Avant que Nintendo ne devienne l'entreprise familiale que l'on connaît parfaitement tous, il vendait des cartes érotiques et produisait des Love Hotel, entre autres.
Peut-être le saviez-vous déjà, mais certains l'ignorent encore : cette image que vous pouvez observer sur la gauche de ce paragraphe est signée Nintendo. Bien avant que le mastodonte japonais ne commercialise les aventures de Mario et n’érige son emblème d’éditeur familial, il était le plus grand cartier local.
Nintendo Koppai
Pendant plus de quatre-vingts ans, avant qu'elle ne devienne un pilier de l'industrie vidéoludique, la firme Nintendo s'adonne pleinement au hanafuda : un jeu de cartes dénué de chiffres dont l’imagerie s’inspire de la nature et des saisons. Il prend pour modèle les jeux occidentaux rapportés dans les cales des commerçants portugais à la fin de l’ère Muromachi (1336-1573), alors que les japonais ne connaissent encore que les coquillages peints utilisés comme divertissement alternatif. Mais à l’heure du Sakoku, soit quand le Japon ferme ses portes et entame une politique isolationniste, le gouvernement ne voit pas d’un très bon œil cette nouvelle pratique assimilée au jeux d’argent et promulgue des lois afin de la bannir. Entêtés, les japonais finissent par façonner leurs propres cartes, le hanafuda donc, imprégnées de leurs couleurs locales. Elles deviennent dès lors un symbole de banditisme et circulent fréquemment dans les mains des yakuzas. Leur propagation est phénoménale, les joueurs ayant pour habitude d'en dégainer de nouvelles avant chaque partie afin d’éviter la triche. Puis en 1886, tandis que le pays du soleil levant s’ouvre de nouveau au monde, le gouvernement Meiji tolère le hanafuda. Et trois ans plus tard, un certain Fusajiro Yamauchi dont on ne connaît pas grand chose mais qu’on sait grand adepte de cartes fonde dans sa ville natale de Kyoto la société Nintendo Koppai, qu'on pense être la traduction de « Laissons la chance au ciel ».
Photo of Nintendo headquarters in Kyoto in 1889 (Meiji era) when it’s just established by a Karuta card craftsman Yamauchi Fusajiro. The word Nintendo is commonly assumed to mean 'leave luck to heaven', but there are no historical records to validate this assumption. pic.twitter.com/8AqCdMafVI
— tkasasagi 🐻 (@tkasasagi) September 21, 2020
Les cartes de Yamauchi sont élégantes, sculptées sur de l’écorce de mûrier. Fini le fait-main, leur production est mécanisée, propulsée par l’industrialisation rapide du pays. Les derniers artisans qui se servent d’un pochoir à main se sont retirés au milieu des années 1940 (Kotaku). Il existe tout de même encore dans la ville de Kyoto une boutique qui fabrique ses cartes à la main : Oishi Tengudo, seul concurrent vraiment notable. Fleurs de prunier, de cerisier, chrysanthèmes, pivoines feuilles d'érable… autant de plantes dessinées qui sont le symbole des différentes saisons. Traditionnellement, les cartes sont plus petites que les versions occidentales. Pour plaire à une gente masculine, les illustrations de Nintendo Koppai dépeignent parfois les tatouages de la mafia et se basent généralement sur l’art Ukiyo-e, mouvement populaire qui représente fréquemment de jolies dames occupées par diverses activités. Et certaines s’avèrent être plutôt coquines.
