Comme dans toute industrie, le monde du jeu vidéo voit naître régulièrement des termes (re)définissant différents éléments, qu’il s’agisse d’un business model, d’un genre, voire d’une mécanique. À une époque où les jeux service sont légion et collectionnent succès comme déboires, quelques professionnels tentent d’ériger le jeu plateforme. Y a-t-il anguille sous roche ?
Sommaire
- Game as a service, mais au service de qui ?
- De l’eau dans le GAAS
- Une plateforme pour mieux régner ?
- Le vent dans le dos
Game as a service, mais au service de qui ?
Même s’il existait déjà auparavant sous d’autres formes, notamment sur PC, le “game as a service”, ou “jeu service” chez nous, a drastiquement gagné en importance dans le courant des années 2010. À cette époque, de nombreux géants du jeu vidéo virent dans le succès de la méthode Tencent une brèche dans laquelle il aurait été inconscient financièrement de ne pas s’engouffrer. La manière de procéder est simple : en augmentant les façons de monétiser un jeu sur la durée, ce dernier n’est plus considéré comme un produit mais comme un service.
Grâce à des contenus additionnels – gratuits mais aussi payants – délivrés au compte-goutte, les titres tentent alors de retenir le plus longtemps possible les joueurs. C’est en se basant sur ces modèles que Minecraft, GTA V (avec GTA Online), Destiny ou encore FIFA ont fait gagner des centaines de millions de dollars, voire des milliards, à leurs éditeurs respectifs dans les années 2010. Bien sûr, c’est Fortnite Battle Royale qui, dès 2017, s’est imposé comme un des représentants les plus connus de l’engouement autour du jeu vidéo en tant que service. Les mastodontes de l’industrie en étaient persuadés : ils venaient de trouver la poule aux œufs d’or.
De l’eau dans le GAAS
Tout n’a pourtant pas été rose pour les GAAS, ou plutôt pour ceux qui ont voulu en profiter pour plumer les consommateurs. Les éditeurs qui ont joué avec le feu du profit facile ont eu le droit à des retours de bâton tonitruants, comme le malheureux Star Wars : Battlefront II qui a choqué la sphère vidéoludique avec ses microtransactions déraisonnables. Comme bien souvent lorsqu’un modèle économique promettant une jolie rentabilité s’initie dans l’industrie, les dérives sont courantes. Désormais, ce ne sont plus les membres d’une communauté qui génèrent le suivi des développeurs, mais l’inverse. Un jeu n’est plus seulement jugé sur ce qu’il est, mais il est aussi analysé par rapport à ce qu’il pourrait éventuellement devenir selon le planning des développeurs.
Quelques titres ont réussi à survivre à un contenu day one jugé décevant, comme No Man’s Sky et Sea of Thieves, tandis que d’autres, tels que Battlefield 2042 ou encore Anthem, ont sombré dans l’oubli. Face à de nombreux ratés, certains observateurs ont estimé peut-être trop hâtivement que les joueurs finiraient par fuir ce modèle. Ils se sont trompés. Durant des années, les plus gros succès du jeu vidéo, à savoir ceux qui génèrent le plus de revenus, furent des jeux service. En 2023, non seulement le GAAS n’est pas mort, mais il est en train d’évoluer. Pourtant, la menace d'une crise plane depuis l'arrêt du développement de Hyenas et les contre-performances de Fortnite (d'après EPIC) qui ont engendré une vague de licenciements.
Une plateforme pour mieux régner ?
Même si les GAAS rapportent beaucoup aux sociétés qui parviennent à les imposer, leur réputation auprès des joueurs n’est pas toujours au beau fixe. Les déconvenues rencontrées par Marvel’s Avengers ou encore Gotham Knights ont récemment accentué la méfiance du public quant aux jeux premium, vendus au prix fort, disposant de mécaniques empruntées aux GAAS. Les géants du jeu vidéo étaient bien embêtés : comment évoquer l’idée d'œuvres qui évoluent au fil des mois sans pour autant les qualifier de jeux service, ces productions à la réputation moribonde auprès d’une partie des gamers, et donc des acheteurs. Pour certains grands noms de l’industrie, il est temps de se délester de ce patronyme encombrant plus ou moins lié aux free-to-play pour mieux mettre en avant quelque chose de plus vendeur. Adieu le jeu service, il est temps de laisser place… au jeu plateforme !
