-mère est toujours grincheuse - on peut aussi avoir des rides en souriant, vous savez !" ''
Si je vais très certainement me laisser tenter par ce petit puzzle game minimaliste quand il sortira, Tell Me Your Story a surtout alimenté chez moi une envie d’en apprendre plus sur mes propres grands-parents. Surtout qu’à bien y regarder, il ne s’agit pas du seul jeu qui a pris ce parti dernièrement, de façon plus ou moins explicite. Pourtant, on partait de loin. Comme le soulignait Erwan Higuinen dans son blog en 2016, “les seniors restent extrêmement minoritaires parmi les stars vidéoludiques.” Certaines figures se sont certes démarquées, notamment du côté des jeux de combat ou les jeux d’horreur, mais elles proposent globalement une représentation soit totalement loufoque, soit carrément caricaturale. Mais au global, les personnes âgées n’intéressent pas les gros studios. Et même des initiatives atypiques telles que The Graveyard donne au final un tableau peu réjouissant de la vieillesse : c’est monotone, c’est sombre, c’est lent… Sauf que vieillesse, ça ne rime pas forcément avec lenteur, fatigue et désespoir. La vieillesse, c’est avant tout synonyme d’expérience. Cette expérience, c’est elle qui a mené au développement la figure du vieux sage, que l’on retrouve notamment dans des licences comme Chrono Trigger, The Legend of Zelda ou Final Fantasy. Mais cette expérience, on peut aussi la voir avant tout comme une histoire qui a permis de construire au cours de longues années la personne que vous avez en face de vous. C’est cette histoire que nous propose de découvrir Tell Me Your Story, mais aussi des titres récents comme A Walk With Yiayia ou Dordogne, et à venir comme Sopa.
Petit à petit, le jeu vidéo (principalement indépendant) s’intéresse de plus en plus à la transmission des souvenirs de nos aînés. Et à vrai dire, il n’est pas le seul. Disney s’est par exemple attaqué avec brio à ce sujet en 2017 avec le film Coco. Quelques années plus tôt sortait le film Les Souvenirs, nous plongeant dans le passé de la grand-mère de Romain (Mathieu Spinosi). Dans un autre domaine, on peut également citer le podcast SOUVENIRS D'ENFANT, qui conte depuis plus de deux ans les “témoignages de transmission de mémoire de nos anciens.” Côté livres, on peut citer des œuvres récentes comme Suzette ou le grand amour, Les amants de l'été 44 ou 12301 Jours avec ma mamie. Jamais on a eu le droit à autant d'œuvres s’intéressant à l’histoire de nos aînés. Et d’ailleurs, cet intérêt nouveau se voit au nombre de journaux de grand-mère à remplir qui se sont multipliés ces dernières années : Mon journal de grand-mère, Grand-mère, dis-moi tout, Mamie, parle-nous de toi, Le carnet de ma grand-mère, Mamie, j'aimerais connaître ta vie, Grand-Mère - de toi à moi, Grand-mère, raconte ton histoire, Grand-mère raconte-moi… Récemment, des entreprises visant à faire perdurer les histoires de famille. C’est notamment le cas des Souvenirs Partagés, qui permettent aux personnes âgées de créer une boîte à souvenirs ou d’enregistrer leur histoire en vidéo pour leurs proches. En une dizaine d’années, un véritable marché semble s’être développé : le marché de la transmission. Et si marché il y a, cela veut surtout dire qu’il y a une demande. Mais alors, pourquoi on s’intéresse (enfin) plus à nos anciens ?
Mieux connaître sa famille pour mieux se connaître ?
Pour trouver une piste de réponse, je me suis tournée vers une enquête Ipsos de 2010 qui affirme que 6 Français sur 10 s’intéressent à la généalogie. Et la majorité d’entre eux le feraient pour apprendre “à mieux connaître leurs ancêtres et pour transmettre l’histoire familiale aux plus jeunes.” Et c’est assez marrant, car des gens qui cherchent à mieux connaître leurs ancêtres pour mieux se connaître eux-mêmes, j’en ai vu quelques-uns ces derniers temps, notamment à la télévision. Certains d’entre-eux entreprennent d’ailleurs une thérapie allant dans ce sens : la psychogénéalogie ou l'analyse transgénérationnelle. Développée dans les années 70, cette dernière a tout particulièrement gagné en popularité ces dernières années. À la télé, à la radio… On en parle partout, même dans les jeux vidéo, puisqu’au final c’est un peu de cela dont parle What Remains of Edith Finch. Mais malgré une popularité grandissante, la psychogénéalogie est loin de faire l’unanimité parmi les thérapeutes, faute de véritable preuves scientifiques et formations reconnues. Il faut donc aborder cette pratique (qualifiée de pseudoscience) avec beaucoup de pincettes et se renseigner sur les thérapeutes qui la pratiquent car les arnaques et dérives sectaires existent.
