Pourquoi la taxe sur Spotify et autres services de streaming est appelée "taxe anti-rap" ?

Cette dénomination semble venir du tweet de Niska qui a déclenché la petite polémique sur les réseaux sociaux. Le juré de Nouvelle Ecole a choisi l'oiseau bleu pour faire parler de sa cause du moment et interpeller la Ministre de la Culture Rima Abdul Malak. À sa suite, d'autres acteurs de l'industrie ont pris la parole.

Derrière cette complainte de millionnaire qui semble craindre avant tout de subir une perte de 1,5% d'une partie de ses revenus se cache une situation complexe que la plupart des gens ne soupçonne pas.

Spotify, Deezer ou Apple Music ont beau être d'immenses géants, leur rentabilité n'est pas folle, voire inexistante. Spotify, grand leader avec 31% de part de marché mondial (le français Deezer est à 2%), affiche un chiffre d'affaire d'environ 10 milliards d'euros, mais un bénéfice d'à peine quelques millions (seulement 2 millions au dernier trimestre 2021). Il y a encore très peu de temps, Spotify perdait de l'argent tous les trimestres.

Cette économie fragile a des chances d'être impactée par une taxe. Pour compenser la perte, il est probable que les services de streaming revoient leurs contrats avec les distributeurs de musique. Ainsi, les revenus des artistes seraient effectivement impactés. Il serait dommage de perdre une dynamique enfin positive déjà impactée par l'inflation galopante.

Certaines personnes craignent une hausse des prix de leur abonnement suite à cette taxe, mais nous n'y croyons pas. Nous reviendrons plus tard sur ce point.

Le rap est un style de musique particulier qui ne se consomme presque qu'en streaming. Retenez 2 chiffres clefs issus des rapports de la SNEP (Syndicat national de l’édition phonographique), l'organisme qui distribue les disques d'or et autres distinctions liées aux chiffres de vente :

• 87% de la consommation des albums de Rap dans le top 200 France se fait en streaming
• 61% des titres les plus écoutés en streaming sont des titres de rap

Autre particularité du rap : alors qu'il est le plus écouté de France, ce genre musical est celui qui bénéficie du moins de subventions de la part du CNM (Centre National de la Musique) par manque de représentations des acteurs du milieu au sein de cette instance. La taxe proposée par la NUPES a pour objectif de combler le déficit budgétaire du CNM, ce qui est louable. Problème : elle risque alors de taper dans les revenus des rappeurs pour redistribuer aux chanteurs et chanteurs de variété. D'où le qualificatif de "taxe anti-rap".

Pour tout vous dire, dans une vie passée, j'ai moi-même été rappeur indépendant et ma musique était ma source de revenus principale. En tant qu'indépendant relativement précaire, tant que je n'avais pas d'intermittence, mon argent venait en très grosse majorité des services de streaming. Je ne peux que comprendre la panique qui s'empare de certains.

Beaucoup de bruit pour pas grand chose... un comble quand on parle de buzz dans l'industrie musicale

Gardons les pieds sur terre : ces rappeurs aux millions de streams s'affolent de façon irrationnelle pour plusieurs raisons.

La première raison, et peut être la plus évidente, est que cet amendement a très peu de chances de passer. La parole de 6 députés NUPES n'a pas un poids très fort dans l'Assemblée et rares sont les amendements de l'oppositions qui réussissent à s'imposer. Le plan des députés de l'opposition est plus souvent de déclencher des débats et de ramener des sujets sur le devant la scène que de vraiment faire passer leurs idées.

Notons qu'il existe tout de même un précedent, la "taxe YouTube" qui pioche dans les immenses revenus des géants comme Netflix et Google pour donner un peu d'argent au CNC (le centre national du cinéma et de l'image animée sponsorise de nombreux créateurs de contenu français en retour). Cette taxe n'a absolument rien changé au niveau de rémunération des vidéastes français, puisque ces deals sont décidés soit à échelle mondiale soit à échelle individuelle. Il n'y a aucune raison qu'il en soit autrement pour la musique.

Les vidéos musicales cartonnent sur TikTok et YouTube. Les clips et covers sont même les vidéos les plus vues de ces plateformes, ni plus ni moins. Ces entreprises audiovisuelles sont bien plus rentables que les services de streaming et elles ne rémunèrent presque pas les artistes. Comptez environ 3€ pour 1000 stream Spotify et moins d'1€ pour 1000 vues YouTube. Quant à TikTok, n'en parlons même pas tellement les chiffres sont ridicules.

Ne serait-il pas plus malin d'aller chercher l'argent là où il se trouve et de mieux le redistribuer ?

Retournons sur le cas des l'abonnements. Nous pensons qu'il ne faut pas trop craindre une hausse des prix, même si une nouvelle taxe arrive. Du moins, une hausse généralisée des services de streaming américains ne pourrait être justifiée que par une taxe de 1,5% venue d'un seul pays dont le nombre d'habitants n'est même pas si grand.

Sachez que la concurrence est assez rude sur le marché du streaming et que tous les services ne rémunèrent pas de la même façon. Faire 100 000 streams sur Apple Music ou Deezer, des challengers, est BEAUCOUP plus avantageux pour les artistes que faire 100 000 streams chez le leader Spotify.

Ceux qui ne dominent pas sont prêts à perdre de l'argent pendant quelques années pour gagner des abonnements. Si Spotify augmente ses tarifs, il n'est pas certain que la concurrence fasse de même. Les gens passeraient dont sur Apple Music par exemple, et cela devrait faire gagner énormément d'argent à Niska et ses confrères. Alors pourquoi le craindre ?

Bref, cette histoire fait beaucoup de bruit pour pas grand chose. Elle a été l'occasion pour moi de vous parler de ce secteur particulier que je connais bien et que j'aime beaucoup, c'est déjà ça de pris.