Si le film Napoléon de Ridley Scott ne fait clairement pas l'unanimité, il y a un point sur lequel il s’aligne avec toutes les autres grosses productions d’Hollywood : l’envie de tricher sur l’âge de ses personnages féminins. C’est comme ça que Joséphine de Beauharnais se retrouve à être plus jeune que son Jules, alors que dans les faits c’était l’inverse… Écart d’âge erroné, sexualité oubliée, jeunesse toujours privilégiée… Qu’a donc le monde du cinéma contre les actrices plus âgées ?
L’homme expérimenté et la jeune jouvencelle, une règle au cinéma ?
Le film Napoléon de Ridley Scott est bourré d'entorses au récit historique que l'on connaît. Si le réalisateur a déjà envoyé paître les historiens - “Vous étiez là ? Non ? Eh bien, fermez-la” - il va devoir répondre à une autre critique encore plus délicate : pourquoi ce choix d’acteur/actrice pour incarner le couple impérial ? Le problème ne se pose pas au niveau du talent de Joaquin Phoenix et Jodie Comer, loin de là. Ce qui questionne, c’est leur âge. L’interprète de Napoléon avait 46 ans quand il a été choisi pour le rôle en 2020, celle de Joséphine de Beauharnais en avait alors 32. 14 années séparent donc ceux qui jouent les deux amants impériaux à l’écran. Un choix quelque peu discutable, d’autant plus que dans les faits l’écart d’âge entre Joséphine et Napoléon était moins important et surtout inversé. L’impératrice était de 6 ans l'aînée de son mari.
Le choix de Ridley Scott est donc bien curieux. Surtout que le bonhomme a eu l’occasion de rectifier le tir. En mars 2021, c’est en effet Jodie Comer qui avait été choisie. Cette fois-ci l’écart était de 19 ans et Joaquin Phoenix était toujours l’aîné. Forcément, cela avait vivement fait réagir. Télérama s’était particulièrement étonné de cette décision car, comme il le rappelait, “Napoléon Bonaparte et Joséphine de Beauharnais, plus d’une fois incarnés à la télévision et au cinéma, l’ont généralement été par des acteurs du même âge.” Un des seuls réalisateurs à avoir oser confier le rôle de Joséphine à une femme plus âgée que son compagnon à l’écran, c’est Sacha Guitry en 1955. Ce même personnage qui écrivait “Une femme, une vraie femme, c'est une femme avant tout qui n'est pas féministe.” Ironie quand tu nous tiens… Mais revenons à nos moutons ! Quand des changements de planning ont poussé Jodie Comer à décommander le tournage, Ridley Scott aurait pu en profiter pour inverser l’écart d’âge, mais non. Pour un réalisateur qui a, par le passé, proposé et revendiqué des visions plutôt féministes dans ses films (Thelma et Louise, Le dernier duel…), cet entêtement paraît presque incompréhensible. Mais quand on regarde les autres films, cela ne l'est pas tant que ça.
