Les mois passent et la guerre économique que se mènent la Chine et les États-Unis fait toujours rage. Au sein de l'industrie de la mémoire vive, un secteur clé pour l'intégralité du monde de la high tech, les coups que se portent l'Empire du Milieu et l'Oncle Sam ont affaibli les deux pays. Aujourd'hui, un nouveau gagnant émerge.
Le conflit économique entre la Chine et les États-Unis sur le marché des puces fait des ravages
La Chine tente de mettre fin à sa dépendance à l'égard des fabricants étrangers de DRAM (Dynamic Random Access Memory, un type de mémoire vive particulièrement technique à construire et utile dans diverses industries high tech), mais ce n'est pas facile. Le marché est actuellement dominé par les sociétés sud-coréennes Samsung Electronics et SK Hynix, ainsi que par les Américains de chez Micron. Toutes les entreprises chinoises impliquées dans la fabrication d'appareils électroniques sont clientes d'un ou plusieurs de ces 3 géants, ce qui place indubitablement le pays dirigé par Xi Jinping dans une position délicate, en particulier dans le contexte du conflit avec l'alliance dirigée par les États-Unis.
Car oui, au sein de l'industrie des puces, conflit il y a. Le gouvernement américain n'a jamais caché son animosité envers l'Empire du Milieu, et, dans cette guerre économique, c'est l'administration de Joe Biden qui passe le plus souvent à l'offensive. Son but : isoler la Chine des autres poids lourds de l'industrie des puces (Japon, Corée du Sud, Allemagne, Pays-Bas...). Au fil des mois, une sorte de "bloc occidentalisé" s'est formé et la Chine doit encaisser tous ses assauts. Le dernier en date est tout frais et nous vous en parlions le 27 juin 2023 : l'épée des Pays-Bas, soulevée par le bras de l'Oncle Sam, vient de lourdement s'abattre sur l'industrie chinoise. Aujourd'hui, la pression que subit la Chine est plus forte que jamais.
Retournons à nos 3 fabricants de DRAM et à leurs rapports avec la Chine. et Le 31 mars, la Cyberspace Administration of China (CAC), l'autorité chinoise de régulation de l'internet, a lancé une enquête visant à auditer Micron. La conclusion de cette enquête, arrivée à peine deux mois après son début, est claire, nette et sans appel : pour la CAC, les puces mémoire du fabricant américain compromettent la sécurité de la Chine. Cette fois, c'est à l'Empire du milieu de porter un coup aux USA. Des sanctions a effet immédiat ont été mises en place et les plus grands fabricants de serveurs chinois ont immédiatement cessé d'acheter des modules de mémoire DRAM contenant des puces Micron. L'exclusion du fabricant américain du marché chinois n'est pas totale, mais les intégrateurs de serveurs ne lui achètent plus les puces DRAM dont ils ont besoin.
La réaction de l'administration américaine ne s'est pas fait attendre. Sa première tentative ? Demander à son allié sud-coréen de bloquer l'accès de la Chine aux puces Samsung Electronics et SK Hynix. Cela n'a pas fonctionné. Avant la sanction chinoise, Micron détenait environ 15 % du marché chinois. Ces 15% sont logiquement revenus aux sud-coréens, qui auraient beaucoup trop à perdre en cessant de vendre à un client aussi demandeur que la Chine.
Bilan : La Chine et les États-Unis en sortent perdant... pour le moment
"Le premier choix pour remplacer les puces mémoire de Micron reste Samsung et SK Hynix". Cet aveu nous vient d'un dirigeant d'une entreprise chinoise qui fabrique des contrôleurs de mémoire. Son nom n'a pas été révélé en raison du caractère sensible de la question, mais il provient d'une source très fiable et pose l'évidence sur la table : oui, les entreprises sud-coréennes profitent de la tension entre la Chine et les États-Unis. La Corée a su avancer ses pions, jongler avec ses partenaires, et gagner la guerre de l'industrie des puces... pour le moment.
Car oui, dans le petit monde de la mémoire vive, les choses ne restent jamais figées bien longtemps. Peu importe l'avis de l'État américain, à titre privé, Micron travaille avec le gouvernement chinois pour regagner sa confiance et se libérer de ses sanctions. L'entreprise américaine a, entre autres, affirmé qu'elle investirait 600 millions de dollars pour moderniser son usine de conditionnement de circuits intégrés à Xian, en Chine.
De son côté, l'administration chinoise est en train de bâtir sa souveraineté. Si les autres pays ne veulent plus échanger avec la Chine, alors la Chine produira ses propres puces mémoires. L'État chinois n'hésite pas à dépenser de très grosses sommes pour arriver à cette fin le plus rapidement possible et il nous semble parfaitement raisonnable de penser que la Chine parviendra à s'émanciper des fabricants étrangers à moyen terme.
Notons tout de même que cette stratégie est une arme à double tranchant. Les analystes locaux prévoient que l'incursion des entreprises chinoises sur le marché de la production de puces incitera leurs concurrents sud-coréens et américains à mettre le pied sur l'accélérateur. Selon ces experts, Samsung Electronics, SK Hynix et Micron développeront bientôt des technologies de production de puces DRAM technologiquement hors de portée de la Chine. Pourquoi ? Tout simplement parce que l'alliance dirigée par les États-Unis bloque l'accès chinois aux outils de lithographie de pointe. Sans ces machines, impossible de produire des puces surpuissantes. Pour en savoir plus au sujet de la lithographie, nous vous invitons à lire cet article dans lequel nous allons plus en détails sur le cas de l'entreprise néerlandaise ASML, leader du milieu.
En juillet 2023, Micron a dévoilé ses puces DRAM à interface HBM3 de deuxième génération pour les applications d'intelligence artificielle. Dans le même élan, Samsung Electronics a annoncé avoir bouclé le développement de ses DRAM GDDR7, également susceptibles de jouer un rôle clé dans l'intelligence artificielle. Pour l'heure, il nous semble très compliqué d'imaginer la Chine rivaliser avec ces technologies à court ou moyen terme. La course aux IA, devenue un enjeu stratégique majeur, ne devrait pas être gagnable par l'Empire du Milieu. Quelles seront les conséquences sur l'économie chinoise dans le futur ? Dur à dire.