Microsoft va-t-il pouvoir aller au bout de son intention de racheter et d'absorber Activision Blizzard King ? C'est la question que se posent tous les observateurs du marché depuis l'annonce de l'accord, estimé à près de 70 milliards de dollars.
Le rachat d'Activision Blizzard King par Microsoft, le feuilleton de la saison 2022-2023
C'est un feuilleton qui a démarré en janvier dernier, et qui n'a pas encore connu son dénouement. Il y a près de 11 mois de cela, Microsoft et Activision Blizzard King annoncent avoir trouvé un accord, permettant à Microsoft de racheter l'éditeur de Call of Duty, Crash Bandicoot, Diablo, Overwatch ou encore World of Warcraft contre la somme de 68,7 milliards de dollars. Un montant stratosphérique, qui a fait sortir l'annonce du seul cadre de l'industrie du jeu vidéo.
Les grands médias généralistes du monde entier en ont parlé, de même que les nombreuses publications spécialisées business, bourse, ou finance. Comme vous le savez peut-être, ce rachat est au coeur d'une bataille entre PlayStation et Microsoft. L'un pense que Microsoft risque de nuire au marché en disposant de toutes ces licences, et en particulier de Call of Duty. Microsoft assure qu'il n'est pas question de priver les joueurs de la licence de FPS, et que, de toute façon, Sony resterait largement leader sur le marché, même si le rachat devenait effectif.
Les régulateurs réagissent à tour de rôle
Ces échanges, parfois très vifs et accompagnés de multiples documents censés faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre, sont publié sur la place publique mais visent avant tout les divers organismes faisant autorité en matière de concurrence. La FTC étudie le rachat aux Etats-Unis, l'Arabie Saoudite a déjà donné son feu vert, et le Brésil a balayé les arguments de Sony, en indiquant se ranger du côté des consommateurs et non de celui des intérêts des entreprises. Mais en Europe, la situation est plus compliquée.
La CMA, l'organisme britannique chargé d'étudier le dossier, a rendu un premier avis défavorable sur le rachat, craignant que Microsoft, déjà en position de force de part la synergie entre le cloud, Windows et les jeux vidéo, ne porte préjudice à toute forme de concurrence en ayant un contrôle total sur des licences fortes telles que Call of Duty. Des arguments rejetés par Microsoft, qui pointait une décision basée sur "des déclarations intéressées de Sony qui exagèrent considérablement l'importance de Call of Duty pour elle et négligent de tenir compte de la capacité manifeste de Sony à réagir de manière concurrentielle".
L'Union Européenne inquiète des conséquences du rachat, une enquêtes approfondie ouverte
En septembre dernier, on apprenait que l'Union Européenne, dont ne fait plus partie le Royaume-Uni, allait probablement lancer une enquête approfondie. Le Financial Times rapportait que les régulateurs européens considéraient le dossier comme sensible de part son ampleur et des inquiétudes de la concurrence, et donc qu'il faudrait probablement étudier chaque point du rachat. Depuis la publication de ces informations, Microsoft a officiellement déposé son dossier auprès de l'UE, qui a rendu un premier avis hier soir. Sans surprise, ce premier avis est négatif et entraîne l'ouverture d'une enquête approfondie :
La Commission européenne a ouvert une enquête approfondie afin d'apprécier le projet d'acquisition d'Activision Blizzard par Microsoft, au regard du règlement de l'UE sur les concentrations. La Commission craint que l'opération envisagée puisse réduire le jeu de la concurrence sur les marchés de la distribution de jeux vidéo pour consoles et ordinateurs personnels («PC») et des systèmes d'exploitation pour PC.
Selon le document publié sur le site officiel de la Commission Européenne, l'enquête préliminaire a montré que le rachat pourrait "sensiblement" réduire l'espace concurrentiel lié à la distribution des jeux, ce qui comprend également le cloud et le marché des systèmes d'exploitation.
Plus précisément, la Commission craint qu'en acquérant Activision Blizzard, Microsoft puisse verrouiller l'accès aux jeux vidéo pour consoles et PC d'Activision Blizzard, notamment à des jeux emblématiques et rencontrant un énorme succès (jeux de type «AAA») tels que «Call of Duty». (...) Microsoft pourrait avoir la capacité, de même que la tentation économique, de mettre en place des stratégies d'éviction des distributeurs de jeux vidéo pour consoles concurrents, par exemple en les empêchant de distribuer les jeux vidéo pour consoles d'Activision Blizzard sur les consoles ou en dégradant les conditions d'accès à ces jeux vidéo ou d'utilisation de ceux-ci.
En ce qui concerne les services d'abonnement de jeux vidéo et/ou de jeu en streaming dans le nuage en particulier, la Commission craint qu'en acquérant Activision Blizzard, Microsoft puisse verrouiller l'accès à ses propres jeux vidéo pour PC et consoles, qui sont essentiels pour la fourniture de ces services naissants, au détriment des distributeurs de jeux vidéo pour consoles et PC concurrents qui offrent des services de ce type.
Hausse des prix, baisse de la qualité, toute puissance de Windows... les points qui posent problème
Autrement dit, l'UE craint qu'avec ce rachat, les joueurs se sentent contraints d'acheter un ordinateur tournant sous Windows pour jouer. Toujours d'après le rapport de la commission, une telle stratégie était mise en place, elle pourrait entraîner une hausse des prix de distribution, une baisse de la qualité des production, et une réduction de l'innovation, qui se répercuteraient immanquablement sur les consommateurs.
Enfin, à ce stade de l'enquête, la Commission craint que l'opération envisagée puisse réduire le jeu de la concurrence sur le marché des systèmes d'exploitation pour PC. Plus précisément, elle s'inquiète du fait que Microsoft puisse réduire la capacité d'autres fournisseurs de systèmes d'exploitation pour PC à concurrencer Windows, son système d'exploitation, en combinant les jeux d'Activision Blizzard et sa distribution de jeux via le jeu en streaming dans le nuage vers Windows. Cela découragerait les utilisateurs d'acheter des PC ne fonctionnant pas sous Windows.
Pour la Commission Européenne, ces craintes ne sont pas que des conjectures, puisque l'enquête préliminaire permet de conclure que Microsoft pourait être économiquement tenté de mettre en place ces stratégies anti-concurrentielles. Désormais, la Commission Européenne dispose de 90 jours ouvrables pour prendre une décision.
On devrait donc avoir une décision au plus tard le 23 mars 2023. Le rapport précise enfin que si le premier avis est négatif, l'ouverture d'une enquête approfondie "ne préjuge pas de l'issue de la procédure". Maintenant, c'est à Microsoft de rassurer tout le monde, afin d'obtenir l'aval des autorité pour racheter officiellement Activision Blizzard King. Les choses pourraient rapidement avancer au niveau mondial, puisque la FTC (USA) pourrait rendre sa décision publique dès la fin du mois de novembre.