Dans les films à gros budget, c’est presque devenu une règle : si écart d’âge il y a dans un couple au cinéma, ce dernier sera conséquent et l’aîné sera l’homme. On a eu le cas il n’y a pas si longtemps avec un autre biopic historique : Eiffel. 12 ans d’écart entre Adrienne Bourgès et Gustave Eiffel, 22 entre Emma Mackey et Romain Duris… Cet écart d’âge, il fait beaucoup parler dans le cadre des films dits historiques, mais il s’aligne avec la grande majorité du paysage cinématographique, qui a clairement un rapport problématique à la question. Cela ne date pas d’hier et ne s’est pas calmé avec le temps. 17 ans d’écart entre Daniel Craig et Léa Seydoux dans Mourir peut attendre (2021), 19 entre Meryl Streep et Clint Eastwood dans Sur la route de Madison (1995), 26 entre Harrison Ford et Anne Hech dans Six jours sept nuits (1998), 25 entre James Stewart et Kim Novak dans Sueurs froides (1958), 27 entre Clavier et Lenoir dans Astérix et Obélix : Mission Cléopâtre (2002), 28 ans entre Colin Firth et Emma Stone dans Magic in the Moonlight (2014), même chose pour Maria Schneider et Marlon Brando dans Le Dernier Tango à Paris (1972), 39 entre Sean Connery et Catherine Zeta-Jones dans Haute Voltige (1999)… Et encore, on ne va pas s’aventurer sur les terrains des nombreux films flirtant dangereusement avec la pédophilie. À tous ces exemples peuvent venir s’ajouter ceux présents dans l’infographie réalisée par Le Monde, mais également sur le site Hollywood Age Gap. Et souvent dans ces films, le sujet de la différence d’âge n’est même pas abordé. L’écart d’âge est juste devenu un standard. Même dans 20 ans d’écart, le film français mettant en scène une relation entre une femme de 38 ans et un jeunot d’à peine 20 ans, l’écart d’âge est en réalité moins important que dans le film (plus proche de la dizaine que de la vingtaine). Il ne faudrait pas que Virginie Efira ait l’air trop vieille et Pierre Niney trop jeune, non ?
Attention, ce n'est pas le cas de tous les films. L’écart est parfois moins important voir même de temps en temps inexistant. Il existe également quelques rares films où l’actrice est plus âgée que son partenaire. Dans Titanic, Kate Winslet l’est, mais d’une petite année seulement. Pour cet autre grand film romantique qu’est N'oublie jamais, ce sont deux ans qui séparent Rachel McAdams et Ryan Gosling. Mais dîtes-vous quand même que quand Daniel Craig fricote avec Monica Bellucci, qui n’a alors que 4 ans de plus que lui, le réalisateur Sam Mendes parlait alors d’un “concept révolutionnaire”. C’est dire à quel point on a un rapport biaisé à la représentation des écarts d’âge dans les relations amoureuses et/ou sexuelles. Pour Éléonore Stévenin Morguet, cofondatrice de l’association 1001 héroïnes, la raison est toute simple : “Ce sont les stéréotypes associés aux femmes, et en particulier aux actrices qui doivent rester éternellement jeunes, minces et belles pour correspondre aux critères de désirabilité des regards masculins. C’est d’autant plus vrai lorsque la personne qui réalise le film est un homme. Ces injonctions laissent une très faible marge de manœuvre aux actrices.” Les actrices n’auraient donc pas le droit de vieillir, surtout dans des films mettant en scène des relations charnelles ? Et bien vérifions ça tout de suite.
Cachez cette vieillesse que je ne saurais voir
Le cinéma n’aime pas les femmes âgées. Ce n’est pas moi qui le dit, ce sont les chiffres. En 2018, Le Monde produit une infographie sur la longévité des carrières des acteurs et des actrices dans le cinéma français. Selon cette dernière, l’âge d’or des comédiennes françaises - calculé selon le nombre de films tournés - se situe entre 24 et 32 ans. Après 48 ans, les actrices se retrouvent même à l’affiche de moins d’un film par an. Pour les hommes, cet âge d’or dure de 30 à 58 ans. C’est seulement après 67 ans que les acteurs passent sous la barre fatidique des un film par an. Bien sûr, il y a un certain nombre d’exceptions. Il existe des actrices qui ont plus de 70 ans et n’ont toujours pas stoppé leur carrière. C’est notamment le cas de Meryl Streep, Jane Fonda, Catherine Deneuve, Miou-Miou, Jeanne Moreau, Isabelle Huppert et d’autres. Mais elles sont souvent malheureusement cantonnées à des rôles de marâtres ou de grand-mères.
