À chaque sortie de suite comme Zelda Tears of the Kingdom ou God of War Ragnarok pour ne citer que les plus récents, on observe souvent la même rengaine chez une frange de joueurs : ce sont des jeux 1.5, simplement des jeux améliorés qui vivent dans l'ombre d'un opus novateur. Une affirmation qui, en plus d'être erronée, minimise les qualités de ces jeux.
The Legend of Zelda : Tears of the Kingdom, God of War : Ragnarok... Sans être exhaustif, les suites de chefs-d’œuvre existent et ont dû porter la lourde notoriété de leur aîné. Pas facile d’être le petit dernier. Souvent à son insu, il veut (voire doit) faire mieux sans être différent tout en voulant être spécial. Dans une certaine mesure, c’est normal pour quelqu’un issu de la même famille… Mais dont certains joueurs reprochent le manque d’innovation pour être considéré comme une vraie suite. Un non-sens selon moi.
L'article qui suit constitue l'expression de l'opinion de son auteur. Il est donc par nature subjectif et n'englobe pas celui des autres rédacteurs de la rédaction de JV
Pourquoi qualifier de 1.5 les suites peut paraître justifié
C’est en qualifiant ces suites de1.5 que selon moi, le mal est fait. Par opposition à la 2.0 qui devrait être flambante neuve et suinter de nouveautés, la 1.5 n’est qu’une amélioration majeure de la proposition de base sans tout révolutionner. Par exemple, Cyberpunk 2077 a accueilli avec sa 1.5 une réelle compatibilité avec les consoles nouvelle génération telle que la PS5 et la Xbox Series. Peut-être que l’exemple aurait pu être mieux choisi parce que certains affirmeront qu’elle aurait dû arriver avec la sortie du jeu en 2020, mais c’est un débat qu’on gardera pour un autre article. Pour World of Warcraft, une mise à jour 1.5 apporte de nouvelles activités ainsi qu’une région inédite d’une zone déjà pré-établi dans l’extension. Le terrain de jeu est donc légèrement élargi mais reste le même, que l’on invite les joueurs à redécouvrir à travers de nouvelles choses à faire. À l’inverse, une (X+1).0 sur un jeu en ligne massivement multijoueur implique souvent une refonte totale, avec un nouveau bac à sable, de nouveaux personnages. En somme, une toute nouvelle manière d’apprécier le jeu.
Et en toute honnêteté, qualifier les suites de jeux de 1.5 peut se comprendre. Certains se sentiront floués par le manque de nouveautés, d’autres par un gameplay qu’il considère comme identique. Une troisième partie de joueurs, qui n’est pas forcément femée aux deux autres précédemment citées, vont estimer que le pan narratif de la suite aurait pu être intégré dans les prédécesseurs. Paradoxalement, on s’attend toujours plus à être ébloui par une suite d’une licence que le renouveau de celle-ci. Paradoxalement car c’est le moment où l’on devrait attendre le moins de surprises. Pokémon ne serait plus Pokémon sans cet univers grand public où l’on capture des monstres de poche pour les faire s’affronter ensemble. Les Super Mario ne serait plus des Super Mario sans étoiles, soleils ou lunes à aller chercher après de longs sauts de plateforme en plateforme. Ce genre de licences cultes ne peut pas prendre de virage inconsidéré sans énerver voire perdre une partie de son public. Ça s’est par exemple observé il y a peu avec Final Fantasy 16 jugé trop action pour certains et donc éloigné du tour par tour des premiers épisodes. Pourtant, il s’agit toujours de combattre des entités divines dans un univers fantastique dans lequel les Cristaux sont la source même de la vie.
Des jeux quand même différents, avec des prises de risques
Vous l’aurez compris, je considère que ce n’est pas pour autant que cela justifie qu’on qualifie les suites de jeux des 1.5, quel que soit la quantité de changements qu’elles apportent ; ou le degré de surprise inférieur que l’on éprouve. C’est justement parce que le terrain de jeu est le même que l’on peut les qualifier de 2.0. Quittons le jeu vidéo un instant. Peut-on vraiment qualifier de 1.5 Harry Potter et la Chambre des Secrets, qui fait office de deuxième livre ? Il s’agit pourtant du même terrain de jeu (Poudlard), des mêmes protagonistes avec nos trois sorciers de Gryffondor, des mêmes sorts utilsés et de la même trame principale autour de Celui-dont-on-ne-doit-pas-prononcer-le-Nom. Les lecteurs savent très bien à quoi s'attendre en lisant une suite et ne s'attendent pas à l'arrivée du multiverse dans une suite des aventures de leurs sorciers préférés. Un constat que l’on peut aussi avoir pour Star Wars en cinéma, Dragon Ball côté mangas ou encore À la recherche du Temps Perdu de Marcel Proust.
