La SVOD n’est plus en 2023 cet eldorado audiovisuel nous promettant un véritable "musée" des productions passées, présentes et futures. Les services de streaming sont eux aussi enchaînés à une logique financière qui les oblige à purger leur catalogue sous peine de devoir débourser des sommes astronomiques. Les premières victimes de ce phénomène sont les abonnés qui risquent de se tourner vers le piratage pour contourner les suppressions, mais aussi la censure.
Sommaire
- Pirater pour préserver
- La SVOD en sursis
- Les affres de la censure
Pirater pour préserver
“Le piratage c’est du vol.” Pirater une œuvre culturelle est illégal et puni par la loi à hauteur de 1500 euros par œuvre, ce qui peut rapidement faire gonfler la note. Maintenant que cette évidence est écrite noir sur blanc, il convient de nuancer, voire de proposer une alternative à cette vision manichéenne de l’accès à la Culture, à savoir “Payer pour se cultiver”. Le piratage est aussi vieux qu’internet. Si pour la plupart des gens cet acte se résume à économiser de l’argent, pour d’autres c’est une manière concrète de lutter contre plusieurs phénomènes qui frappent le 7e Art, mais pas uniquement, et qui s’intensifient depuis plusieurs années : l’effacement (ou la suppression) et la censure.
La rédaction de JV n’encourage en rien le piratage de films, de séries et/ou d’animes. A titre personnel, je suis abonné à plusieurs services de streaming dont Netflix, Crunchyroll et Amazon Prime Video, et possède une carte UGC. J’ai donc accès à un grand nombre de programmes pour une somme relativement modique. Toutefois, malgré de bonnes intentions et un compte en banque permettant de débourser des dizaines d’euros par mois en “Culture”, les récentes pratiques des services SVOD encouragent à télécharger illégalement certaines œuvres, et ce pour plusieurs raisons.
La suppression “sans prévenir” de programmes est devenue la hantise des abonnés Netflix, Disney+ et Prime Video. Si la majorité du temps, seules les œuvres d’éditeurs tiers tirent leur révérence, il arrive parfois que des productions originales tirent leur révérence. Et c'est là que le bât blesse. Un contenu original qui s'éclipse d’une plateforme de streaming disparaît du paysage audiovisuel et tombe dans les limbes de l’oubli. Les Anneaux de Pouvoir, Stranger Things, The Mandalorian, etc. Si l’une de ces séries est supprimée du catalogue, elle cesse purement et simplement d’exister, et il en va de même pour les films. Pirater devient alors la seule manière de faire vivre l'œuvre.
Les catalogues des services de streaming sont donc à la merci d’une politique mercantile menée par les firmes propriétaires desdits services, mais aussi d’une purge idéologique. Les suppressions d’objets culturels pour raisons idéologiques sont rares, surtout en France. Néanmoins, ce phénomène a frappé Netflix à plusieurs reprises par le passé. Le dernier exemple en date remonte à juillet 2023. La série Flight to You fut supprimée du catalogue netflix vietnamien en raison d’une carte contestant (selon Hanoi) la souveraineté du pays sur certains territoires précis. Et ce n’est pas la première fois que le Vietnam exige la suppression d’un programme. La France s’est bien gardée d’agir de la sorte, mais pour combien de temps encore ? Il n’y a pas d’autre choix que celui de pirater les programmes censurés pour en profiter dans les pays victimes de cette pratique.
La censure peut également altérer une oeuvre, que ce soit visuellement ou narrativement. Un service de streaming en particulier est passé maître dans l’art de réécrire l’Histoire du 7e Art en modifiant ouvertement des films dont certaines séquences sont jugées (souvent à raison) problématiques, voire racistes. Ces dernières véhiculent des stéréotypes qui en 2023 posent légitimement problème. La société évolue - fort heureusement - et avec elle ses mœurs. Il est normal que des propos tenus dans les années 80-90 puissent heurter certaines communautés plusieurs décennies plus tard. Toutefois, effacer ces séquences qui appartiennent à l'Histoire n’est pas une solution viable.
Pire encore, cette pratique pourrait engendrer une censure à grande échelle de certains courants de pensées… politiques ou idéologiques… et devenir l’un des principaux outils d’une propagande à grande échelle. Une version “mise aux normes” d’une œuvre - aussi justifiée soit-elle - ne peut décemment faire oublier celle d’origine. Elles se doivent de coexister dans un même écosystème… et donc sur les services SVOD sous peine d’encourager le piratage auprès de ceux désireux de (re)découvrir l'oeuvre originale. Qui plus est, il est impossible de tirer des leçons du passé, si ce passé est constamment réécrit, surtout quand l'Histoire a tendance à se répéter.
La SVOD en sursis
Deux petits mois et puis s’en va. C’est le triste sort vécu par le dernier film du réalisateur Kyle Patrick Alvarez. “Crater” avec Mckenna Grace (Ghostbusters : Afterlife) et Isaiah Russell-Bailey (C'est nous, les héros) fut supprimé du catalogue Disney+ à peine sept semaines après sa diffusion. Pire encore, aucune alternative n’est à l’heure actuelle proposée pour découvrir ce long-métrage de science-fiction qui a donc tout simplement disparu du paysage audiovisuel. Et ce n’est pas le seul programme estampillé Disney+ à subir ce triste sort.
