Face aux sanctions internationales, la Russie prévoit d'investir plus de 38 milliards de dollars pour développer son industrie de semi-conducteurs. Cependant, malgré cet investissement conséquent, le pays pourrait rester à la traîne dans la course technologique mondiale, en raison de son point de départ inférieur et de la complexité des défis techniques à relever.
Rappel du contexte : les tensions dans l'industrie des puces. Les cas des États-Unis, de la Chine, de la Russie...
Nous vous en parlons souvent, les États-Unis et leurs alliés ont mis en place de lourdes sanctions économiques envers la Chine afin de ralentir son industrie des puces. Les puces représentent un intérêt géo-stratégique majeur puisque ce composant se retrouve dans la totalité des produits high tech, des smartphones aux voitures. Dans ce moment particulier de course aux IA et de développement de supercalculateurs, posséder une avance dans l'industrie des puces est essentiel pour n'importe quel État.
Ainsi, l'Oncle Sam a rassemblé tous les poids lourds du milieu (Japon, Pays Bas, Allemagne, Corée du Sud...) afin de bloquer au mieux l'Empire du Milieu. Les sanctions contre le géant asiatique se multiplient, et il y a de bonnes chances pour que vous en ayez déjà entendu parler. Le cas de la Russie est moins connu, mais sachez que le Grand Ours se trouve, lui aussi, dans le viseur de l'alliance formée autour des États-Unis. Nous vous en informions la semaine dernière, le gouvernement russe réussi à se fournir en puces, notamment Nividia, grâce à des canaux d'importation parallèle et espère ainsi ne pas se faire trop larguer dans le monde de la tech.
Face aux sanctions, pas le choix, il faut développer sa propre industrie locale. Là, il nous essentiel de préciser une chose : le point de départ de la Russie n'est pas le même que celui de la Chine dans l'industrie des puces. Pas du tout. L'industrie des semi-conducteurs du pays dirigé par Xi Jinping est actuellement beaucoup plus développée que celle de la Russie, ce qui a placé le pays de Poutine dans une position de profonde dépendance. C'est précisément ce que le gouvernement russe entend corriger.
38 milliards de dollars pour disposer de ses propres puces 14 nm d'ici à 2030
Rares sont les informations qui parviennent aux oreilles des journalistes autours des industries russes. Ce que l'on peut vous dire de source sûre pour le moment, c'est que l'usine de fabrication de semi-conducteurs la plus avancée du Grand Ours, située à Zelenograd, est probablement prête à produire des puces de 90 nm... au mieux. Certains experts estiment qu'en réalité, le plus vaste pays du monde ne peut produire que des circuits intégrés gravés en 130 nm, ce qui place la Russie loin derrière la Chine et, bien sûr, derrière les États-Unis, Taïwan, la Corée du Sud et le Japon dans ce domaine. On rappelle que le marché est déjà inondé de puces gravées en 3 nm seulement (produites notamment par TSMC, une entreprise basée à Taïwan, pour Apple).
Si elle veut se mettre à la page, la Russie doit relever un défi titanesque. Problème : pour avoir accès à des puces de pointe 100% russes, il faut des équipements de lithographie à ultraviolets extrêmes. Passons les termes techniques, retenez seulement qu'un tel équipement est extrêmement cher et surtout extrêmement technique à produire. Pour atteindre le niveau d'ASML, l'entreprise néerlandaise en situation quasi monopolistique en matière de machines de lithographie, il faudrait, selon les plus grands experts du monde, une dizaine d'années à la Chine et plus de temps encore à la Russie.
Nous savons déjà que ministère de l'Industrie et du commerce russe a présenté un projet qui propose d'investir un peu plus de 38 milliards de dollars étalés sur le reste de la décennie pour acquérir la capacité de fabriquer des semi-conducteurs de 28 nm d'ici à 2027 et de 14 nm d'ici à 2030. Dit comme cela, le chiffre semble énorme. On peut vous l'assurer : il ne l'est pas. Pour replacer l'investissement prévu par la Russie dans son contexte, il suffit d'examiner le coût total des usines de semi-conducteurs ultramodernes construites par Intel. L'usine de Magdebourg (Allemagne) de la firme américaine lui coûtera 30 milliards d'euros, et ses deux nouvelles usines en Arizona (États-Unis) nécessitent un investissement combiné de 20 milliards de dollars.
Dans le réel, les un peu plus de 38 milliards de dollars que la Russie prévoit d'investir dans son industrie des puces ne suffiront pas à atteindre ses objectifs à moyen terme. Il est important de comprendre que cet argent ne sera pas entièrement consacré au développement d'équipements de lithographie ; il sera également dépensé pour le développement de nouveaux centres de données, la formation du personnel et le marketing.
Quand on prend tout cela en compte, l'évidence saute aux yeux : ces 38 milliards ne sont pas suffisants. Pire. Même si le Grand Ours parvient à fabriquer ses propres puces de 14 nm d'ici à 2030, il restera loin derrière les pays de l'alliance, qui auront certainement consolidé leurs technologies d'intégration de moins de 2 nm d'ici là.