Le système impose aux actrices de vendre plus souvent leur capacité de séduction que leurs compétences. (…) Or, à plus de 50 ans, c’est-à-dire une fois ménopausée, une actrice rentre dans un tunnel qui la place dans une zone indéfinie, dont elle sort lorsqu’elle peut jouer les grands-mères.
Gwénaëlle Le Gras, maîtresse de conférences en études cinématographiques et co-autrice de L’Age des stars, des images à l’épreuve du vieillissement pour Le Monde
Certains réalisateurs refusent même ouvertement à des femmes jugées “trop âgées” des rôles, notamment quand il s’agit de romance. C’est du moins ce que laisse penser les déclarations de Maggie Gyllenhaal auprès du magazine The Wrap. En 2015, alors qu’elle n’était âgée que de 37 ans, elle s’est vu dire qu’elle était “trop vieille pour jouer l'amante d'un homme de 55 ans.” L’actrice Micky Sébastian (alors âgée de 57 ans) aurait également été évincée de la série Origines car elle refusait “d'envisager la création de son rôle dans le cadre d'un personnage plus jeune.” Philippine Leroy-Beaulieu (60 ans) a failli ne pas jouer dans la série Emily in Paris, car elle était également jugée “trop vieille”. Avec ce genre de refus, on se retrouve avec des statistiques inquiétantes. En 2020, moins d’une femme sur 10 présente sur les écrans français avait moins de 50 ans, alors qu’elles représentaient une femme majeure sur deux dans le pays.
D’ailleurs, certaines des actrices précédemment citées ont activement cherché à “faire plus jeune” pour continuer à se voir offrir certains rôles. Jane Fonda a notamment expliqué dans une interview que si elle avait fait de la chirurgie esthétique, c’était en partie parce qu’elle voulait “jouer des rôles sexy encore quelques années.” Passer un certain âge, maintenir sa carrière d’actrice est donc une lutte. Une lutte différente selon les cas, comme le montre Murielle Joudet dans son livre La Seconde Femme qui retrace le parcours de 8 actrices et de leur rapport à la vieillesse. Et si cela l’est autant, c’est notamment car les réalisateurs préfèrent valoriser leurs acteurs en les associant à des actrices plus jeunes. Pour en revenir à Napoléon, le rôle de Joséphine constitue une occasion ratée de donner à une femme de 40 ans un rôle important dans un film à gros budget. Toujours rajeunir ses personnages féminins contribue à l’invisibilisation des actrices plus âgées. Une invisibilisation contre laquelle l’association Actrices et acteurs de France associés s’est prononcée lors de l’édition 2018 du Festival de Cannes. Et si l’association a jugé bon d’intervenir à cette grande occasion durant laquelle les grandes pontes du cinéma français et international sont réunis, c’est pour une raison simple : les réalisateurs et producteurs sont en grande partie responsable de cette situation et doivent réagir.
Comme le rappelle le site Entertainment Weekly, “les films d'Hollywood ne font que refléter ceux qui les fabriquent.” Et c’est là que l’homme et l’artiste deviennent difficilement dissociables. Tiens, prenons ce cher Ridley Scott par exemple. Et bien il est marié avec une femme qui a 18 ans de moins que lui. On comprend mieux pourquoi la question de l’âge de Vanessa Kirby dans Napoléon ne lui a pas vraiment posé question. Clint Eastwood avait, quant à lui, 35 ans d’écart avec sa précédente femme, Dina Marie Fisher. Du côté des gens qui tirent les ficelles dans l’ombre, on a bien sûr Weinstein qui s’était marié avec la styliste britannique Georgina Chapman (24 ans d’écart) mais aussi d’autres noms encore influents dans l’industrie. Robert Iger, PDG de Walt Disney Co, a 12 ans d’écart avec sa femme. Et sachez que le bonhomme est premier selon le classement d’Hollywood Reporter répertoriant les personnalités les plus influentes dans l'industrie du cinéma et du divertissement (ceux capables de transformer le plus facilement un non en oui et vice versa). Mais c’est surtout chez les grands acteurs d’Hollywood que le parallèle est édifiant. DiCaprio met tellement un point d’honneur à ne pas sortir avec une femme dépassant les 25 ans (alors qu’il en a lui-même 49), que sa vie amoureuse est devenu un véritable meme. Et puis il y a Brad Pitt et Ines de Ramon, Vincent Cassel et Tina Kunakey (puis Narah âgée de 27 ans), Harrison Ford et Calista Flockhart… On pourrait se dire que cela est tout simplement assez courant et représentatif de notre société, sauf que non !
