Dans la nuit de jeudi à vendredi, Baldur's Gate 3 a pris la place d'Elden Ring en tant que jeu de l'année, ou GOTY. Un sacre qui fera forcément parler de lui parce que Zelda : Tears of the Kingdom aurait dû l'avoir. Mais Super Mario Bros. Wonder et Marvel's Spider-Man 2 aussi. Un débat aussi absurde que stérile auquel il convient de mettre fin une bonne fois pour toutes.
Cet article est un billet d'opinion. Il est par nature subjectif et ne représente en aucun cas l'avis de la rédaction de JV.
La cérémonie des Game Awards est devenue l’un des événements incontournables de la planète jeu vidéo. Elle se tient lors du dernier mois de l’année et donne aux amateurs du média deux raisons majeures de s’y intéresser. Il y a d’abord les annonces inédites prévues par les éditeurs, permettant d’avoir du neuf concernant les jeux à venir.
Mais c’est surtout sa remise de prix qui provoque l’émulation : depuis 2014, c’est le titre de GOTY (ou jeu de l’année) qui est décerné à l’un des présélectionnés. L’édition 2023 n’a pas échappé aux débats enflammés concernant les nommés que sont Alan Wake 2, Baldur’s Gate 3, Marvel’s Spider-Man 2, Resident Evil 4, Super Mario Bros. Wonder et The Legend of Zelda : Tears of the Kingdom. Certains considèrent que le remake du jeu d’horreur de Capcom n’a rien à faire-là, que Hogwarts Legacy : l’Héritage de Poudlard aurait dû faire partie de cette liste finale ou encore d’autres comme moi qui considère que c’est TotK qui mérite le moins le prix cette année. Chacun y va avec son opinion.
Une polémique déjà agitée qui devrait atteindre des sommets ce week-end, peu de temps après la clôture de la cérémonie. Baldur's Gate 3 succède Elden Ring, sacré en 2022. Nul doute que chacun verra midi à sa porte, soit en défendant le nouveau couronné ou à l’inverse en cherchant à le discréditer. Quelque chose qui est futile est absurde.
Le jeu vidéo avec un grand J
Tout d’abord parce que les Game Awards constituent un peu la seule occasion de faire le point sur l’année écoulée que ce soit par nos déceptions, nos coups de cœur ou nos surprises. De quoi aussi se poser les bonnes questions sur l’évolution que l’on veut pour l’industrie mais aussi simplement s’interroger sur nos attentes vidéoludiques de l’année à venir. Paradoxalement, la cérémonie des Game Awards constitue le seul moment de l’année où l’on peut s’autoriser à prendre le temps de regarder en arrière.
Rien que pour cela, je trouve dommage d’accorder autant d’importance au grand gagnant. Oui, le proverbe dit que l’histoire ne retient que les gagnants. Mais il s’agit aussi de notre côté de changer les choses. Rien qu’avec les six jeux sélectionnés, il y a de quoi s’enthousiasmer en termes d’expériences proposées. Tout ça sans compter les différents nommés des autres catégories ! C’est justement la pluralité des expériences qu’il faut saluer : cela veut dire qu’il existe plusieurs types de joueurs, aux sensibilités différentes et aux vécus différents. Si Baldur's Gate 3 est probablement le jeu qui a fait vibrer le plus de monde, ce n’est pas grave s’il n’a pas marché avec nous. Bien au contraire, c’est même rassurant. C’est justement dans la lumière de cette consécration que l’on peut ajouter la touche finale à notre avis. Personnellement, le jeu qui m’a le plus séduit n’est nommé dans aucune catégorie aux Game Awards. Mais c’est bien l’émergence d’autres jeux dans cette course au sacre final qui m’a convaincu d’avoir mon avis ferme et définitif sur mon GOTY à moi.
De manière générale, je trouve malheureux donc que l’attention générale soit vampirisée par un seul et unique jeu. Cela met l’accent sur une question futile : “Pourquoi lui plus que les autres ?” au lieu de s’interroger sur les justifications des nominations des outsiders. Par ailleurs, les Game Awards constituent probablement une occasion de fierté pour les développeurs. C’est une récompense de leurs résultats, mais on peut légitimement penser que ce n’est pas pour les beaux yeux de Keighley et du trophée que les équipes se lèvent tous les matins. On imagine également mal une quelconque rivalité entre les éditeurs voire les constructeurs. Chacun sait à quelle audience il s’adresse et ne se préoccupe pas du reste. Inutile de toute façon d’être frustré parce que le voisin a un plus beau jardin.
Enfin, une dernière problématique s’impose et c’est peut-être par ça que j’aurai dû commencer. Les Game Awards mettent en opposition, a minima dans la catégorie du GOTY, des jeux qu’il est difficile de comparer. Cette année, il y a éventuellement des similitudes entre Alan Wake 2 et le remake de Resident Evil 4 mais c’est à peu près tout. Comparer Tears of the Kingdom à un Super Mario Bros. Wonder, même si c’est du Nintendo, reste absurde. L’un est un jeu de plateforme en deux dimensions tandis que l’autre est un jeu d’aventure en trois dimensions. Un débat que l’on retrouve aussi souvent dans le milieu du sport et notamment des athlètes de haut niveau : qui est le plus grand sportif de tous les temps ? J’ai toujours trouvé insensé de mettre Novak Djokovic, LeBron James et Lionel Messi sur le même plan tant le sport qu’ils pratiquent est différent ; exige des choses différentes ; et surtout ne fait pas appel à la même audience. Il est sûr que chaque partie aura des arguments en leur faveur bien que, dans la grande majorité des cas, ils seront inappropriés pour un tel débat.
