Né en 1941 au Japon, Hayao Miyazaki est probablement l’un des réalisateurs les plus connus de son pays… voire du monde entier en ce qui concerne l’animation. Depuis le début des années 80, il enchante la planète avec des longs-métrages aux thématiques fortes et au style visuel marqué. Une empreinte qui a contribué à l’influence de nombreuses personnes, et notamment de certains employés de Nintendo. La preuve avec Zelda : Breath of the Wild et Tears of the Kingdom qui semblent tirer leur inspiration avec deux films en particulier du réalisateur.
Vous vous en doutez, cet article contient certaines révélations d’intrigues de films de Miyazaki mais aussi quelques éléments du scénario des jeux Zelda. Si vous voulez vous garder le plaisir de la découverte pour les uns ou les autres, il est donc conseillé de passer votre chemin. Néanmoins, on ne peut que vous conseiller de regarder la filmographie de Hayao Miyazaki si vous comptez vous lancer dans Zelda Breath of the Wild ou Tears of the Kingdom un jour.
S’il y a bien deux orfèvres japonais particulièrement reconnus dans le monde occidental de la culture populaire, ce sont sans aucun doute le studio de jeux vidéo Nintendo et les studios de films d’animation Ghibli. Le premier est souvent représenté par Shigeru Miyamoto, considéré comme le Steven Spielberg du jeu vidéo, tandis que c’est à travers le réalisateur Hayao Miyazaki qu’on s’imagine la plupart du temps le second. Depuis le milieu des années 80, les deux entreprises enchantent le monde entier à travers leurs œuvres respectives. Mario et Zelda pour l’un, Le Château dans le Ciel et Princesse Mononoke pour l’autre…
Une notoriété qui se constate par différents accomplissements. Sorti en 2003, Le Voyage de Chiro (aka Spirited Away) de Miyazaki fait un carton au box-office. Le réalisateur reçoit alors l’Oscar du Meilleur film d’animation cette année-là. Le film d’animation reste également pendant plus de 15 ans le plus gros succès au box-office japonais. Tout ça sans compter les places prises par les autres films du réalisateur au box-office local. Pour Nintendo, c’est leur dernier jeu qui séduit la planète. The Legend of Zelda : Tears of the Kingdom sort le 12 mai 2023 en exclusivité sur Nintendo Switch. Il lui faut à peine trois jours pour se distribuer à plus de 10 millions d’exemplaires. À titre de comparaison, c’est trois semaines qu’il faut au jeu Harry Potter Hogwarts Legacy : l’Héritage de Poudlard pour faire pareils résultats.
Bref, Nintendo et les studios Ghiblis brillent grâce à l’or qu’ils ont entre les doigts. Et si l’un devait une partie de son succès à l’autre ? On va surtout voir que sans Hayao Miyazaki et ses films, les derniers jeux Zelda n’auraient peut-être pas forcément la même allure. On vous explique pourquoi.
Le Château dans le Ciel
Évidemment, les inspirations les plus évidentes à relever viennent directement du film Le Château dans le Ciel (1986) : c’est le premier long-métrage des studios Ghibli (Nausicaa : la Vallée du Vent a été réalisé avant la création du studio, on vous voit venir). C’est Hayao Miyazaki derrière la caméra. Dès les premières minutes du film, une première similitude frappe l’œil : la jeune fille que l’on suit cherche à s’échapper d’un navire de guerre volant. Dans sa fuite, elle chute dans les airs et reste en vie grâce à son amulette qui la fait léviter. Du côté de Zelda : Tears of the Kingdom, il faut également attendre quelques minutes après avoir lancé le jeu avant de voir Zelda tomber suite au réveil du Ganondorf momifié. Une analogie étonnante d’autant que les deux artefacts responsables de la protection de leurs porteurs respectifs ont des allures similaires (mais pas spécialement identiques, on vous l’accorde).
Toutefois ces deux amulettes restent des piliers essentiels pour le bon déroulé de l’histoire surtout lorsque l’on fait le parallèle entre le rôle endossé par Zelda et Sheeta, la jeune fille du Château dans le Ciel. Elle est la descendante de la famille royale Royaume de Laputa : une civilisation au savoir immense habitant sur une île céleste (vous voyez où on veut en venir ?) qui n’a été vue que par une poignée d’aviateurs. Mais la pierre portée par Sheeta peut, entre autres choses, indiquer le chemin. C’est pour cette raison qu’elle est traquée par Muska. C’est un agent du gouvernement bien décidé à mettre la main sur ce savoir infini et régner sur ces terres : un dessein qui se rapproche de celui de Ganondorf dans : The Wind Waker. À l’instar de Zelda (descendante de la famille royale d’Hyrule), Sheeta doit choisir entre le devoir de perpétuer l’héritage de sa famille royale ou de vivre sa propre vie.