On ne va clairement pas se prononcer sur le débat ici. La seule chose que l’on peut décemment relever c’est qu’il existe des cas particuliers où l’histoire de nos grands-parents peut avoir un impact sur nos vies. C’est notamment le cas quand elle donne lieu à des scissions au sein de la famille ou quand un traumatisme a influé sur l’éducation de nos parents puis de la nôtre par exemple. Ça, c’est un peu le pitch de Dordogne. Outre son côté très dépaysant, le jeu d’UN JE NE SAIS QUOI sorti en juin dernier raconte surtout l’histoire d’une jeune femme qui revient sur les traces de l’histoire de sa grand-mère, grand-mère qu’elle a cessé de voir alors qu’elle était encore toute petite. À travers des objets, Mimi va se rappeler ses vacances passées en Dordogne auprès de sa mamie et découvrir pourquoi ses parents ont décidé de couper les ponts. Une belle histoire qui recrée du lien là où ce dernier a été rompu et aura peut-être donné envie à certains joueurs de reconnecter non seulement avec la nature, mais aussi les siens - si tant est que cela soit possible ou envisageable bien sûr. Tout lien n’est malheureusement pas bon à recréer, il est important de le rappeler…
Cette question de la transmission, elle a également un intérêt évident quand on parle de familles issues de l’immigration. Et tout naturellement, on retrouve ça dans plusieurs jeux vidéo récents. Dans Venba, la cuisine de la mère de Kavin est un peu le lien qui unit ce garçon canadien d’origine indienne à sa grand-mère et, par extension, sa culture. Plus haut, on évoquait A Walk With Yiayia qui a ouvertement été pensé pour nous montrer tout ce que certains ont à apprendre de leurs grands-parents. À travers des conservations très personnelles, c’est “une histoire émotionnelle connectant les expériences entre immigrants de première génération et leurs familles, tout en réfléchissant à ce qu'ils peuvent apprendre de leurs expériences respectives” que nous propose le titre de Trent Garlipp. Et visiblement, c’est réussi puisque non seulement le jeu rassemble des avis très positifs sur Steam, mais surtout certains joueurs se sont reconnus à travers cette aventure. “Pour mon expérience personnelle, le jeu n’a pas cessé de me renvoyer à mes propres souvenirs durant toute l’aventure” peut-on lire dans les avis ou, plus important encore vu le sujet de ce billet, “c’est une courte expérience sacrément salutaire qui m’a rappelé que je devais plus me lier avec ma propre grand-mère.”
Des réactions de ce genre, il y en a également eu concernant le jeu Lieve Oma. En rendant un vibrant hommage à sa grand-mère - “probablement la personne la plus importante pour moi et pour toujours” -, le créateur de ce jeu disponible sur itch.io a su faire vibrer la corde sensible de nombreux joueurs. Et si certains ont eu envie de partir en balade dans les bois avec leurs grands-parents après avoir joué au jeu, d’autres ont repensé à ceux qu’ils ont perdus, à ceux qu’ils n’ont jamais eus ou à ces moments ratés, ces questions sans réponses… Car dans une famille fonctionnelle, il y a non seulement de l’amour à aller chercher du côté de ses aînés mais aussi des choses à apprendre. Parfois ce sont de simples recettes, parfois une manière de cueillir les champignons, et parfois une autre façon de voir sa propre histoire, voire même l’Histoire…
Les histoires qui font l’Histoire
Donner un autre sens au passé, c’est aussi pour ça que certains veulent en apprendre plus sur l'histoire de leurs ancêtres. Ce sentiment, il est d’autant plus important aujourd’hui que nous sommes à un véritable tournant générationnel. En 2008, Lazare Ponticelli, le dernier vétéran français de la Première Guerre Mondiale, est mort, emportant avec lui le témoignage d’une époque révolue qui n’existe maintenant plus que dans les livres d’Histoire ou les musées. Ce n’est pas rien ! Surtout que le monde a beaucoup changé dernièrement. L’enfance de nos grands-parents n'a rien à voir avec la nôtre. Technologies, mœurs, situations… Certains ont encore des membres de leur famille qui ont connu la Seconde Guerre Mondiale, et ils sont malheureusement de moins en moins nombreux. Les souvenirs de cette guerre vont, à leur tour, finir par s'effacer s’il n’y a aucune forme de transmission. Et c'est d'autant plus préjudiciable, que découvrir l’Histoire à travers le prisme d’histoires personnelles, de vécus de personnes que l’on estime, ça apporte forcément un lien différent à cette dernière, moins distant.