Selon nos confrères de Deadline, pas moins de 80 titres sont voués à quitter sous peu le service de streaming du géant nord-américain du divertissement. Cette purge qui a débuté fin mai 2023 a déjà fait plusieurs victimes parmi lesquelles des exclusivités ainsi que des productions des filiales Hulu et FX. Nous déplorons ainsi la suppression de “Willow” réalisé par Ron Howard (Solo : A Star Wars Story), le documentaire "The World According to Jeff Goldblum", les séries “Y, le dernier homme” et “Marvel’s Runaways”, "Artemis Fowl" et pour finir la mini-série "Pistols" sur le groupe de musique éponyme. D’autres départs sont à prévoir dans les mois à venir.
La raison derrière cette stratégie qui s’apparente à une purge est simple. Lancé en grandes pompes en 2019, Disney+ n’est toujours pas rentable quatre ans plus tard avec 659 millions de dollars de pertes enregistrées lors du second quartile 2023, et ce malgré ses 157,8 millions d’abonnés recensés en janvier dernier. Cette opération financière vise à réduire les coûts, et d'un point purement comptable c’est une réussite avec une dépréciation de 1,5 milliard de dollars pour les contenus déjà retirés. 400 millions supplémentaires pourraient être sauvés d’ici peu en suivant la même logique.
Les séries et films supprimés des services SVOD sont donc les victimes des décisions prises sur l’autel de la rentabilité par les pontes de Disney+ qui privilégient l'économie au détriment de la Culture. Disney n’est pas la seule firme à appliquer une telle politique. En février 2023, HBO s’est séparé de deux œuvres de science-fiction à la renommée internationale, à savoir "Westworld" avec Anthony Hopkins et "Raised by Wolves" de Ridley Scott. Six mois auparavant, "Infinity Train" subissait un destin similaire, si ce n’est pire. La série d'animation créée par Owen Dennis est aujourd'hui diffusée nulle part et n'existe tout simplement plus car étant diffusée nulle part.
"Batgirl" n’a même pas eu la chance d’exister ne serait qu’une poignée de semaines sur HBO max. Le film réalisé par Adil El Arbi et Bilall Fallah avec Leslie Grace (D’où l’on vient, Life : Origine inconnue) dans le rôle de la super-héroïne fut jeté aux oubliettes avec son budget de 90 millions de dollars. Warner Bros. Discovery cherchait à faire des économies en évitant de payer des taxes inhérentes à la sortie du long-métrage et ainsi limiter la casse. Batgirl n’était pas en mesure de transformer une telle facture en abonnés à en croire les dirigeants. Une chose est sûre. Une œuvre cinématographique est morte avant même d’avoir eu la chance d'exister auprès du grand public. Cette décision sans précédent fera date à Hollywood. Face à cet "autodafé 2.0" fait de suppressions et d'annulations, l'Art se doit d'être préservé... de préférence avec l'aide des principaux acteurs du marché.
Les affres de la censure
La suppression d’un catalogue n’est que l’un des maux qui peut frapper une œuvre audiovisuelle en 2023. Les films et autres séries qui font le bonheur des abonnés peuvent subir des altérations volontaires afin de coller à une vision moderne… quitte à dénaturer (ou non) le matériau source. Au cours des dernières années, la censure a frappé à maintes reprises des productions estampillées Disney disponibles sur son service SVOD. Plusieurs classiques sont interdits aux enfants pour cause de scènes jugées racistes. "Les Aristochats", "La belle et le Clochard", "Dumbo" ou encore "Peter Pan" véhiculent des stéréotypes jugées et à raison comme offensant par les communautés ciblées.
Un autre film d’animation est quant à lui amputé d’une scène. En effet, une séquence post-générique a été purement et simplement supprimée de "Toy Story 2" suite au mouvement MeToo. Dans cette dernière, le personnage de Stinky Pete draguait lourdement deux poupées Barbie en leur offrant un rôle dans le "Toy Story 3", un comportement qui ne passe plus en 2023 et nous pouvons légitimement comprendre pourquoi. Toutefois, une censure plus “problématique” est à l'œuvre sur Disney+. La nudité semble être la cible de la firme qui n’hésite pas à retoucher certains films afin de cacher des zones sensibles. Plusieurs scènes de "Splash" ont ainsi été modifiées afin de rallonger la chevelure de son actrice et donc dissimuler son fessier. Les animés japonais ne sont pas en reste.
La saison 2 de "Tokyo Revengers" diffusée en exclusivité sur Disney+ en occident est passée par le bistouri. Ces retouches ciblaient en particulier la svastika présente sur plusieurs plans. Ce symbole hindoue et boudhiste fut repris durant la Seconde Guerre mondiale par les nazis pour devenir la tristement historique croix gammée. Si cette censure peut se concevoir, elle omet le contexte dans lequel la série animée s’inscrit, à savoir une guerre entre gangs tokyoïtes. Cette pratique, observée sur Disney+, reste fort heureusement à la marge en 2023, mais pour combien de temps encore ? Il est essentiel de contextualiser les œuvres diffusées, de définir l’époque où elles furent réalisées afin de percevoir les changements opérés dans nos sociétés au fil des décennies. Il n'est pas question ici de cautionner des propos ou des comportements déplacés, voire hors-la-loi, mais de préserver l'Histoire et son Art pour mieux apprendre du passé. La censure ne sera jamais la réponse, mais simplement un autre mal. L'éducation est la réponse.