L'ère de la pin-up
La boutique de Fusajiro Yamauchi est un tel succès qu’il en ouvre une nouvelle à Tokyo, Osaka et puis même une autre à Kyoto. Dès 1951, Nintendo Koppai devient Nintendo Playing Card Co. Ltd sous la présidence de Hiroshi Yamauchi, homme d’affaires et arrière-petit-fils de Fusajiro Yamauchi. La société produit des cartes imprimées à l’effigie des personnages de Walt Disney, s’ouvrant ainsi à un tout nouveau marché pour enfants. Naturellement, pour entretenir l’enthousiasme de la clientèle, il faut se plier aux tendances. À la fin des années 1960, c’est la pin-up qui a le vent en poupe : cette femme au brushing impeccable et à la silhouette en forme de sablier façonnée pour flatter la rétine de l’homme. Cela fait bien une décennie que l’on a réalisé que le sex fait vendre ; en Occident, Hugh Hefner a déjà lancé son magazine Playboy. Alors voilà que la pin-up se retrouve placardée sur une flopée de produits, incluant donc les cartes de Nintendo Koppai. Sur ce marché bien encombré, la société innove sur la manière d’ouvrir le paquet : En faisant glisser le couvercle latéralement, le joueur déshabille la dame représentée au recto et au verso de l'emballage. Les cartes révèlent ensuite des femmes occidentales dans des positions lascives. Si M. Yamauchi a d’abord commencé à fabriquer ces cartes pour les exporter, le produit est devenu un succès local.
Tout de même tabou sur le territoire, la nudité reste contenue. Des carrés de mosaïques viennent flouter les parties les plus intimes, les corps ne sont jamais complètement dévêtus et ne laissent généralement apparaître que les seins. Difficile de confirmer réellement la date de production du jeu illustré ci-dessus. Certains médias penchent pour l’année 1972, Nintendo ayant commercialisé une collection baptisée Miracle Trump à cette période, proposant le même type d'ouverture de boîte en diagonale. Certaines créations s’avèrent également être de simples commandes, l’une d’entre elles a notamment été produite pour le géant japonais du whisky Suntory, client notable de son portefeuille qui s’imaginait probablement flatter son consommateur avec une bonne bouteille et un jeu coquin.
And a look at their Hanafuda factory.
— Kaihatsu (@KaihatsuYT) April 15, 2021
(3/3) pic.twitter.com/dY9NyaFMV3
Aujourd’hui, le hanafuda est traditionnellement joué à la maison pendant les fêtes du Nouvel An japonais. Un jeu comporte 48 cartes qui regroupent une série de quatre pour chaque mois de l'année. Naturellement, les motifs sont inspirés de chaque saison. L'objectif est alors de former des combinaisons spéciales. Une variante est à ce propos disponible dans le jeu 51 Worldwide Games et dispose de sa vidéo explicative sur le site de Nintendo. Sinon, de vrais jeux de cartes se rendent encore disponibles aujourd'hui sur My Nintendo Store, comme récemment ce jeu spécial "Mario" illustré à gauche.
Puis viennent les Love Hotel
Les cartes érotiques ne seront pas les seules curiosités vendues par Nintendo. Nous pourrions également évoquer leur curieux Love Tester électronique (1969) qui utilise des circuits électriques dans l’objectif de mesurer la compatibilité amoureuse entre deux personnes sur une échelle de 0 à 100. Le géant a aussi produit une entreprise alimentaire de riz instantanée, une compagnie de taxis, et pour rester dans la thématique de l’érotisme, une chaîne de love hotel que le président de l'époque aurait lui-même fréquenté si l'on en croit la rumeur. Au Japon, un love hotel est un établissement dans lequel il est possible de réserver à l'heure ou à la nuit. Généralement, on les pense plutôt destinés aux couples en recherche d'intimité. Leur popularité est fulgurante dans les années 1960. Si on ne sait finalement pas grand chose de cet ancien business, on raconte que Nintendo a fini par lâcher l'affaire à la fin de la décennie tandis que la mafia locale cherchait à y avoir sa part du gâteau. Aussi infructueuses ces activités ont-elles pu être, impossible de nier que Fusajiro Yamauchi aimait s'aventurer sur toutes sortes de terrain plus ou moins risqués. Quoi qu’il en soit, Nintendo connaît une percée au début des années 1970 avec son Nintendo Beam Gun, le premier jouet électronique du Japon, vendu à plus d'un million d'unités. La firme a enfin trouvé le bon filon.
Sources : Nintendo, Generation-nintendo, Before Mario, Nintendo Fandom, Kotaku, Cnet