Gratte-ciel immaculés, portes rouges et ruelles inaccessibles… les environnements de Mirror’s Edge sont reconnaissables entre mille. Éparpillez leurs clichés entre quelques centaines d’autres décors de jeux vidéo et vous serez toujours en mesure de les distinguer dans la masse. Et puis il y a cette aisance inoubliable dans les déplacements, ce flow implacable dans lequel le titre nous aspire. Jamais une expérience ne m’a autant marqué à ce niveau.
Cet article est un billet d’opinion, il est par nature subjectif. L'avis de l'auteur est personnel et n'est pas représentatif de celui du reste de la rédaction de JV.
Mirror's Edge, développé par DICE, faisait partie avec Dead Space des nouvelles licences chapeautées par le géant Electronic Arts dans l’objectif de diversifier son portefeuille de jeux. "Il y avait une pression à l'intérieur du studio pour faire quelque chose de différent... À l'époque où nous étions encore une société indépendante. Nous voulions pousser pour une nouvelle IP", se rappelle Patrick Söderlund, anciennement PDG de DICE (Polygon). L'équipe suédoise prend le risque d'oser, sa formule n'est pas encore populaire. Le jeu dystopique s'inscrit dans un courant à la première personne qui relègue la violence au second plan. Il s'écarte effrontément des carcans déjà imposés par les triple A et brille par trois aspects : une esthétique accrocheuse, une héroïne hautement charismatique et un gameplay fantastique. Pour ces trois traits qui n'ont jamais perdu de leur superbe quatorze ans après sa sortie, Mirror’s Edge reste mon jeu préféré.
Un univers inoubliable
Je le conçois, Mirror’s Edge n’a jamais brillé par son scénario, mais son univers n’en est pas moins fantastique. L’aventure débute dans la peau d’une jeune héroïne qui distance la police en s’agrippant au train d'atterrissage d’un hélicoptère. Faith a un look et un tempérament qui détonnent. Elle incarne une messagère au tempérament de feu employée illégalement dans une ville acquise au sécuritarisme. Son rôle est de transmettre des colis sensibles en parcourant les toits de la cité. Les bas-fonds sont si impénétrables qu’ils en deviennent mystiques, les atteindre étant toujours synonymes de mort. Sur les toits, il n'y a pas âme qui vive, pourtant l’immersion y est saisissante.
Le jeu nous maintient sur ses hauteurs vertigineuses, plongées dans un ciel d’un bleu impeccable. Le souffle de l’héroïne retentit à chaque sprint. Faith se déplace avec une facilité déconcertante. Elle nous offre une sensation de liberté dans laquelle on s'oublie presque ; mais sa course doit rester constante : les autorités sont à ses trousses, lorgnant la moindre chute. Les musiques fantastiques de Solar Fields rythment l’épopée. Et vous vous rappelez peut-être du thème principal baptisé Still Alive qui venait clôturer notre escapade en beauté.
L'impeccable level-design
Jamais je n’ai trouvé un pathfinding et un level design aussi bien exécutés, lesquels reposent sur un minimalisme efficace. Alors bien sûr, Mirror’s Edge a sa part d’imperfections : un récit qui ne prend jamais vraiment et la possibilité de manier des armes à feu en dernier recours alors qu’elles venaient casser la fluidité du parkour. Le jeu de DICE sera tout de même un succès critique à défaut d’être commercial. Martin Frain, directeur marketing de DICE, estimait que son bébé s'écoulerait au moins à 3 millions d'exemplaire, pensant même "qu'il avait le potentiel de faire encore mieux que ça". Mais les espoirs étaient vains ; certaines sources non officielles évoquent des ventes inférieures à 150 000 exemplaires au niveau mondial sur la première semaine de commercialisation. Un an plus tard, le titre franchira péniblement le million d’exemplaire.
Pourtant Mirror’s Edge est un titre indéniablement culte. Il est né à une époque où l'engouement pour le parkour atteignait son pic, propulsé par les licences phares que sont Uncharted et Assassin’s Creed. Relancer le jeu pour l’écriture de ce billet m'a rappelé que sa beauté n’avait pas pris une ride et que son aura restait toujours aussi particulière. Lars Gustavsson, directeur créatif de DICE raconte lui-même ressentir le besoin de prendre la manette et de jouer un peu, juste pour y revenir. Catalyst, la suite, aurait sûrement mieux fait de reprendre cette formule simple de niveaux bien conçus au lieu de nous servir sa traversée libre qui manque d'âme. Mirror's Edge n'a pas besoin de monde ouvert pour nous procurer un sentiment de liberté. On doute de voir un troisième volet débarquer dans les prochaines années, même si la licence a été pensée comme une trilogie. Mais un retour aux sources serait (pour moi du moins) une véritable bénédiction.