Lorsque nous évoquons les consoles portables conçues par Nintendo, la Game Boy est immédiatement citée. Quoi de plus normal ? La petite machine sortie en 1989/1990 fait partie des hardwares les plus vendus dans le monde du jeu vidéo. Pourtant, nous avons failli connaître la sortie de The Express, une NES portable imaginée par un technicien de Capcom. La “play-histoire” est décidément pleine de surprises…
- Gaming Historian
- Moby Games
- Electronic Gaming Monthly numéro 17
Sommaire
- La folie des portables
- Dans les petits papiers de Nintendo
- Un tour et puis s’en va
La folie des portables
À la fin des années 1980 et au début des années 1990, une guerre sans merci se joue dans l’industrie vidéoludique. Celle-ci ne se déroule pas seulement sous les écrans de télévision, mais dans les poches et les sacs à dos. Alors que le marché des consoles de salon retrouve des couleurs après une crise ayant affaibli les principaux acteurs de l’époque, Nintendo, qui rencontre un succès mondial avec sa NES, a des envies de liberté. En s’appuyant sur son expertise des jeux électroniques Game & Watch, la firme japonaise se lance dans le plaisir nomade grâce à la première console portable de son histoire – mais pas de l’histoire – avec la Game Boy. Alors que nous avions connu la folie des micro-ordinateurs au milieu des années 1980, c’est la folie des consoles portables qui s’empare du marché. À une époque où le monde du jeu vidéo cherche encore un système économique stable et où de nombreuses sociétés veulent leur part du gâteau (dont des géants de l’électroménager et du jouet tels que Philips et Mattel), chaque acteur rebondit rapidement sur ce qui pourrait devenir une tendance.
De 1989 à 1991, quatre hardware nomades tentent en effet de s’attirer les faveurs du public avec la Game Boy de Nintendo, la Lynx d’Atari, la Game Gear de SEGA et la PC-Engine GT de NEC. Cette dernière apporte une idée inédite : être une version portable de la PC-Engine, dotée d’un écran LCD et acceptant les jeux au format HuCard. Ce que l’histoire du jeu vidéo a presque oublié, c’est que nous avons été à deux doigts de connaître une NES hybride s’inspirant de cette philosophie. À la fin des années 1980, la société BDL Enterprises travaille sur une machine nommée “The Express”. Derrière cette appellation, se cache une NES portable munie d’un écran couleur rétro éclairé, capable de faire tourner tous les jeux de la console de salon de Nintendo (sauf ceux utilisant le light gun). N’importe quel joueur aurait donc pu prendre ses cartouches de Super Mario Bros. 3, The Legend of Zelda ou encore Probotector pour s’amuser dans le métro.
Dans les petits papiers de Nintendo
L’idée de cette NES portable vient de Paul Biederman, un ingénieur de Capcom qui a travaillé au service technique de la firme. On lui doit la conception de cartes de jeux d’arcade ainsi que l’élaboration de manuels pour des titres tels que Bionic Commando, Stocker ou encore Mickey Mousecapade, comme le relate Moby Games. En 1989, il quitte Capcom et fonde sa propre société, BDL Enterprises (pour Biederman Design Labs) en Californie. Cette dernière produit des équipements de test plutôt confidentiels pour les machines à pièces et les moniteurs. Mais c’est en 1990 que le grand public entend véritablement entendre parler de la compagnie, grâce à un produit pensé pour la NES de Nintendo : le Turbo Blaster. Il s’agit d’un boîtier qui se relie entre la console et la manette du joueur ajoutant des fonctions de turbo et de ralenti. Lorsque BDL Enterprises présente son idée à Nintendo of America, ce dernier apprécie l’accessoire et autorise sa mise sur le marché avec la fameuse pastille “Nintendo seal of quality” sur le carton.
Ne voulant pas s’arrêter en si bon chemin, Biederman voit plus grand en misant sur le plus petit. Il parvient à créer une machine portable de 15 cm de largeur, 20 cm de longueur et 5 cm de profondeur embarquant un circuit de NES allégé. Le magazine Electronic Gaming Monthly numéro 17 (décembre 1990) montre une image de la console, affichant un haut-parleur intégré, une prise casque et deux ports manette, un port cartouche pour insérer ses jeux NES et de quoi placer 4 piles de type C. Un autre modèle est également présenté aux journalistes, remplaçant les ports des manettes par des boutons directement incrustés sur la façade de la console. Oui, comme une Game Boy. Et c’est sûrement ce qui va empêcher Biederman d’atteindre son objectif.
Un tour et puis s’en va
Comme pour son Turbo Blaster, Biederman a besoin de l’autorisation de Nintendo pour vendre sa machine. Malheureusement pour lui, les pontes de Nintendo of America rejettent sa proposition. Il n’est pas compliqué de comprendre les raisons : The Express aurait brouillé le message de Nintendo et aurait pu ralentir les ventes à la fois de la Game Boy et de la NES. Un risque que le constructeur n’est pas prêt à prendre. BDL Enterprises est contraint d’accepter la douloureuse décision et déclare “soutenir la stratégie marketing” du groupe. Clap de fin pour The Express ? Pas encore.
L’histoire de cette NES portable aurait pu s’arrêter sur le palier de Nintendo of America, mais c’était sans compter sur Camerica, une entreprise canadienne s’étant spécialisée dans la vente de produits n’ayant pas de licence Nintendo. C’est à cette société que l’on doit les Game Genie, développés par Codemasters, à savoir des cartouches donnant accès à des données d’un jeu pour tricher. Oui, les joueurs des années 1980/1990 raffolaient de triche. En 1991, Camerica s’intéresse à cette fameuse NES nomade de BDL Enterprises qui irait très bien dans leur catalogue d’objets dédiés aux férus de gaming. Des magazines de l’époque promettent une sortie proche mais, finalement, The Express disparaît des écrans radars sans qu’une raison officielle ne soit formulée.
Peu de temps après, en 1992, Camerica et BDL Enterprises ferment leurs portes. Alors qu’elle avait été approchée par la presse et qu’elle promettait une disponibilité prochaine, la NES portable qui encombrait Nintendo s’est évaporée pour de bon. Le concept, lui, survivra.