D'ailleurs, c'est pour cette approche plus “familiale” qu'ont opté les développeurs d’Ubisoft Montpellier avec Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre. Au moment de mettre au point un jeu pour le centenaire de la Première Guerre Mondiale, Paul Tumelaire, Yoan Fanise, Simon Chocquet-Bottani et les autres ont choisi de conter l’histoire d’une famille tiraillée par le conflit : Emile et son beau-fils Karl sont tous les deux enrôlés, mais dans des camps opposés. Comment est-ce possible ? Et bien tout simplement parce que Karl est d’origine allemande et, comme beaucoup d’autres, il a été déporté par la France en anticipation de la guerre mondiale à venir. L’histoire de Karl et Emile, elle est commune à beaucoup de Français, notamment ceux qui ont vécu en Alsace-Lorraine. La choisir comme axe pour un jeu vidéo, ce n’est pas anodin. De plus, il y a quelque chose de très personnel dans ce jeu. S’il s’agit d’une fiction, les développeurs se sont beaucoup inspiré des récits de membres de leur famille, justement. Yoan Fanise a par exemple raconté que sa grand-mère lui avait donné les lettres écrites par son propre père pendant qu’il était sur le front. Il a même ajouté en jeu la véritable plaque d'identification de son arrière-grand-père. C’est peut-être cet authentique mélange entre Histoire et histoires familiales qui fait de Soldats Inconnus : Mémoires de la Grande Guerre un jeu sur la guerre aussi juste :
C’était un avantage d’avoir des gens au sein de l’équipe dont les familles ont traversé tout ça - on avait les histoires provenant de leurs familles et ce lien direct à la guerre nous a donné l’impression qu’on ne dévalorisait rien. On a fait tellement de recherches. On est allé sur place, dans les tranchées de front ouest en France, et on a parlé à tellement de gens. On a collecté tous ces faits et tous ces chiffres, et c’est rare de pouvoir montrer tout ce que tu as appris, en tant que développeur, dans un jeu. Mais avec celui-là, on a pu changer ça : on a mis toutes ces informations dans le jeu, comme ça les joueurs vont en apprendre autant que nous.
Yoan Fanise pour Vice
Venant de Lorraine, ma famille a un rapport tout plus particulier à la Seconde Guerre Mondiale. Un jour, ma grand-mère est rentrée chez elle… sauf qu’elle n’avait plus de chez elle. Le pâté de maisons avait été détruit, brûlé, détruisant au passage les vestiges familiaux stockés dans la cave. S'en sont suivis des déménagements à la pelle, car pour les civils, c'était ça aussi la guerre. Elle n'était alors qu’une enfant. Et puis il y a l'histoire de cette grand-mère qui a perdu son père alors qu’elle n’avait que quelques mois, tué sans autre forme de procès par les Allemands à cause d’une fausse dénonciation. Ces histoires dans l’Histoire, elles sont nombreuses. Un créateur de jeu vidéo a d'ailleurs tenu à conter celle de sa famille, qui lui a justement donné envie de jouer avec le temps avec Prince of Persia : Les Sables du Temps (cf cet article). Et je finis avec une dernière petite anecdote qui me vient d'un proche : c'est en écoutant les récits de son grand-père sur son propre paternel (résistant pendant la guerre) qu’il a commencé à s’intéresser à l’Histoire, jusqu’à en faire son sujet d’étude post-bac. Comme quoi l’Histoire et notre histoire sont profondément liées, et il suffit parfois de quelques discussion pour le réaliser. Sur ce, j’ai quelqu'un à appeler avec tout ça, et peut-être que vous aussi !