Depuis la saison inaugurale en 2014, le Championnat du monde de Formule E n’a cessé de progresser. L’année 2023 est marquée par l’introduction de nouvelles monoplaces 100 % électriques Gen3 bien plus performantes, ainsi que par de nouvelles règles de course visant à augmenter la compétititvité. J'ai suivi le jeune constructeur Cupra qui concourait aux côtés d’ABT pour la 9e manche de la saison de la FE à Monaco.
Comme chaque année au mois de mai depuis 1950, le centre-ville de la Principauté de Monaco se transforme en un immense circuit de course automobile pour accueillir le Grand Prix de Formule 1. Deux semaines avant cet événement depuis 9 années consécutives, le Rocher accueille sur le même tracé légendaire une autre course de la Fédération internationale de l’Automobile, l’ABB FIA Formule E Championship. Une vitrine de rêve pour cette nouvelle discipline encore relativement peu connue du grand public.
Largement inspiré des jeux vidéo, ce sport aux bolides de carbone ultras connectés pourrait bien devenir un jour la catégorie reine des courses automobiles. Durant cette saison 2023, 11 écuries et 22 pilotes s’affrontent sur le bitume avec des monoplaces 100 % électriques au travers de 16 manches sur 11 circuits urbains à travers la planète. Cupra qui concourt pour la première fois dans cette discipline m'a convié à assister à la 9e manche de la saison sur le circuit mythique de Monaco. Dès les premiers essais libres, l'ambiance dans les paddocks est survoltée. J'ai l'impression d'assister à une course de F1, le bruit des moteurs et les odeurs d'essence en moins.
Une nouvelle ère débute pour la FIA Formule E
La compétition ABB FIA Formule E Championship se déroule exclusivement sur des circuits en centre-ville qui favorisent généralement des courses très spectaculaires. Certaines villes comme Mexico et Monaco organisent l’E-Prix chaque année depuis 2014, tandis que d’autres comme Paris, New York ou Hong-kong le font de manière plus aléatoire. Parmi les 11 villes participantes cette année, citons donc Mexico qui a ouvert le bal début janvier, suivi pêle-mêle d’Hyderabad (le berceau de la technologie en Inde), Le Cap, Sao Paulo, Berlin, Monaco, Jakarta, Rome, ou encore Londres qui fermera la marche de cette saison le 30 juillet prochain.
Comme chaque saison depuis le début de la compétition, la FIA (Fédération Internationale de l’Automobile) promulgue de nouvelles règles pour essayer de pimenter la discipline. La Formule E est entrée dans une nouvelle ère cette année avec l’introduction de la troisième génération de monoplaces Gen3.
Gen3 : durabilité, performances, la Formule E passe à un autre niveau
Pour la FIA, la Formule E n’est pas une simple compétition automobile. Son objectif est de transformer le sport automobile en… un modèle de développement durable ! Autant dire que le pari est loin d’être gagné. Les jours des moteurs à combustion étant comptés, la fédération mise énormément sur la Formule E et les autres courses de véhicules à zéro émission pour préparer l’avenir des compétitions automobiles qu’elle chapeaute. Pour remplir ses objectifs, elle multiplie les mesures pour réduire l’impact des courses sur l’environnement.
Celles-ci concernent aussi bien l’aspect logistique et humain que les monoplaces 100 % électriques. Les courses de Formule E sont volontairement organisées en milieu urbain pour être plus facilement accessibles au public et générer moins d’émission de gaz à effet de serre. Autre particularité, elles se déroulent en une seule et même journée regroupant les essais libres, les qualifications, et la course.
Seulement 20 personnes peuvent travailler dans les garages des écuries cette saison et ce nombre sera réduit à 17 dès l’année prochaine. Le règlement prévoit par ailleurs que toutes les pièces en fibre de carbone cassées durant les courses soient systématiquement recyclées. La FIA a mis également tout en œuvre pour réduire drastiquement la consommation de pneus. Pour cela, elle a lancé un appel d’offre aux manufacturiers afin qu’ils créent un pneu capable de fonctionner à la fois sur les pistes sèches et humides.
C’est Hankook qui a remporté la mise et qui est désormais le manufacturier officiel de la Formule E. Il succède à Michelin qui était le fournisseur officiel depuis la première saison. Pour compenser les émissions inévitables, des investissements sont réalisés chaque saison dans divers projets de développement durable certifiés. Grâce à ces initiatives et bien d’autres, la Formule E ABB FIA est devenue le premier sport international certifié neutre en carbone.