En France, on note en moyenne un écart d'âge inférieur à 4 ans. Si plus l'homme est âgé, plus la tendance s'inverse, cela ne monte pas jusqu'aux écarts cités plus haut. En revanche, dans l’inconscient collectif, avoir à son bras une femme plus jeune, c’est bien un symbole de réussite. De nombreux hommes cherchent à s’attirer les faveurs d’une femme plus jeune, que ce soit sur les applications de rencontre ou sur les tapis rouges. Et à vrai dire, cela ne serait pas vraiment un problème si l’inverse était jugé de la même façon. On ne réagit pas pareil face à une femme qui fréquente un homme plus jeune que face à un homme qui ferait de même. Il faut alors s’expliquer car au fond ce n’est pas considéré comme normal. Virginie Efira l’a d’ailleurs très bien résumé dans les colonnes de ELLE : “À 22 ans, je me suis mariée avec quelqu’un qui avait dix ans de plus que moi, et jamais, jamais, on ne me parlait de cette différence d’âge !”. Dans un autre domaine, Madonna doit également sa réputation de croqueuse d’hommes au fait qu’elle flirte constamment avec des hommes plus jeunes qu’elle. Et la voir exhiber ainsi ses trophées, ça avait beaucoup marqué à l'époque. Pourtant, il plane dans le monde du show business, et donc du cinéma, une envie de trouver un trophée à montrer avec fierté. C’est le fameux concept de la femme-trophée (car on voit plus souvent ce schéma là), qui voudrait que richesse rime avec compagne de toute beauté. Et dans notre société, la beauté est très codifiée et très liée à l’âge.
Si la société considère que les hommes se bonifient avec le temps, ce n’est pas le cas pour les femmes. En vieillissant, elles s’éloignent du tyrannique canon de beauté : « jeunes et jolies »
Gwenaëlle Le Gras au Monde
Demandez à une IA de vous pondre des images de belles femmes, il y a fort à parier qu’elles ne dépasseront pas les 40 ans. Les femmes qui ont passé un certain âge sont vues comme des sorcières incapables d’éveiller le désir chez les hommes. Encore une fois, ça ne date pas d’hier. Déjà dans les poèmes de Ronsard à la Renaissance, les femmes étaient comparées à des roses devant profiter de leur jeunesse avant de faner au fil du temps. Chez Marot, on comparait “le Laid tétin” de la veille contre “le beau tétin” de la jeunette. Et non seulement, ces femmes ne sont plus jugées comme désirables, mais elles se voient également refuser le droit de désirer. Dans son livre Sorcières: La puissance invaincue des femmes, Mona Chollet évoque d’ailleurs le cas de Maria Ivone Carvalho Pinto de Sousa Morais qui, suite à une erreur chirurgicale, ne pouvait plus s’asseoir et marcher normalement, mais aussi avoir de vie sexuelle. Elle a bien sûr demandé réparation, mais la Cour Suprême n’a pas vraiment compris sa demande : “on ne doit pas oublier qu’à l’époque de l’opération, la plaignante avait déjà cinquante ans, qu’elle avait été mère deux fois, et qu’à cet âge, non seulement le sexe n’est plus aussi important que dans la jeunesse, mais qu’en plus son intérêt diminue avec l’âge.”