Évoqué à l’époque du développement d’Halo Infinite, rappelé pendant l’annonce d’Assassin’s Creed Infinity et fièrement brandi pendant les aperçus de Forza Motorsport, le jeu plateforme commence à faire parler de lui. Sa définition est somme toute encore quelque peu nébuleuse. Dans le cas d’Assassin’s Creed Infinity, la qualification de plateforme est utilisée parce que le jeu donnera accès à plusieurs jeux depuis une sorte de hub. D’une certaine manière, cela existe déjà aujourd’hui avec des softs tels que Halo The Master Chief Collection (Halo, Halo 2, Halo 3, Halo 4, Halo ODST, Halo Reach) ou Call of Duty (solo annuel, multi annuel, Warzone), mais Ubisoft semble vouloir aller plus loin avec une “structure” qui “définira l'avenir global d'Assassin's Creed”. À partir de cette “plateforme” Assassin’s Creed, le joueur devrait pouvoir accéder à d’autres titres de la série. De son côté, Ubisoft touchera un maximum d’utilisateurs en regroupant son public sous le même parapluie.
Le vent dans le dos
Sur le papier, le jeu plateforme est l’évolution théorique du jeu service. Il permet d’accéder à d’autres expériences, voire à des jeux différents, au sein d’un même jeu… ce qui rappelle d’une certaine manière la promesse du multivers que l’on nous vendait partout il y a encore quelques mois. Après tout, des softs comme Fortnite et League of Legends ne sont pas éloignés de cette idée. Néanmoins, il est encore compliqué pour les développeurs de parvenir à montrer ce qu’une “plateforme” apportera de plus qu’un jeu Live service. Lors d’un entretien avec Turn 10 auquel nous avons pu participer, le studio répétait que si son futur Forza Motorsport n’était pas numéroté, c’est parce que le titre était envisagé comme une plateforme.
“Nous voulions que cette expérience évolue, que ce soit une plateforme vivante qui dure des années et des années, qui grandisse avec la communauté” pouvait-on entendre. Avant que les développeurs n’ajoutent : “une grande partie du temps que nous avons passé sur ce moteur a été consacrée à repenser la façon dont nous l’utilisions. Nous avons repensé son architecture pour qu'il soit plus agile et que nous puissions le mettre à jour beaucoup plus rapidement en réponse à la façon dont nos joueurs jouent au jeu et à la façon dont nous pouvons ajouter du contenu au fil du temps”.
La rapidité d’adaptation, voilà l’autre promesse du jeu plateforme. En assurant que des ajouts débarqueront toutes les semaines et en jurant que des modifications arriveront rapidement sans mise à jour à télécharger pour l’utilisateur, Turn 10 voit sa plateforme comme une modernisation de tout ce qui a été fait jusqu’à présent. “C’est sur cette plateforme que sera construite la communauté” certifiait le studio. “Il s'agit de construire la vague de fond à partir de la base plutôt que d'essayer de la construire du haut vers le bas. C'est ainsi que nous envisageons notre avenir à long terme”.
En d’autres termes, le jeu plateforme est l’aboutissement du GAAS avec des mises à jour toujours plus régulières, un contenu capable de s’adapter promptement aux utilisateurs, parfois sans mise à jour à télécharger, et un endroit qui centralise tous les passionnés d’une licence ou d’un genre afin de permettre à l’éditeur de disposer d’un vivier grouillant d’utilisateurs... qu’il est possible d’atteindre en un claquement de doigts.