Des monoplaces presque identiques pour tous les pilotes
Après les Gen1 et les Gen2, c’est au tour des monoplaces Gen3 de prendre le départ sur les starting-blocks des E-Prix. Très semblables aux bolides à pétrole de la F1 (à l'exception de la sonorité radicalement différentes des moteurs électriques), elles affichent un look plus futuriste et agressif que jamais. Il faut savoir que deux pilotes, parmi les meilleurs du monde, participent aux courses pour chacune des 11 écuries. Les électrisantes Gen3 disposent du même châssis (fournit par Spark Racing Technologies), de la même batterie (conçue par Williams Advanced Engineering depuis les Gen1), et des mêmes pneus signés par le Sud-Coréen Hankook. Chaque écurie est par contre libre de développer son propre groupe motopropulseur.
Le poids des Gen3 a été réduit d’environ 50 kilos cette année et passe de 900 à 850 kilos. Autre évolution, les Formules E embarquent désormais non pas un moteur, mais deux avec un groupe motopropulseur avant et arrière. Résultat, leur capacité de récupération d’énergie fait un bond spectaculaire de 250 à 600 kW (40 % d’énergie régénérée) ! La puissance des monoplaces à batterie passe quant à elle de 250 kW pour la Gen2, à 350 kW (470 ch) pour la Gen3. Plus légers et plus puissants, les bolides à zéro émission rivalisent désormais avec les F1 en pouvant atteindre une vitesse théorique de pointe de… 322 km/h !
« Après une saison 8 couronnée de succès, nous avons apporté de légères modifications au format de course dans le but de faire connaître le Championnat du monde de Formule E ABB FIA à un public toujours plus large tout en encourageant les équipes à tester de nouveaux talents. Avec l'arrivée très attendue de la monoplace Gen3, composée de 22 pilotes emblématiques et comptant certains des meilleurs pilotes du sport, je suis certain que la nouvelle ère de la Formule E sera prometteuse. » , déclare Pablo Martino, responsable de la division Formula E Sporting Matters de la FIA.
La gestion stratégique de la batterie
Commune à toutes les Formule E de la saison, la batterie développée par Williams est au cœur de l’évolution des Gen3. Durant les quatre premières saisons, les pilotes devaient changer de voiture au milieu de la course pour repartir avec une batterie chargée au maximum. Grâce aux progrès technologiques, cette époque est désormais révolue. Deux fois plus endurante que par le passé, la batterie permet de tenir toute la course à condition toutefois que les équipes et leurs pilotes gèrent parfaitement la consommation d’énergie.
Une course de Formule E ne repose pas uniquement sur la vitesse. La principale difficulté pour les pilotes est de rouler le plus vite possible sans risquer de tomber en panne de batterie. On peut d’ailleurs voir sur les retransmissions vidéo des courses sur les écrans géants ou la télévision le taux de charge en pourcentage restant de chaque monoplace en lice. Une mauvaise gestion et c’est la panne sèche et donc la fin de la course assurée !
Un Attack Mode qui corse la compétition
Au cours de la saison, la FIA a introduit une nouvelle règle qui transforme radicalement la donne : un arrêt au stand obligatoire de 30 secondes pour une recharge ultra rapide. Durant ce laps de temps, la batterie est rechargée de 4 kWh par un chargeur boost (conçu par ABB) de 600 kW ! Sur les courses sélectionnées cette année, l’arrêt au stand permet aux pilotes de déverrouiller le mode attaque (Attack Mode en anglais) permettant d’atteindre une puissance maximale de 350 kW. Ils ont le droit de l’utiliser au choix durant 1+3 minutes, 2+2 minutes, ou 3+1 minute durant la course. Digne d’un jeu vidéo, l’Attack Mode offre aux pilotes la possibilité de dépasser leurs concurrents grâce à un boost temporaire. Toute la difficulté est d'utiliser ce boost de puissance au bon moment.
Lors des précédentes saisons, les courses de Formule E durait 45 minutes + 1 tour. A présent, elles comptent un nombre de tours prédéfinis pouvant être allongé si une safety car neutralise la course durant un certain laps de temps suite par exemple à un incident. C'est arrivé d'ailleurs à plusieurs reprises sur le circuit monégasque où il y a eu pas mal de casse. Parsemés de virages en épingle, les circuits urbains de la Formule E n’offrent aucune échappatoire. Le talent des pilotes est mis à très rude épreuve et les casses et les accidents sont très nombreux. Rares sont les monoplaces ayant fini en entier sur le circuit monégasque.
Avec leur gabarit plus petit que celui des F1, les monoplaces électriques offrent bien plus de possibilités de dépassement. Contrairement à la F1, les pilotes ne peuvent de surcroît pas vraiment compter sur la supériorité technique de leurs monoplaces. Les courses de FE sont de véritables parties d’échecs où la stratégie est au moins aussi importante que le coup de volant des pilotes. C’est particulièrement vrai sur le tracé mythique long de 3,337 km de la Principauté qui compte 19 virages, dont 3 offrants des possibilités de dépassement. La compétitivité est bien plus grande que dans la F1, et cela se traduit d’ailleurs par des vainqueurs différents chaque année depuis le début du championnat.