Une femme qui fait vieille, c’est niet. Un homme grisonnant, en revanche, c’est sexy, et on apprécie la maturité des hommes un peu plus âgés. Pour les femmes, les critères tournent plus généralement autour de leur fraîcheur, leur innocence, la douceur de leur peau… Bref, on cherche une fille “jeune et jolie.” Vous remarquerez d’ailleurs que des figures vieillissantes comme Brad Pitt, George Clooney et Leonardo DiCaprio restent des sex symbol et font encore partie des “plus beaux acteurs”. Du côté des actrices, c’est un peu plus compliqué. Les listes changent régulièrement en fonction des nouvelles “jeunes premières” venues. Ce sont donc ces carcans et ces fantasmes que les gens de l'industrie du cinéma reproduisent, parfois même de façon un peu trop zélée.
Les hommes ne vieillissent pas mieux que les femmes , ils ont seulement l’autorisation de vieillir.
Citation retweetée par Carrie Fisher suite à son apparition dans la nouvelle trilogie Star Wars, vivement critiquée car elle n’était pas aussi “pinpante” qu’avant
Dans toute cette histoire d'écart d’âge au cinéma, il y a une donnée très intéressante relevée par Le Monde : l’effet « réalisateur-acteur ». L’écart a tendance à être plus important quand le réalisateur joue une romance dans son propre film. Si Le Monde a pris pour exemple Dany Boon, nous allons nous attarder sur Woody Allen (qu'on aurait d'ailleurs pu citer dans les réal qui optent pour des compagnes bien plus jeunes qu'eux). Dans la vie comme à l'écran, le bonhomme choisit bien ses cavalières : Jennifer Aniston dans Tout le monde dit I Love You (32 ans d’écart), Helena Bonham Carter dans Maudite Aphrodite (31 ans), Mariel Hemingway dans Manhattan (26 ans)... On peut y voir une façon non seulement de reproduire sa vie, mais certainement aussi d'assouvir ses fantasmes. Ce faisant, Allen et les autres les propagent et les font perdurer dans notre société. Car oui, les films et autres produits culturels contribuent à modeler nos standards. Les relations amoureuses beaucoup trop idéalisées des films ont par exemple eu une influence néfaste sur de véritables couples. Un phénomène tellement important qu’il a même eu le droit à un petit nom : l’effet Bovary. Il en va certainement un peu de même pour les écarts d’âge. C’est pour cette raison qu’ils sont nombreux et nombreuses à plaider pour une prise de conscience et des efforts du côté de l’industrie du cinéma. Et heureusement, ça commence à porter ses fruits.
De jeune première à vieille première ?
Tout n’est pas à jeter dans le monde du cinéma. Dès les années 60, Bette Davis a lutté pour continuer sa carrière et faire du vieillissement un véritable sujet de cinéma. Aujourd’hui, on a notamment Fanny Ardant qui prend un malin plaisir à jouer dans des romances qui rompent avec les carcans traditionnels. Avec Les Beaux Jours et Les Jeunes Amants, elle fait partie des rares actrices à camper à l’écran des amantes ayant un écart conséquent et en leur faveur avec leur partenaire. En 2020, Alain Guiraudie a également choisi de filmer le corps nu de la cinquantenaire Noémie Lvovsky. Un choix qu’il qualifie d’ “acte politique” selon l’actrice. D’autres réalisateurs comme Pedro Almodovar ne sont pas vraiment timides à l’idée de montrer des corps vieillissants. Mais on ne va pas se mentir, derrière cet enjeu se cache un autre de taille : réaffirmer la place des réalisatrices dans le monde du cinéma.