Bon, difficile d’éluder plus longtemps la grosse ressemblance entre Tears of the Kingdom et Le Château dans le Ciel. Outre la présence (littérale) d’un château dans le ciel et du contexte très aérien du film et du jeu, ces deux œuvres racontent l’histoire d’une civilisation oubliée mais autrefois supérieure aux autres en termes d’avancées technologiques et de savoirs. Celle du Royaume de Laputa pour la première, celle des Sonaus pour la seconde. Cette dernière est par exemple à l’origine du nouveau bras de Link, lui octroyant de nouveaux pouvoirs. Si l’on revient plus tard sur comment le Héros d’Hyrule l’a obtenu (oui, une comparaison intéressante avec Princesse Mononoke est faite plus bas !), ce bras lui permet d’exploiter les artéfacts sonaus : moteur, lance-flamme, rayon laser… Quelque chose que l’on retrouve chez les robots créés à Laputa, qui peuvent aussi bien tirer des rayons laser (comme les gardiens de Breath of the Wild) que de jardinage. Et encore une fois ces deux civilisations disposent d’une ressource similaire pour créer leurs artefacts : du sonium pour les Sonaus et des pierres volantes pour le Royaume de Laputa.
Ce sont-là, rapidement évoquées, les ressemblances purement locales entre Le Château dans le Ciel et Breath of the Wild / Tears of the Kingdom. Bien évidemment, il y a aussi des thématiques au sens large (la nature qui reprend ses droits, l’attitude de l’humanité envers de nouveaux pouvoirs) qui sont communes aux deux œuvres Toutefois, on va s’en priver pour le moment tant ces thématiques sont communes à la quasi-totalité des jeux Zelda et des films d’Hayao Miyazaki.
Princesse Mononoke
Je vous ai probablement ouvert l’appétit tout à l’heure : des références, directes ou indirectes, il y en a aussi pour Princesse Mononoké. Ce film des studios Ghiblis, toujours réalisé par Hayao Miyazaki, sort en 1997. Ils ont entre-temps sorti, entre autres, Porco Rosso, Mon Voisin Totoro ou encore Le Tombeau des Lucioles (que l’on doit cette fois à Isao Takaha, cofondateur de Ghibli avec Miyazaki). Aujourd’hui, Princesse Mononoké jouit d’une certaine notoriété puisqu’il fait partie du top 4 des films des studios Ghibli les plus rentables du studio avec Le Voyage de Chihiro, Ponyo sur la Falaise et Le Château Ambulant. Et encore une fois, ce sont dès les premières minutes du film que l ‘on remarque une ressemblance entre le long-métrage d’animation et le premier trailer de ce que l’on appelait alors The Legend of Zelda : Wii U.
Dans cette courte séquence du film Princesse Mononoke, le héros Ashitaka essaye de repousser un sanglier géant entouré de vers maléfiques. Or, la forme bestiale de Ganondorf est souvent comparable à un cochon à travers les différents jeux de la saga. La comparaison peut paraître anodine tant le sanglier est un animal important dans la culture asiatique. Il fait partie des douze animaux du Zodiaque chinois et également synonyme de prospérité, fertilité et de détermination au Japon. Une espèce que l’on voit souvent chez Miyazaki (Porco Rosso et Chihiro par exemple).
Si, parmi les lecteurs, certains ont joué à Tears of the Kingdom sans avoir regardé Princesse Mononoke, un détail a dû vous sauter aux yeux après le visionnage de la séquence ci-dessus : la blessure subie par Link et par celle d’Ashitaka (notre personnage à l’arc) sont similaires en de nombreux points. De manière évidente, elles touchent le même bras et les laissent tachés. Un mal incurable sur le papier mais qui donne à ceux qui le portent des atouts supplémentaires. Link peut fusionner et amalgamer ce qu’il voit sur son chemin tandis qu’Ashitaka dispose d’une force herculéenne : il tort des sabres à mains nues et ampute tête et membre de ses ennemis grâce à ses flèches. De quoi rebondir sur la force et le courage de nos deux héros au destin similaire : ils n’ont pas peur de se sacrifier pour la garantie d’un avenir sans conflit.
