Le travail des archéologues consiste à décrire la vie de nos ancêtres ; c'est une banalité, tout le monde le sait. Sauf que cette banalité implique une chose qui est trop souvent oubliée : les aspects les plus tabous du quotidien sont aussi étudiés. Vous allez le voir, cela fait des millénaires que les humains prennent des substances qui retournent le cerveau.
La plus ancienne preuve directe de consommation de drogue par des humains
Une expédition archéologique a été menée dans la grotte d'Es Càrritx située sur l'île baléare de Minorque (Espagne). Là-bas, les scientifiques ont trouvé des restes d'homo-sapiens de plus de 3000 ans extrêmement bien conservés. Au milieu des fouilles, des mèches de cheveux coupées, peignées et... peintes en rouge. Ni une ni deux, les archéologues ont envoyé la trouvaille en labo.
Surprise : dans ces mèches de cheveux, les chercheurs et chercheuses ont découvert 3 substances aujourd'hui illégales ou étroitement contrôlées. Ces restes constituent la plus ancienne preuve directe de consommation de drogues psychoactives dans toute l'Europe !
Eh oui ! Jusqu'à présent, les preuves de la consommation de ce type de substances ont toujours été indirectes. En clair, avant cette expédition, nous n'avions jamais détecté de psychoactifs dans des restes humains aussi vieux, toujours dans des objets. Les seules traces de drogues aussi vieilles connues jusqu'alors ont été découvertes dans des restes de pots ou dans des vestiges de campements.
Difficile de savoir précisément si la prise de psychoactifs avait un but récréatif ou religieux. Pour le moment, les spécialistes pensent que ces drogues furent utilisées par des chamans à l'occasion de rites bien spécifiques. Le fait que les mèches de cheveux appartiennent à 10 personnes différentes (alors que 210 dépouilles d'individus ont été retrouvés dans la grotte) et qu'elles aient été traitées avec tant de soin sont des indices qui portent à croire que des rituels spécifiques ont été associés à cette prise de stupéfiants.
Les 3 substances avec lesquelles nos ancêtres se défonçaient
Très concrètement, trois alcaloïdes ont pu être identifiés dans la mèche de cheveux rouges.
- L'éphédrine : un alcaloïde proche chimiquement des amphétamines et employé à des fins de dopage chez les sportifs. Ce stimulant est aussi utilisé dans certains traitements médicaux comme l'asthme par exemple.
- L'astropine : aujourd'hui, cette substance est principalement utilisée en médecine. On l'utilise contre les malaises vagaux, les symptômes de la maladie de Parkinson ou encore pour dilater vos pupilles chez l'ophtalmo. L'astropine augmente le rythme cardiaque et peut, à haute dose, provoquer des hallucinations voire même la mort.
- La scopolamine : proche de l'astropine, cet alcaloïde possède également un effet sédatif. Il provoque en outre d'intenses hallucinations délirantes, de l'amnésie et des pertes de conscience. Pendant la seconde guerre mondiale, on utilisait la scopolamine comme serum de vérité.
Ces substances peuvent être trouvées dans différentes plantes appartenant à la flore insulaire de Minorque, telles que l'éphédra (Ephedra fragilis), la mandragore (Mandragora autumnalis), la jusquiame blanche (Hyoscyamus albus) et la Jimson (Datura stramonium), toutes appartenant à la Famille des solanacées.
Nos ancêtres européens semblaient posséder des connaissances très précises de leur environnement et des vies sociales ultra-riches et complexes. Les études comme celle-ci ne font que confirmer que les images mentales populaires d'hommes et femmes préhistoriques bas du front ne sont que des clichés.
Si vous désirez lire l'article scientifique publié à la suite de cette découverte, voici sa référence : Guerra-Doce, E., Rihuete-Herrada, C., Micó, R. et al. Preuve directe de l'utilisation de plusieurs drogues à Minorque de l'âge du bronze (Méditerranée occidentale) à partir de l'analyse des cheveux humains . Sci Rep 13, 4782 (2023).