Sur JVTECH, nous vous documentons de façon presque quotidienne les derniers rebondissements dans la guerre économique entre les États-Unis et la Chine dans l'industrie des puces. Aujourd'hui, c'est l'Empire du Milieu qui mange un pion à l'Oncle Sam.
Un peu de contexte : que se passe-t-il dans l'industrie des puces entre la Chine et les États-Unis ?
Le gouvernement américain n'a jamais caché son animosité envers l'Empire du Milieu, et, dans cette guerre économique, c'est l'administration de Joe Biden qui passe le plus souvent à l'offensive. Son but : isoler la Chine des autres poids lourds de l'industrie des puces (Japon, Corée du Sud, Allemagne, Pays-Bas, Taiwan...). Au fil des mois, une sorte de "bloc occidentalisé" s'est formé et la Chine doit encaisser tous ses assauts. Le dernier en date est assez récent et nous vous en parlions déjà le 27 juin 2023 : l'épée des Pays-Bas, soulevée par le bras de l'Oncle Sam, vient de lourdement s'abattre sur l'industrie chinoise. Aujourd'hui, la pression que subit la Chine est plus forte que jamais.
Pour empêcher la Chine de développer des puces gravées en 5 nm et moins, une finesse de gravure nécessaire pour prendre le lead dans la course à l'IA et dans le développement de la tech en général, les USA et leurs alliés bloquent les livraisons vers la Chine des machines de photolithographie. Ce sont ces machines qui sont utilisées pour concevoir des puces de pointe. L'entreprise néerlandaise ASML, leadeuse en situation de monopole sur le marché des machines de photolithographie les plus perfectionnés du monde (dites UVP pour Ultraviolet Profond et UVE pour Ultraviolet Extrême), ne livrera plus rien à la Chine à compter de janvier 2024.
Et puisqu'à partir de janvier 2024, ASML ne livrera plus d'équipements UVP aux entreprises chinoises, le gouvernement de Xi Jinping n'a plus le choix. Pour garder la tête hors de l'eau et ne pas se faire larguer technologiquement par le reste du monde, la Chine devra :
- Optimiser au maximum les machines UVP en sa possession.
- Consacrer toutes ses ressources au développement de ses propres équipements de lithographie de pointe. C'est ce que le gouvernement chinois fait déjà, mais il lui reste beaucoup de travail à accomplir. Pour rivaliser avec le Japon et les Pays-Bas et produire ses propres machines de photolithographie de pointe, il faudra à la Chine de (très) nombreux milliards et de (trop) nombreuses années.
La Chine ne lâchera rien et ne compte pas se laisser distancer dans ce secteur industriel clef
Ceci étant posé, il faut dire que l'effort économique du gouvernement chinois pour accélérer le développement de son industrie des semi-conducteurs porte déjà ses fruits. Deux de ses plus gros investissements ont eu lieu en 2014 et en 2019, avant que n'éclate la guerre technologique à laquelle nous assistons. En 2014, il a injecté quelque 19 milliards de dollars dans son industrie des puces, et en 2019, ce chiffre est passé à près de 27,5 milliards de dollars. Toutefois, ces investissements ne sont pas à la hauteur du dernier en date.
L'administration de Xi Jinping a révélé en septembre qu'elle investirait 41 milliards de dollars pour donner aux fabricants de circuits intégrés et d'équipements de lithographie le coup de pouce dont ils ont besoin pour fabriquer leurs propres machines de production de puces à la pointe de la technologie. Ces dernières semaines, SMIC (Semiconductor Manufacturing International Corp), le plus grand fabricant chinois de semi-conducteurs, a été sous les feux de la rampe grâce à son exploit qui lui a permis de fabriquer un SoC de 7 nm, le Kirin 9000S du Mate 60 Pro de Huawei, avec un équipement de lithographie qui n'est pas conçu à l'origine pour fabriquer des puces aussi avancées.
Toutefois, la vedette incontestée de cet article n'est pas SMIC, mais SMEE (Shanghai Micro Electronics Equipment Group). Cette entreprise publique conçoit et produit les équipements de fabrication de puces les plus avancés de Chine, bien que ses machines de lithographie ne lui permettent pour l'instant que de produire des circuits intégrés de 90 nm. D'un point de vue strictement technologique, ces semi-conducteurs sont à des années-lumière de ceux produits par TSMC, Samsung ou Intel, les plus grands fabricants de puces au monde, qui utilisent leurs technologies d'intégration les plus avancées. Mais la donne est sur le point de changer.
SMEE arrive en force mais il y a un mais
Une guerre économique est aussi une guerre de communication et les gouvernements de tous les pays impliqués dans ce combat de géants lâchent leurs informations au compte-goutte, à leur rythme. Dans ce contexte, il n'est pas surprenant qu'à peine un mois après que l'exploit commun de SMIC et Huawei ait fait grand buit et juste au moment où l'echo de cet impact commence à s'estomper, une autre nouvelle remette l'industrie chinoise des puces au centre du débat.
Et quelle nouvelle. SMEE a annoncé qu'elle disposera de son premier équipement de lithographie entièrement chinois prêt à fabriquer des puces de 28 nm d'ici à la fin de 2023. Soit dans trois mois au plus. Cette machine sera identifiée par la désignation commerciale SSA/800-10W. Bien qu'elle ne puisse pas rivaliser avec les équipements de lithographie dans l'ultraviolet extrême (UVE) et l'ultraviolet profond (UVP) plus avancés fabriqués par la société néerlandaise ASML, son arrivée représente un grand bond en avant par rapport à la SSA600/20, qui est la machine la plus avancée dont elle dispose à l'heure actuelle (celle qui peut fabriquer des puces de 90 nm, comme mentionné plus haut).
SMEE veut être l'ASML de la Chine. C'est exactement ce dont le gouvernement dirigé par Xi Jinping a besoin pour protéger le développement de son industrie des semi-conducteurs et le progrès technologique de son pays. Attention, même si ce nouvel exploit peut impressionner, il est encore difficile de prévoir la date à laquelle l'Empire du Milieu disposera d'une machine de lithographie dotée de la technologie UVE (la plus pointue au monde, possédée uniquement par ASML).
En toute logique, la complexité de cette technologie est telle qu'il est peu probable qu'elle soit prête avant la fin de cette décennie. Pire encore pour la Chine, ASML ne se tourne pas les pouces et continue de faire progresser ses machines. L'entreprise est sur le point de livrer à l'un de ses clients (probablement Intel, bien que rien ne soit officiel pour le moment) sa première machine de lithographie UVE à grande ouverture, qui peut être décrite comme une machine de lithographie UVE de "deuxième génération". Le bras de fer entre l'alliance dirigée par les États-Unis et la Chine se poursuit.