Josh Sawyer, game director du prochain first-party de Xbox, s’est entretenu avec nous au sujet du tournant qu’il entreprend avec l’équipe d’Obsidian en développant un jeu de niche.
Le 15 novembre prochain, Xbox pourra inscrire un nom supplémentare sur sa liste de jeux first-party : Pentiment. Repéré au Summer Game Fest 2022, le nouveau-né d’Obsidian a marqué la surprise des joueurs qui s’attendaient plutôt à voir passer quelques visuels d'Avowed ou de The Outer Worlds 2, les gros projets actuels du studio. Mais c’est finalement une expérience plus inhabituelle au style singulier qui sera l'étendard de l’équipe Microsoft en cette fin d’année. Pentiment est un titre narratif 2D dans lequel le joueur incarne Andreas Maler, un voyageur sur le point de devenir maître artiste qui séjourne dans une abbaye bénédictine. Témoin d'un meurtre sordide, le bon Andreas endosse dès lors le rôle de détective dans un vaste décor inspiré par les enluminures des manuscrits médiévaux et par la gravure sur bois. À la tête de ce projet bourré d'anecdotes historiques, on retrouve Josh Sawyer, directeur de Fallout New Vegas et Pillars of Eternity, bien conscient ici de proposer un jeu de niche.
On est une petite équipe (douze personnes) au sein d'Obsidian. Donc je savais que ce dont nous avions besoin n’était pas de trouver un grand public, mais plutôt de trouver un public passionné. J'étais un peu inquiet de la réaction des gens... mais je n'étais pas vraiment inquiet du grand public. J’ai vu beaucoup de gens être dédaigneux parce que c'est bizarre (rires), c'est un jeu narratif et notre style est unique. Mais une fois que j'ai vu les gens jouer au jeu, en particulier à la gamescom, et faire des retours vraiment positifs, j'ai vraiment pris conscience qu'il y avait un public pour le jeu.
Son assurance, Josh Sawyer la puise également dans le deal naturellement conclu avec le Xbox Game Pass ; Pentiment sera bien évidemment disponible Day One dans le catalogue de Microsoft et sera donc à la portée de ses millions d'abonnés. “Le fait que Microsoft nous ait rachetés et qu'ils aient un Game Pass est l'une des choses qui m'ont encouragé à proposer ce jeu”, certifie le game director, lui-même client du service : "la différence entre dire 'achetez-le pour 20 dollars tout de suite' et 'essayez-le, installez-le et jouez-y pendant quelques minutes' (rires), c'est une proposition très différente. (...) De nombreuses personnes abonnées au Game Pass déclarent jouer à un éventail de jeux beaucoup plus large.”
Je pense vraiment que le Game Pass est une excellente plateforme pour ça (Pentiment) parce que c'est si inhabituel, parce que c'est une niche. (...) Je sais que beaucoup de gens le prendront et le laisseront tomber, parce qu'ils se diront 'c'est beaucoup de lecture, c'est de l'histoire et ce n'est pas mon truc' et c'est pas grave. Mais j'espère qu'une tonne de gens le prendront et diront 'wow, j'aime l'histoire, j'aime cet art, j'aime lire, parler à tous ces personnages et voir où va l'histoire'.
“Ce n'est pas un jeu pour tout le monde, mais s'il a un public, c’est qu’il vaut la peine d'être fait”
Quand Josh Sawyer raconte Pentiment, il est facile de deviner que le jeu est une sorte de fresque de ses passions les plus profondes, lui qui se rêvait dans une carrière d’illustrateur et s’est longtemps assis sur les bancs de la fac d’histoire.
J'aime l'art, mon père est sculpteur et je voulais être illustrateur en grandissant, surtout quand j'ai étudié l'histoire, l'histoire de la fin du Moyen-âge et du début de la modernité ; je me suis intéressée à l'évolution de l'art au cours de la période médiévale.