Cet malédiction qui frappe Ashitaka au début du film va le forcer à quitter son village : exilé, il est obligé de se couper les cheveux (dont certains estiment qu’il y a un parallèle avec le changement de coiffure de Link au début de Tears of the Kingdom, malheureusement montré caduc par la suite de l’histoire du jeu). Pour guérir, il part à la recherche de Dieu-Cerf dont il est dit capable d’apporter la vie comme la mort. Cette divinité affiche des traits semblables à Alpha (le cheval bleu de BotW) ou encore de Rauru. Sauf qu’évidemment, de tels pouvoirs curatifs aiguisent l’appétit d’autres peuples prêts à utiliser les armes pour se l’approprier. Il y a donc un conflit entre les humains et les divinités bestiales
De la même manière, les sylvains (ou kodamas) qui guident Ashitaka dans la forêt pour rencontrer la divinité évoquent instantanément les Korogus de Zelda : eux aussi sont des petits êtres de la forêt. À ce sujet, Miyazaki a avoué s’être inspiré du manga Mudmen (surtout pour Mononoke et le Château dans le Ciel) pour la création des sylvains : un manga qui raconte l’histoire de la tribu éponyme en Papouasie Nouvelle-Guinée.
Jamais deux sans trois ! L'une des dernières sources d'inspiration probables de Breath of the Wild et de Tears of the Kingdom résident dans le film Nausicaa : La Vallée du Vent. Sorti en 1984, il est réalisé par Hayao Miyazaki qui adapte son manga (publié entre 1982 et 1994). L'héroïne du film, encore une princesse, se balade en planeur (bon, debout dessus, certes). Certains souterrains suggèrent également quelques ressemblances avec les profondeurs de Tears of the Kingdom. Bien qu'elles ne soient pas toxiques, l'atmosphère y est semblable.
Des ressemblances locales mais aussi des thématiques générales communes
Pour pousser la comparaison un peu plus loin, les films de Miyazaki cités et les deux derniers jeux Zelda affichent de manière plus générale trois points communs. Élevé par sa mère, Miyazaki choisit des femmes pour les rôles principaux de ses films : Chiro, San, Shiita, Sophie… Comme Zelda, qui a donné son nom à la série vidéoludique. Ce sont à travers elles que le joueur s’interroge grâce à un voyage initiatique dans un monde fantastique. Et ce malgré la présence d’un jeune homme charismatique qui aurait bien la carrure du Héros principal. Que ce soit avec Link, Hauru (Château Ambulant), Ashitaka (Princesse Mononoke) ou Pazu (Le Château dans le Ciel), elles vivent toutes une idylle amoureuse non-dite avec un garde du corps prêt à donner leur vie pour elles.
Très peu abordée dans cet article, l’esthétique entre les deux derniers jeux Zelda et les films de Miyazaki est similaire puisque c’est la technique de cell-shading qui est employée. Elle consiste à marquer les contours et de séparer chaque section de l’objet avec des couleurs vives. Pas étonnant de retrouver ce style artistique dans Breath of the Wild et Tears of the Kingdom. En 2005, lors d’un dossier estival réalisé par Nintendo Power Magazine (Magazine officiel de Nintendo distribué au Canada et aux États-Unis dont la publication a pris fin en 2012), c’est Eiji Aonuma qui en parle. À l’époque, il est alors réalisateur sur The Legend of Zelda : Twilight Princess et parle de ses passe-temps loin du travail :
Lorsque je ne suis pas chez Nintendo, je passe généralement du temps avec ma famille. Mon enfant est encore jeune, donc je ne peux pas aller au cinéma, mais je regarde encore beaucoup de films. Les films d'action et d'aventure sont mes préférés, et les films de Hayao Miyazaki sont ceux que j'aime le plus. Miyazaki a été l'une des plus grandes influences de ma vie.
