Durant sa carrière, Spike Jonze n’a pas réalisé beaucoup de longs-métrages. Se comptant sur les doigts d’une main, ils sont malgré tout parvenus à laisser des traces. C’est le cas de son dernier film (hors documentaire) sorti en France en 2014, racontant l’histoire d’un personnage sensible, incarné par Joaquin Phoenix, qui tombe amoureux… d’une intelligence artificielle.
Sommaire
- La croisée des chemins
- L'amour à la plage de cellules
- Et maintenant ?
- Mieux vaut être seul qu’accompagné par une IA
La croisée des chemins
De Retour vers le Futur 2 à Blade Runner, nombreux sont les films des années 1980 à avoir dépeint des années 2010 avec des voitures volantes et des androïdes. Malgré de belles avancées dans l'aéronautique et la robotique, nous ne sommes pas arrivés à de telles avancées technologiques. Quand bien même l’Aeroht eVTOL Flying Car aurait montré le bout de sa carrosserie au CES 2024, ou que l’Optimus Gen 2 ferait de beaux progrès dans les laboratoires de Tesla, les voitures volantes hyper rapides et les androïdes quasiment humains du cinéma sont encore du domaine de la science-fiction. Il en est de même pour beaucoup d’autres technologies qui ont fait rêver des scénaristes de tous horizons telles que la téléportation, le costume d’invisibilité, le rayon rétrécisseur, voire le paradis artificiel/virtuel.
Cependant, d’autres avancées qui étaient autrefois réservées au royaume de l’imaginaire sont devenues beaucoup plus concrètes. Nous pensons bien évidemment aux membres bioniques, aux hologrammes, aux exosquelettes ou encore à la réalité virtuelle. Si bien qu’à un moment, il est difficile de savoir si ce sont les écrivains/réalisateurs qui ont vu juste ou si ce sont les ingénieurs/techniciens qui se sont inspirés des œuvres qui les faisaient rêver pour se lancer dans des projets futuristes. La réponse se situe sûrement à la croisée des chemins. Il y a en tout cas un film, sorti le 14 mars 2014 en France, qui a vu juste sur notre relation avec l’intelligence artificielle : HER. Certes, l’assistant vocal d’Apple, Siri, était là dès 2011, mais Spike Jonze, ici réalisateur et scénariste, a bien compris que l’IA deviendrait plus qu’un simple outil du quotidien.
L'amour à la plage de cellules
HER s’intéresse au nerd moustachu de Theodore Twombly, incarné à l’écran par Joaquin Phoenix, qui, après une rupture sentimentale douloureuse, s’enferme dans la dépression. Celui qui a pour métier d’écrire des lettres ne parvient pas à signer les papiers de son divorce. Sa vie devient une grande page blanche tandis qu’une routine monotone s’installe. Les choses commencent à changer quand Theodore se procure le nouveau système d’exploitation OS1, doté d’une intelligence artificielle de nouvelle génération capable d’apprendre en une fraction de seconde et de s’adapter à toutes les situations. Après un petit calibrage, “Samantha”, une IA communiquant avec la voix chaude de Scarlett Johansson, entre dans l’appartement du nerd abattu. Puis dans sa poche, en prenant possession de son smartphone, et enfin, de son cœur. Plus il passe de temps avec elle, plus l’homme tombe amoureux de la machine.
Avec HER, Spike Jonze signe une œuvre aux multiples facettes, à la fois romance SF, fable philosophique et film d’anticipation. Se déroulant dans un futur proche sans qu’une date ne soit précisée, le récit s’attarde sur une histoire d’amour impossible, de celle qui d’habitude prête à sourire, comme dans Une fiancée pas comme les autres (2007, de Craig Gillespie) où un Ryan Gosling – lui aussi moustachu – succombe aux charmes d’une poupée gonflable. Sauf que sous son vernis de comédie romantique légère, accentué par une image aux couleurs pastel, HER délivre une réelle réflexion sur notre rapport à la technologie. Et plus particulièrement sur un point particulier : l’IA nous déshumanise au fur et à mesure que nous la laissons entrer dans nos vies. Et pourtant, nous continuons de la laisser prendre de l’importance partout, tout le temps.
Et maintenant ?
Autrefois qualifié de film d’anticipation, bien que les smartphones faisaient déjà largement partie de notre quotidien en 2014, HER a compris que les assistants vocaux allaient évoluer en partenaires de vie, et que leur faculté d'apprendre, d'entendre, de lire, de répondre, servirait aussi à combler la solitude des hommes. En 2024, le Rabbit R1, un petit boîtier animé par l’IA à emporter partout, promet de répondre à des requêtes complexes que les assistants actuels (Alexa, Google Home, Siri) sont incapables de gérer en croisant les données des applications. L’AI Pin, de son côté, est un petit appareil avec qui nous devrions pouvoir communiquer aisément pour qu’il réponde à toutes nos questions, grâce à sa caméra intégrée. Il serait ainsi capable d’identifier un monument, un modèle de voiture, ou le prix d’un jeu vidéo que l’on a en face de soi. La drague n’est pas encore un sujet pour ces boîtiers, mais cela ne saurait tarder : l’IA sert déjà à combler la solitude.
Récemment, une nouvelle étape a été franchie dans le développement des “IA girlfriends”. Amouranth, la célèbre streameuse, s’est rapprochée de spécialistes de l’intelligence artificielle pour proposer AI Amouranth, une “assistante” parlante permettant de discuter “comme dans la vraie vie” avec la jeune femme. Tous les types de discussion sont permis, sans risquer de se faire bannir ou de terminer en prison, alors que les bons élèves peuvent recevoir des photos ou des clips vidéo de l’influenceuse. Elle a révélé en janvier 2024 qu’en moins de 24 heures, ce clone lui a permis de générer plus de 34 000 dollars grâce à quatre formules d’abonnement mensuel allant du “Friend Plan” à 5,99 dollars à “Boyfriend Plan” à 199,99 dollars. D’après Capital, “l’intelligence artificielle pourrait rebattre, à terme, les cartes dans le milieu de l’érotisme et de la pornographie”. C’est, là aussi, d’une certaine manière, un des points abordés dans HER.
Mieux vaut être seul qu’accompagné par une IA
De son côté, Character.ai offre la possibilité de communiquer avec des IA inspirées de personnalités réelles comme virtuelles, allant d’Elon Musk à Raiden Shogun de Genshin Impact. Selon Les Echos, cette IA générative serait particulièrement utilisée par les plus jeunes, et permettrait de combler l’isolement de ces derniers. L’IA pour lutter contre la solitude, qu’elle soit affective ou non, est une piste à envisager pour l’avenir, d’après le professeur Murali Doraiswamy. Dans un article publié par ici, il précise qu’avec “des directives éthiques appropriées”, les robots pourraient aider “à créer une société plus saine”.
Le succès insolent de l’influenceuse 100 % virtuelle Aritana Lopez, fruit du travail d’une agence espagnole qui permettrait de générer environ 10 000 euros par mois, montre en tout cas que notre rapport au virtuel évolue et que de nombreuses portes sont définitivement ouvertes pour la machine. Ce que nous apprend HER, dans ses ultimes minutes, c’est que malgré l’ingéniosité formidable de l’intelligence artificielle, elle n’est qu’une béquille. Et elle ne doit à aucun moment être perçue d’une autre manière.