Ce que le succès d’Antoinette {ndlr Antoinette dans les Cevennes} dit aussi, c’est qu’avec le déploiement des femmes dans des postes à responsabilités, à la réalisation par exemple, des actrices peuvent émerger plus « tardivement ». Quand j’étais plus jeune, on me disait que si je n’avais pas fait de cinéma à 30 ans, il fallait oublier. Ce n’est plus vrai. Après la « jeune première », il faudrait inventer le concept de « vieille première » ! C’est beau de voir que les rôles deviennent de plus en plus complexes pour les quadragénaires qui, du fait de leur expérience, peuvent apporter du relief aux récits.
Laure Calamy, une des rares actrices à avoir vu sa carrière exploser à 40 ans
Quand une relation amoureuse entre un homme plus jeune et une femme plus âgée s’empare du scénario d’un film, c’est souvent sous l’impulsion d’une réalisatrice. Des films qui questionnent le rapport au vieillissement, l’omniprésence des jeunes actrices et les relations amoureuses comme Les Beaux Jours et Les Jeunes Amants, mais aussi Vous ne Désirez que Moi, La Passagère ou Rose ont tous été réalisés par des femmes. De par leur vécu et leur vision, elles permettent de diversifier les productions, mettre en avant des réflexions de ce genre et faire bouger le paysage cinématographique. Et ça tombe bien, car si le cinéma reste un monde majoritairement masculin, il y a du mieux à ce niveau.
En 2022, la France passait en effet un cap symbolique et historique : un tiers des productions de l’année étaient réalisées par des femmes. Pour ce qui d’Hollywood, la route est un peu plus sinueuse. Dès 2015, un cri d’alerte avait pourtant été lancé par l'Union américaine pour les libertés civiles (ACLU) qui appelait à une enquête sur les pratiques de recrutement à Hollywood, supposées inéquitables. Si le Celluloid Ceiling Report de 2021 rapporte une hausse significative du nombre de réalisatrices sur les 100 films les plus rentables de 2020 (16% contre 12% l’année passée), on est encore loin des résultats français. Surtout qu’en 2022, ce pourcentage était en baisse (9%). Pour des films grands publics, c’est un bilan très faible et il y a encore beaucoup d’efforts à faire pour diversifier le paysage du cinéma.
Mais pour finir sur une note plus positive et en revenir aux représentations des écarts d’âge et de la vieillesse au cinéma, il y a des raisons de penser que les choses iront mieux dans les prochaines années. La prise de conscience est réelle, même venant de personnes qui ne voyaient pas le problème il y a des années de cela. L’actrice Laura Dern (Jurassic Park) a par exemple réagi il y a peu à la différence d’âge qu’elle avait avec son partenaire à l’écran de l’époque, Sam Neill. Plus largement, il y a également une prise de conscience générationnelle sur le plaisir des femmes plus âgées, les stéréotypes de la ménopause ou les carcans de beauté influencés notamment par l’âgisme. Cette prise de conscience, elle trouve forcément un écho dans certaines productions et carrières. Gwénaëlle Le Gras, qui a d’ailleurs écrit sa thèse sur Catherine Deneuve, inscrit également la carrière de l’actrice (mais aussi celles de Nathalie Baye, Isabelle Huppert ou Sandrine Kiberlain) dans un contexte qui a favorisé sa longévité : “elles font partie de la génération du baby-boom, qui a grandi dans une époque de prospérité économique, de libéralisation des mœurs et d’émancipation individuelle. Cette génération a poursuivi ses combats avec elle en parvenant à l’âge de la retraite. C’est une génération beaucoup plus réactive que la précédente, qui prend en main son destin.” Et en parlant de génération, le papy-boom a, lui, permis une hausse de l’âge moyen des spectatrices. Que cela soit voulu ou non, le monde du cinéma est donc obligé de s’adapter à son public. Pour mieux lui parler, il faut mieux le représenter. C’est du moins ce qu’avance Gwénaëlle Le Gras. Il y a donc des perspectives d’amélioration, même si la route s’annonce bien longue. Mais qui sait, peut-être que les films comme Napoléon et Eiffel ne seront un jour qu’un lointain mauvais souvenir…