Un twitto manifestement doué en informatique vient de prouver en quelques manipulations que le récent classement des villes les plus dangereuses de France du journal Le Figaro est méthodologiquement bancal. Il lui a même suffi de quelques clics pour faire de Brest, ville bretonne assez tranquille, le plus gros coupe-gorge au monde.
Le classement des villes les plus dangereuses au monde pose un problème énorme
Le 27 septembre à 16h, David Bertho, un photographe manifestement à l’aise avec un clavier entre les mains, a publié un long fil - ou thread - sur Twitter avec pour objectif de débunker un article du Figaro rédigé il y a 4 jours par le journaliste Stephane Saulnier. Plus de 20 000 likes plus tard, une petite polémique se déclenche.
La tech concerne une variété de sujets qu’on ne soupçonne pas de prime abord et cette affaire en est une nouvelle preuve. Dans sa série de tweets explicatifs, David Bertho utilise des mots et des concepts assez précis liés au monde de l’informatique. Tâchons d’expliciter tout cela. Avis aux connaisseurs : nous allons vulgariser très grossièrement les choses.
Commençons, comme le twitto, par un rappel des faits. Le classement des villes les plus dangereuses de France et du monde partagé par Le Figaro s’appuie sur la base de donnée serbe Numbeo.
Numbeo n’est pas un organisme de sondage qui travaille avec la méthode des quotas, et encore moins un laboratoire de recherche en sciences humaines à la méthodologie rigoureuse. Les questions sont mal posées, il n'y a aucun examen par les pairs et, pire encore, n’importe qui peut insérer ou modifier des données.
Vous pouvez donc parfaitement vous rendre vous-même sur Numbeo pour participer à des sondages à la rigueur douteuse. Le classement sur la “dangerosité” des villes n’est donc pas basé sur des faits ou des chiffres concrets, mais sur une poignée de personnes qui donnent leurs avis, leurs sentiments subjectifs, à propos de la sécurité d’une ville qu'elles n'habitent peut-être même pas.
Puisque tout le monde peut faire varier les résultats de ce classement, David Bertho s’est mis en tête de faire de Brest la ville la plus dangereuse du monde. Pourquoi Brest ? Avant tout pour une question de praticité.
Faire de Brest la ville la plus dangereuse au monde
Avec ce jeu de données bancal, le classement publié par Le Figaro nous “informe” que la ville de Nante est la plus dangereuse de France et qu’elle se place même dans le top 200 mondial. David Bertho va changer cela : en quelques minutes, Brest va dépasser Nantes. Comment s'y est-il pris ?
Une méthode pourrait consister à tout bêtement retourner manuellement sur le site un certain nombre de fois et de participer au sondage sous un tas de nouvelles identitées numériques. Malin, David Bertho préfère automatiser le processus avec un petit peu de bidouille. Si vous voulez le code de son script, il se trouve juste là.
Les serveurs des sites Web, dont Numbeo, communiquent avec votre navigateur via le protocole HTTP (ces 4 lettres que vous retrouvez en début de lien URL). Il y a différentes façons de demander des choses au serveur, de lui faire des requêtes. Depuis la préhistoire d’internet, la méthode de requête GET existe.
- David Bertho commence donc par une requête GET toute bête pour récupérer une JSESSIONID valable. Le JSESSIONID est utilisé pour garantir la bonne communication entre le client (votre navigateur) et le serveur. Grâce à un cookie, le site vous identifie à travers vos clics.
- David Bertho enchaîne avec une requête POST, une autre façon de communiquer avec le protocole HTTP, pour jouer avec les données du formulaire liées à la ville de Brest.
- En passant par le réseau décentralisé Tor (vous savez, la fameuse porte d’entrée vers le Dark Web), David Bertho change d’identité à chaque nouvelle requête. Pas de chance, Numbeo demande une validation manuelle et un script créé à la va vite est incapable de franchir ce mur…
- …sauf en passant par des Proxies publics. Un serveur Proxy est un intermédiaire sur lequel les requêtes de notre photographe vont “rebondir” avant d’arriver sur le serveur de Numbeo.
- Quelques manip’ plus tard, le petit script de David Bertho change de Proxy pour chaque nouvel envoi de formulaire. C’est parti pour pourrir la réputation de Brest.
En très peu de temps, le score de la ville bretonne dépasse celle de sa voisine de Loire-Atlantique : Brest dépasse Nantes et devient la ville la plus dangereuse de France. Un tout petit peu d’attente et hop, Brest dépasse Pretoria (Afrique du Sud) et Caracas (Venezuela) pour devenir la ville la plus dangereuse DU MONDE.
Une polémique sur Twitter ?
Démonter ce genre de papier à sensation fait forcément parler, car le sujet est profondément politique. Les affects de beaucoup ont été touchés, et, comme souvent sur Twitter, une petite polémique se déclenche et ce genre de messages remontent souvent :
C’est marrant
— chris (@cricrimontreal) September 27, 2022
Tout ce thread pour minimiser la violence crue subie par les habitants
Ici à #nantes c’est l’enfer
Les femmes ne sortent plus
Un thread la dessus ??
Pour conclure son fil Twitter, David Bertho rappelle que cette manipulation sur Numbeo avait déjà été effectuée il y a quelques années par un suédois. Le Figaro aurait dû savoir que Numbeo n’est pas une source fiable.
David Bertho n’a pas dit que la violence n’existe pas en France. Il a simplement démontré que se baser sur des chiffres moisis n’est pas une bonne façon de prouver ce propos. Pour tenir une thèse avec aplomb, il faut de meilleurs arguments qu’un simple sondage non représentatif basé sur des ressentis subjectifs.