Le fabricant de puces américain Intel sera le premier client d'ASML à recevoir une Twinscan EXE:5000. Il s'agit d'une machine de lithographie UVE à grande ouverture à la pointe de la technologie. Pendant ce temps, les sanctions commerciales empêchent la Chine d'accéder à cette technologie de pointe. On vous explique tout ça.
Rappel général sur ce qu'il se passe en ce moment dans l'industrie des puces mondiale et les tensions entre la Chine et les États-Unis
Sur JVTECH, nous suivons de près les derniers mouvements de l'industrie des puces. Pourquoi ? Parce que cette industrie est la mère de toutes les autres. Ces pièces de tech extrêmement pointues se retrouvent partout, des smartphones aux PC en passant par les TV 4K ou les voitures électriques. Absolument tout le monde a besoin de puces.
Oui mais voilà, pour créer des puces très puissantes, il faut des machines capables de prouesses techniques. On appelle cela des machines de photolithographie. Les machines de photolithographies à ultra-violets extrêmes (UVE) sont les plus avancées du marché. Elles sont si complexes et onéreuses à fabriquer qu'une entreprise néerlandaise se trouve actuellement en situation de monopole mondial sur le secteur. Cette entreprise s'appelle ASML et elle fournit tous les constructeurs de puces du monde, notamment le géant Taïwanais TSMC, le géant Coréen Samsung ou le géant américain Intel. Si une boîte concurrente à ASML voulait se lancer, il lui faudrait des dizaines de milliards de dollars d'investissement et au moins une bonne décennie de recherche et développement.
Dans l'industrie des puces, les États-Unis et la Chine se mène une grande guerre économique. Le pays de l'Oncle Sam a ainsi bloqué l'Empire du Milieu en s'alliant avec toutes les grandes puissances de l'industrie des puces... notamment les Pays-Bas, donc ASML. Suite à diverses séries de sanctions, la tech chinoise, pourtant en plein boom, n'a plus accès aux meilleures machines de photolithographie du marché et se retrouve donc dans une impasse.
Les machines de photolithographie UVE gen 2 arrivent enfin sur le marché et ce sont les États-Unis qui y auront droit en premier !
Nous assistons à l'un des mouvements les plus importants de ces dernières années dans l'industrie des semi-conducteurs : ASML a livré à Intel son premier équipement de photolithographie UVE de deuxième génération. Nous parlons ici du Twinscan EXE:5000, une machine à grande ouverture (High-NA) qui surpasse toutes les autres solutions disponibles sur le marché.
Intel ayant passé sa commande en 2018, le fabricant américain de processeurs a dû attendre environ cinq ans pour mettre la main sur le dernier-né de l'entreprise néerlandaise. L'attente en valait la peine puisque l'équipe de Pat Gelsinger sera bel et bien la première sur la planète à avoir accès à ce précieux outil, dont le coût se situe entre 300 et 400 millions de dollars.
Le Twinscan EXE:5000 et les composants complémentaires dont il a besoin pour fonctionner ont quitté Veldhoven, aux Pays-Bas, pour rejoindre l'usine d'Intel à Hillsboro, aux États-Unis. Intel devrait donc installer la machine dans les prochains mois pour commencer à l'expérimenter dans la foulée. Ne vous affolez pas trop, la bête aura droit à une relativement longue phase de test. Comprenez par là qu'elle ne sera pas utilisée pour produire des puces de pointe à l'échelle commerciale dans l'immédiat. Selon les données d'ASML, l'usine de Hillsboro passera à la production à grande échelle en 2025, il faudra donc être patient.
Quoi qu'il en soit, ce précieux équipement intervient alors que l'entreprise américaine Intel tente de regagner la place qu'elle a perdue dans l'arène des semi-conducteurs, où elle était autrefois le leader incontesté. La feuille de route de l'entreprise indique que son processus de fabrication 18A (1,8 nanomètre de finesse de gravure) sera prêt pour le second semestre 2024 et se présente même comme une alternative compétitive au nœud N2 de TSMC, l'entreprise taïwanaise qui mène le marché aujourd'hui.
L'impact de ces nouvelles machines sur le conflit Chine / États-Unis dans l'industrie des puces
Lorsque nous parlons d'équipement EUV High-NA, nous faisons référence à des solutions de nouvelle génération, qui coûtent deux fois plus cher que la génération précédente et qui atteignent une ouverture optique de 0,55 NA (par rapport aux 0,33 disponibles actuellement). D'un point de vue pratique, cela se traduit par la possibilité de produire des puces au-delà de 3 nanomètres à raison de 200 plaquettes par heure en moyenne. Pour rappel, les puces gravées en 3 nm viennent de débarquer sur le marché, notamment sur les meilleurs produits Apple de 2023 et 2024. Les surpasser représente une véritable percée pour l'industrie des semi-conducteurs.
Le déploiement de la technologie EUV High-NA a un impact direct sur la "guerre des puces". Nous vous le disions plus tôt, les États-Unis font tout ce qu'ils peuvent pour ralentir le développement des semi-conducteurs en Chine par des sanctions économiques et d'autres mesures. L'objectif de ces actions est très clair : limiter la capacité du géant asiatique à accéder aux technologies de pointe.
Malgré les efforts de Washington pour atteindre son objectif, nous avons été surpris de constater cette année que le smartphone chinois Huawei Mate 60 Pro intégrait une puce, la Kirin 9000S, qu'il aurait été techniquement impossible de fabriquer dans le cadre des contraintes technologiques de Pékin. En effet, les ingénieurs de l'Empire du Milieu ont réussi à optimiser comme personne les machines d'ASML à leur disposition (des machines à ultraviolet profond, moins performantes que les UVE). Huawei aurait ainsi pu fabriquer le Kirin 9000S sans trop de complications.
Face à cela, Washington n'est pas resté inactif. Le gouvernement de Joe Biden a déjà pris des mesures pour que les machines UVP ne puissent pas non plus atteindre la Chine. Ces nouvelles sanctions entreront en vigueur en janvier 2024, c'est-à-dire dans quelques jours. La Chine, qui tente de rattraper son retard en matière de technologie de fabrication de semi-conducteurs, n'a jamais eu accès à de l'équipement UVE de 1ʳᵉ génération. Or, comme nous venons de le voir, la deuxième génération commence à être déployée, ce qui place le pays dirigé par Xi Jinping dans une situation extrêmement compliquée dans la guerre des puces.