Comment mesurer le succès d’un jeu ?
Alors posons-la nous-mêmes la question ! Pourquoi plus X que Y peut-il être couronné ? Comment cela peut-il se mesurer ? Bien évidemment, plusieurs facteurs rentrent en compte. Le plus évident, aussi le plus facile à mesurer, est celui de la dimension statistique. Les ventes chiffrées des jeux avec le nombre d’exemplaires écoulés, quels records pour son développeur ou encore la moyenne des notes accordées par la presse et les joueurs. Tears of the Kingdom s’est bien plus vendu que Super Mario Bros. Wonder. Cela doit-il pour autant dévaluer le second sous prétexte que plus de gens sont passés à la caisse ? Et si tel était le cas, pourquoi Hogwarts Legacy n'est présent nulle part cette année ? De la même manière; Marvel’s Spider-Man 2 doit-il être systématiquement retiré du calcul pour le vote final à cause de sa moyenne à 92/100 ?
Ceux en désaccord avec l’adage “Les hommes mentent, pas les chiffres” argumenteront qu’un vrai GOTY transcende son propre média. Qu’il arrive à servir de modèle à suivre, à poser de nouvelles bases. Pour l'illustrer, revenir sur les anciens vainqueurs est assez parlant. Breath of the Wild en 2017, God of War en 2018 ou encore Elden Ring en 2022 ont tous à leur manière repensé le moule traditionnel utilisé par leurs géniteurs. Mais encore une fois, il est difficile de se baser sur une quelconque mesure référence concernant la trace laissée par tel ou tel jeu. C’est un peu ce que peut faire les Game Awards avec le prix du GOTY mais ils ne sont pas infaillibles : qui aurait pu prédire, en 2016, que l’élu n’allait plus être jouable à peine 6 ans après ? À l’inverse, Fortnite n’est élu que dans la catégorie Multijoueur en 2017. Depuis, il a prouvé qu’il avait le droit à plus que quelques lignes dans les livres qui retraceront l’histoire du jeu vidéo. Idem pour Cyberpunk 2077 ou Final Fantasy 14 qui n’étaient pas des exemples à leur sortie.
Une affaire personnelle avant tout
Malheureusement, j’ai le sentiment que plus le temps passe et plus ces débats acharnés semblent récurrents. Et cela s’explique facilement : le jeu vidéo s’est popularisé et démocratisé. Le nombre de joueurs augmente sensiblement chaque année : en France par exemple, le dernier rapport du Syndicat d’Édition de Logiciel Libre (SELL) rapporte un nombre de joueurs historique dans l’Hexagone avec 39,1 millions. Ce sont deux millions de plus que l’année dernière et cela représente 57,5% de la population.
Avec un tel constat, on peut même légitimement penser que le jeu vidéo se démocratise. Il y en a pour tous les goûts avec les services à abonnement (Xbox Game Pass, PS+, Netflix), le cloud gaming (GeForce Now par exemple) mais aussi le format plus traditionnel avec l’achat de jeux. Il est plus facile de grignoter, même de papillonner entre la multitude des jeux proposés pour trouver la perle rare ou juste voir par soi-même ce que vaut le dernier soft à la mode. Avec plusieurs jeux à notre actif, on s’estime plus expert mais surtout plus légitime de donner notre avis… surtout quand il s’agit d’exprimer son désaccord. Mais de manière paradoxale, s’énerver parce qu’intel ou intel a préféré un autre jeu que le nôtre est légitime. La colère est une émotion spontanée, qui montre que l’on est vivant et que l’on a traversé quelque chose. De quoi exprimer d’une belle façon notre amour pour notre jeu préféré.
Parce que oui, tout ceci n’est en fait qu’une affaire de sensibilité, d’expériences passées, des conditions de découverte à un instant t… mais surtout de goût. Le principal reste d’être honnête avec soi-même et de savoir ce qui nous a transportés nous et seulement nous, en tant que joueur. Même si notre jeu n’est pas élu GOTY, ce n’est pas grave. Tout d’abord parce que l’important c’est de participer. Aussi, parce que c’est dans la lumière des autres concurrents que l’on apprend à mieux se connaître. Ensuite parce que l’on peut être sûr que les développeurs ont tout donné pour faire passer un bon moment aux joueurs avec leur titre. Mais surtout ce n’est pas grave parce que notre GOTY aura dans tous les cas réussi sa mission : celle de nous avoir fait vivre une aventure comme aucune autre. Il restera notre GOTY, peu importe ce qu’on en dit. Et c’est surtout ça le plus important.