Le jeu d’Obsidian retient d’abord l’attention pour son esthétique singulière, tirée des enluminures et des manuscrits de la Renaissance. “Si je voulais explorer le sujet de l'époque, je pensais que la meilleure façon de le faire était d'adopter un style qui correspondait à cette période transitoire entre le monde médiéval et le monde moderne”, justifie Sawyer. L'enquête d’Andreas Maler débute en 1518 précisément, une date qui succède aux 95 thèses de Martin Luther, ce texte à l'origine de la Réforme protestante dans le Saint-Empire romain germanique et d’une certaine ébullition sociale. L’aventure s’inscrit justement dans un contexte fébrile à l’aube de bouleversements politiques. Armé de trois historiens sollicités pour l’occasion, Obsidian illustre avec une authenticité particulière le train de vie paysan mené à la baguette par le clergé dans un cadre toutefois purement fictif. Néanmoins pas besoin d’être féru d’histoire pour apprécier l’expérience selon le directeur : “Je pense que quelqu'un peut jouer à ce jeu sans connaître beaucoup d'histoire et aimer le style artistique et les personnages”. Le pré-requis s’applique tout de même en interne : Sawyer se devait de “trouver une petite équipe qui était vraiment passionnée par le fait de raconter le même type d'histoire que moi, qui était intéressée par le même sujet et qui le faisait pour une niche, et accepter cela”.
Ce n'est pas un jeu pour tout le monde, mais s'il a un public, c’est qu’il vaut la peine d'être fait.
Plus un jeu narratif qu’un jeu d’enquête ?
Au vu des images de Pentiment, difficile de ne pas penser au long-métrage Le Nom de la rose. Le film historique de Jean-Jacques Annaud, porté par l’acteur Sean Conner, plante justement son cadre dans une abbaye bénédictine où des moines sont retrouvés morts dans des circonstances suspectes. Si le titre est bien cité en référence au cours de l’interview, Sawyer explique néanmoins s’éloigner de la structure du jeu d’enquête tel qu’on le connaît. Night in the Woods, Mutazione, Oxenfree, le game director préfère évoquer à la volée quelques grands noms de la scène narrative indé. La recette d’un jeu à histoire qui fonctionne ? “Les personnages dans lesquels vous vous investissez et les conflits qui vous tiennent à cœur.”
Je vais passer pour un hater mais… je n'aime pas la plupart des jeux de détective dans le sens où j'aime les mystères mais je n'aime pas que la structure du jeu où vous faites des choix qui vous obligent à vous limiter à une seule bonne réponse. Ainsi, dans Pentiment, nous avons plusieurs suspects et nous ne vous disons jamais définitivement qui est le tueur. Vous êtes vraiment dans une situation où vous devez prendre une décision au mieux de vos capacités. Et peut-être que cette décision est basée sur votre sentiment quant à la personne que vous pensez être la plus responsable, la plus susceptible d'avoir fait le coup, peut-être que c'est le personnage que vous aimez le moins. Très souvent, d'après ce que j'ai vu (jouer), c'est le personnage qu'ils aiment le moins (rires), ou peut-être que c'est un personnage qui, selon vous, ne manquera pas à la communauté...
Le fort d’Obsidian, c’est bien de vous forcer à faire des choix difficiles dont la portée sera clairement visible. Et dans Pentiment, le doute sera donc toujours permis : “Si vous avez ces quatre personnes devant vous et que vous vous dites que toutes ces personnes auraient pu tuer cette personne, qu'elles ont chacune leur propre motif et leur propre attitude, que vous avez votre propre relation personnelle avec elles et qu'elles ont leur propre relation avec la communauté, alors ce que nous vous demandons de dire, c'est qui devrait mourir selon vous ?”. Le terrain de jeu offre donc de grandes libertés, toutefois cadrées par une limite de temps. À mesure que l’aiguille de l’horloge avance, Andreas Miler dispose de moins de temps pour réunir ses preuves. “J'aime cette tension, car elle vous oblige à établir des priorités, à prendre des décisions difficiles…”, justifie Sawyer. Les joueurs peuvent rendre leur verdict depuis le 15 novembre 2022, date de sortie de Pentiment sur PC et consoles Xbox.