« Nous créons les conditions idéales pour que les meilleurs pilotes et équipes puissent réussir et gagner. Le passage aux tours permet aux équipes de mieux planifier leur stratégie de course. L'introduction d'Attack Charge lors des courses plus tard dans la saison ajoutera une toute nouvelle dimension à la stratégie de course pour les équipes et à l'intérêt des fans. Nous préparons également l'avenir en offrant l'opportunité aux nouveaux pilotes du championnat de prendre place et de montrer ce qu'ils sont capables de faire. », expliquait en début de saison le cofondateur et directeur du championnat de Formule E Alberto Longo.
Formule E : un laboratoire d’innovations
Depuis ses débuts, la discipline est un véritable laboratoire d’innovations technologiques. Bon nombre de technologies innovantes développées pour les monoplaces 100 % électriques se retrouvent quelques années plus tard sur des modèles de série à zéro émission. Secret industriel oblige, les constructeurs et leurs partenaires communiquent au compte-goutte sur les technologies qu’ils développent. Certaines ont toutefois marqué la compétition à l’instar des systèmes de recharge sans fil Qualcomm Halo qui ont fait leur apparition lors de la deuxième saison.
Posés au sol, ces chargeurs à induction permettaient de recharger la batterie des safety car (des BMW i8 hybrides à l'époque) de la course en seulement 20 minutes. Qualcomm continue d'améliorer son concept qui devrait un jour nous permettre de charger les voitures électriques comme des smartphones. Au fil des saisons, la Formule E a permis de faire d’énormes progrès sur la récupération d’énergie lors des phases de freinage et d’améliorer les véhicules électriques de série. Renault a notamment amélioré le système de récupération d’énergie de la Zoé grâce aux travaux réalisés en FE. La compétition constitue également un eldorado pour l'analyse et le traitement de la data.
Les monoplaces électriques et les casques des pilotes sont truffés de technologies embarquées qui permettent aux ingénieurs dans les paddock de recueillir d’énormes masses de données : caméra, potentiomètres (linéaires et rotatifs), RFID et TPMS pour contrôler et surveiller les pneus, capteurs de température à infrarouge, capteurs à effet Hall, capteurs capacitifs, capteurs inductifs ou encore capteurs de position sans contact. Durant les essais, l’analyse de ces données est capitale pour élaborer la stratégie de course. Pour l’heure, elles sont collectées par câble lorsque les voitures retournent au stand. Lorsque la réglementation le permettra, les données pourront être retransmises en direct notamment via la télémétrie, comme c’est le cas dans la F1 pour certaines d'entres elles.
Xavi Serra, Head of CUPRA Racing explique l’importance du traitement de la data pour les courses : « De nos jours, et notamment en FE, ces données sont cruciales et ont un impact considérable sur le résultat. Le fait de ne pas les avoir ou de ne pas les analyser correctement est un inconvénient que personne ne peut se permettre. Pour résumer, sans données ou avec des données erronées, il n'y a absolument aucune chance d'être compétitif, aucune. D'un autre côté, lorsqu'on les possède, elles sont essentielles pour préparer non pas une, mais plusieurs stratégies de repli et différents scénarios possibles pour la course ».
En résumé
Cupra, DS, Jaguar, Maserati, McLaren, Nissan, ou encore Porsche font partie des grands constructeurs qui se disputent cette saison de Formule E avec des monoplaces de troisième génération. L’anglais Nick Cassidy (Envision Racing) a fait le show en remportant la course après être remonté de la 9e à la première place. Côté Cupra, le pilote néerlandais Robin Frijns a terminé 13e, tandis que son coéquipier suisse Nico Müller qui était remonté de la 17e à la 9e place a été contraint à l’abandon après que sa monoplace ait été heurtée par celle d'un concurrent.
La course monégasque s’est jouée quasiment à guichet fermé avec des tribunes pleines à craquer de spectateurs. Le spectacle était complet avec quelques dépassements épiques, et pas mal de casse ! J'ai été particulièrement impressionné par le talent de cette nouvelle génération de pilotes qui se battent quasiment à armes égales. C'est l'une des spécificités qui rend, selon moi, les courses de Formule E vraiment intéressantes en termes de pilotage. Hormis le bruit de gros aspirateurs des monoplaces électriques qui rebute encore certains puristes du sport automobile, la Formule E a sans aucun doute de beaux jours devant elle...