À l’inverse, aurait-on trouvé ça logique que le reboot de God of War soit appelé God of War 4 ? Probablement pas. Ça se constate aussi pour une autre grande franchise du jeu vidéo avec The Witcher : le projet Polaris s’inscrit dans une nouvelle trilogie différente des aventures de Geralt. C’est bien pour cela que l’on ne l’appelle pas The Witcher 4 bien qu’il soit le quatrième opus épisode vidéoludique de la franchise.
Pour en revenir au débat sur "les suites qui sont des versions 1.5", cette dénomination n’est jamais valide puisqu’elle reste une "évolution extérieure du jeu". On élargit le nombre de voiles disponibles pour le bateau sans en modifier sa colonne vertébrale pour faire une analogie grossière.
C’est intégré au monde de base, avec les fonctionnalités déjà écrites. Une 2.0, qu’on le veuille ou non, on efface ce que l’on a fait. Il y a une prise de risque, petite ou grande selon les points de vue, de la part des développeurs qui est bien réelle. Dans Zelda elle se situe au niveau des pouvoirs et dans la résolution d’énigmes : impossible de rattacher ça sous la forme d’un DLC, surtout lorsque l’on sait que plusieurs idées de TotK ont d’abord germé dans l’esprit des équipes de Nintendo pour un DLC de Breath of the Wild. Pareil pour Overwatch 2 qui, malgré l’amputation sévère de son mode PvE, n’est pas le même jeu puisqu’il passe d’un système en 6 contre 6 à des parties en 5 contre 5.
Et puis que dire aux développeurs qui travaillent d’arrache-pied pendant de longues années ? A-t-on vraiment envie de les remercier pour leur travail en leur claquant un non mais c’est un DLC, vous auriez pu le sortir plus tôt" ? Ils se défendront bien mieux que moi sur ce sujet-là mais dans le cadre de suites de projets d’envergure, il est probable que toutes les équipes du studio soient mobilisés pour en faire quelque chose qui répondent a minima aux attentes des fans et des joueurs. Une mission souvent réussie.
Les suites : des jeux mis à l'écart par des joueurs qui n'ont pas apprécié les premiers ?
À l’approche de la sortie d’un jeu ou d’une suite très attendue, notre comportement est souvent révélateur de notre position vis-à-vis de la foule. Si certains préfèrent jouer en retrait pour mieux profiter d’une pépite annoncée, c’est souvent trois types de joueurs que l’on observe. Les plus gros fans qui partagent leurs attentes, leurs craintes et un témoin de leur amour pour la licence en question ; les curieux qui attendent avec modération en s’interrogeant sur les choses à savoir avant d’en profiter ; les hargneux vociférant sur la dite suite expliquant que ce n’est qu’une version 1.5 puisque c’est le même moteur graphique, la même région et/ou le même gameplay.
C’est cette dernière catégorie de joueurs qui est le plus intéressante à observer. Elle semble se justifier pour ne pas jouer à un titre qui provoque l’émulation générale. Elle cherche alors des arguments pour comprendre pourquoi elle, n’a pas aimé ou n’aimera pas quoiqu’il arrive. Soit pour oublier le fait qu’ils ne pourront pas y jouer ou simplement parce qu’ils n’ont pas aimé le précédent… Qui constitue une référence pour beaucoup. Peut-être que c’est justement parce qu’ils se sentent à l’écart, peut-être moins légitime, pour n’avoir pas aimé un jeu considéré comme culte (probablement à raison !) qu’ils sortent de leurs gonds. Une sorte de différence qui fait peur de ne pas appartenir à ce large groupe de personnes (Maslöw quand tu nous tiens) qui aime tel ou tel jeu vidéo.
Peut-être que c’est aussi une façon pour les joueurs de pousser les studios à réinventer la roue à travers un nivellement par le haut en soulignant à leurs yeux le manque de révolution. D’une part, faire sans arrêt la comparaison n’engage pas les studios à dépasser les opus cultes puisque ces derniers sont cités comme exemple. D’autre part, ces jeux restent néanmoins des titres en tant que tels et les considérer comme de simples prolongements de titres déjà existants qui se reposeraient sur les lauriers de leurs aînés ne leur facilite pas la vie. Au lieu de pointer du doigt les ressemblances, soulignons les disparités qui font d’eux des jeux à part entière. Eux aussi ne demandent qu’à s’émanciper du nid familial.