Presque 10 ans plus tard, on retrouve le même homme à la production The Legend of Zelda : Wii U. Aonuma se livre au jeu des entretiens en amont de la présentation du jeu qui aura lieu à l’E3 2015. En étant plus précis sur ses sources d’inspiration pour Zelda, il ne crache tout de même pas le morceau sur les œuvres précises qui ont servi :
Plutôt que d'envisager sérieusement quelque chose de photoréaliste en utilisant le monde réel comme modèle, la vision vient de l'inspiration de l'animation japonaise et d'autres choses du passé que j'ai pu ou non regarder auparavant. C'est ainsi que la (vision) a vu le jour - Aonuma avec Famitsu, relayé par Siliconera
Enfin, et c’est probablement là le plus intéressant, Breath of the Wild/Tears of the Kingdom et les réalisations de Hayao Miyazaki étudient la même thématique : elles tournent souvent autour de l’émergence d’une technologie suprême (les armes à feu dans Princesse Mononoke qui corrompt les divinités bestiales, celle de Laputa dans Le Château dans le Ciel…) et comment l’Humanité peut en tirer du bon comme du mauvais, avec ses influences sur la Nature avec un grand N. Quelque chose que l’on voit également dans Breath of the Wild avec les Créatures Divines ou dans Tears of the Kingdom : une fois réveillé, Ganondorf étend son pouvoir sur Hyrule et provoque des catastrophes climatiques sur lesquelles il faut enquêter. Lors de la bataille finale, il absorbe même une pierre occulte pour démultipler son pouvoir afin d’assouvir sa soif de domination sur le Royaume. :
En parcourant Internet pour mes recherches concernant cet article, je suis tombé sur une vidéo du créateur BeyondGhibli sur l’influence qu’a eu les films du studio sur Breath of the Wild. Et en parlant de Zelda, il utilise une jolie formule pour souligner ce qu’arrive à faire Nintendo avec cette saga :
(La saga Zelda) ne veut pas parler de la chute des mondes en elle-même. Elle les traite des années, des décennies voire des siècles plus tard, suffisamment longtemps après leurs chutes pour que la nature puisse s’enrouler de nouveau autour de ce qui a toujours été sien et créer un monde qui vaut la peine d’être exploré.
Quelque chose qui s’observe avec beaucoup de jeux Zelda. Dans Wind Waker, le monde est envahi par les eaux avec Hyrule complètement submergé. Dans Twilight Princess, c’est le Royaume du Crépuscule qui prend place. Dans Ocarina of Time, le Royaume d’Hyrule est gouverné par Ganondorf lorsque Link est à l’âge adulte. Et bien évidemment dans Breath of the Wild / Tears of the Kingdom, c’est la guerre du sceau qui a provoqué l’annihilation générale avec un lent retour aux sources.
Des inspirations aussi radicalement opposées
À la lumière de ces exemples, il reste tout de même difficile de croire que Shigeru Miyamoto, Eiji Aonuma et Nintendo de manière générale se soient directement inspirés des films de Miyazaki, lui-même cachant rarement ce qui l’a influencé. Outre d’avoir été proche de sa mère, on sait que la Seconde Guerre mondiale a eu beaucoup d’influence sur ses œuvres. L’aéronautique, présent dans beaucoup de ses films, lui vient de son père qui travaillait dans le domaine. Par ailleurs, ce sont des œuvres comme le film Le Roi et L’Oiseau ou le livre Les Voyages de Gulliver qui lui servent d’inspiration.
D’un autre côté, Nintendo a aussi ses propres sources. Outre les différentes balades en forêt de Shigeru Miyamoto qui donne naissance à Zelda et sa philosophie de l’exploration, c’est par exemple la période Jômon (de 13 000 jusqu'à, environ, 400 av.J.-C) qui sert de modèle pour la civilisation ancienne de Breath of the Wild. De nombreuses poteries issues de cette ère de chasseurs-cueilleurs font plus que suggérer tout le travail réalisé autour des gardiens, à l'image de celle présentée ci-contre.
Hasard ou pas, Breath of the Wild et Tears of the Kingdom présentent des similitudes avec les films d’Hayao Miyazaki. Simple coïncidence due à une éducation ou des idéaux similaires ou réelle inspiration ? En tout état de cause, difficile ici de ne pas dire que les grands esprits se rencontrent, même à travers des œuvres presque séparées d’une génération entière. En toute circonstance, impossible de nier l’influence qu’a eu, qu’a et qu’auront ces œuvres à travers les années. Si Nintendo s’est inspiré de Miyazaki pour BotW et TotK, d’autres s’inspirent de Nintendo à leur tour. Et comme le dit si bien Charles Baudelaire dans L’Art Romantique : “C'est le propre des œuvres vraiment artistiques, d'être une source inépuisable de suggestions".