Les lois de l’addiction

Commençons par définir ce qu’est une addiction, histoire d’établir un socle commun, un socle sur lequel repose ma démarche. Selon le site drogues.gouv.fr, les addictions sont des pathologies cérébrales définies par une dépendance à une substance ou une activité, avec des conséquences délétères.

OK, l’usage outrancier des smartphones n’est pas reconnu en 2022 comme une addiction. Pour information, seuls les jeux de hasard et d’argent sont listés dans les addictions sans substance. Pourtant, ces concentrés de technologies dont nous, humains, sommes si fiers et dépendants prennent trop souvent le pas sur tout le reste.

• Combien de fois ai-je participé à un dîner avec pour seuls échanges le "bleu" des écrans ?
• Combien de fois mon écran a-t-il absorbé 100% de mon attention sans aucune raison valable au beau milieu d’une soirée, autour d'un verre dans un bar ?
• Combien de souvenirs bien réels me sont passés sous le nez trop obnubilé que j’étais par une notification sans réel intérêt ?

Selon une étude de l’institut DataReportal réalisée en 2021, soit post pandémie de Covid-19, une personne lambda, vous et moi donc, passe en moyenne 4 heures et 10 minutes sur son téléphone par jour. Cela représente 17,3% d’une année. Ce même individu clique et swipe 2.617 fois par jour (BankMyCell - 2021). C’est tout simplement ahurissant.

Je me suis vu dans ces données. C’est en tombant sur ce genre de statistiques que j'ai eu une épiphanie. J'étais face à une évidence troublante et dérangeante. J’étais devenu, malgré moi et au fil des années, accro à mon smartphone, à sa présence, à ses petits stimulis quotidiens et (trop) réguliers. Consulter mon Huawei P9 Lite et mon Xiaomi Redmi Note 10 était à cette époque aussi naturel que de respirer, boire de l’eau… bref, vous m’avez compris.

Il existe en 2022 un terme pour désigner cette dépendance aux smartphones. La nomophobie ou mobidépendance est un néologisme désignant la peur d'être séparé de son téléphone mobile pour les personnes dépendantes au smartphone. La messe est dite !

Les chaînes de l’habitude

Pour vaincre un ennemi, il faut connaître cet ennemi, et avant ça prendre conscience qu’il existe. Une addiction est par nature pernicieuse. Elle s’installe en vous doucement, mais sûrement, un jour après l’autre, un geste après l’autre, une habitude après l’autre. Chez moi, l’addiction aux smartphones s'apparente à une addiction à la cigarette, la clope, le clou de cercueil pour les plus vieux d’entre nous.

Ce ne fut pas si difficile pour moi de briser les chaînes qui me ligotaient à mon téléphone. J’ai appliqué "bêtement" une méthode qui a fait ses preuves pour arrêter le tabac, à condition d’avoir une volonté de fer. Il s’agit de se dire "non" à soi-même, de refuser de prendre son smartphone après en avoir eu l’envie et de répéter cela encore et encore… 10 fois successives PAR situation, PAR contexte.

• P.S. Le nombre de “10” est fluctuant selon les gens.

Il s’agit d’une démarche personnelle, délicate à mettre en œuvre, mais qui permet rapidement de se désintoxiquer. En contrepartie, cette méthode exige une abnégation sans faille. Se relâcher UNE unique fois dans une situation donnée vous oblige à recommencer de zéro pour ladite situation. J’ai à titre personnel échoué à de multiples reprises. Vous êtes prévenus !

L’emprise des notifications

Il est essentiel de prendre en compte la propension des applications (Twitter, Facebook, Instagram, TikTok, Snapchat, Tinder, Happn, Netflix, Disney+, YouTube, Gmail, etc.) à vous relancer, à attiser une curiosité qui devient au fur et à mesure maladive. Je le sais. J’étais “forcé” de vérifier mon téléphone à la moindre illumination de l’écran, incapable que j’étais de faire preuve de patience.

La notification est le “fix 2.0” du toxicomane, de l’addict aux réseaux sociaux. Ce qui était au départ un stimuli positif, un plaisir curieux, était devenu avec le temps une obligation, une contrainte. J’étais dans l'incapacité de ne pas regarder, de ne pas répondre, de ne pas interagir aussi superficielle était la notification, aussi futile était l’information transmise. XXX a sorti une nouvelle vidéo. XXX vous a mentionné dans un message. XXX … COOL, hier j’ai mangé une pomme !

Soyons justes. Les notifications sont utiles et parfois essentielles, mais uniquement dans le cadre d’une urgence. J’ai fini par privilégier certaines applications, SMS (je suis né en 1986), Messenger et WhatsApp pour échanger avec mes proches. J’ai désactivé les notifications autres celles concernant les échanges directs. Si je désire interagir avec les sphères sociales, je dois lancer lesdites applications. Mon interaction est active et consciente. Je ne suis plus le jouet de mes instincts les plus primaires. J’ai enchaîné et muselé la bête !

Le piège des transports en commun

Je ne vais pas vous le cacher. Je ne comprends pas ceux qui, en déambulant sur le trottoir, fixent leur smartphone… sauf pour se repérer. Au-delà du danger qu’ils représentent pour les autres et eux-mêmes, ce comportement me dépasse, mais ce n’est pas le sujet qui m’intéresse. Parlons des transports en commun.

Nous sommes des millions à nous entasser, telles des bêtes de somme, dans le métro, le bus, le tramway, le train, etc. quelques dizaines de minutes, parfois plusieurs heures par jour. Je regarde régulièrement autour de moi et je suis scié par le pourcentage de voyageurs qui fixent intensément et sans relâche leur téléphone. Spoiler alert ! Vous n'y trouverez probablement jamais la réponse à la grande question sur "la vie, l'univers et le reste". (P.S. c'est "42").

Je faisais partie de cette caste de personnes qui scrollaient pour combattre l’ennui et la lassitude de prendre jour après jour la même ligne. Une chose m’a alors frappé. Je perdais mon temps. Je dilapidais des heures entières à strictement ne rien faire de constructif. Je me suis donc mis à visionner des séries et des animes, et à passer ni plus ni moins que ma vie (du lundi au vendredi) devant un écran, entre l’ordinateur, le smartphone et la TV. J’ai donc pris une décision que certains jugeraient drastique, mais que j’estimais à titre personnel nécessaire pour poursuivre ma désintoxication aux écrans.

J’ai acheté des livres et j’ai fait de la littérature ma principale, puis unique activité dans les transports en commun. Je ne parle pas de liseuses (je n’ai rien contre). Je parle d’ouvrages, de l’objet “livre”. Cela m’a permis de retrouver le touché d’une page de papier et d’explorer des univers trop longtemps délaissés par mon MOI d'antan accro aux smartphones.

En l’espace de 2 ans, j’ai arpenté les confins de l’univers avec la saga Dune. J’ai atteint l’Extrême-Amont aux côtés de La Horde du Contrevent. J’ai suivi le sorceleur Geralt de Riv dans ses traques fantastiques. J’ai été le témoin de la descente aux enfers et de la résurrection artistique de William S. Burroughs dans Le Festin Nu. Bref, j’ai voyagé au-delà des possibles, assis que j’étais dans la ligne 3.

Un temps pour tout

Il y a un temps pour tout. Un temps pour surfer sur les réseaux sociaux, un temps pour regarder un programme audiovisuel, un temps pour lire, un temps pour se divertir. Je ne vais pas vous mentir. Je ne comprends plus ceux qui regardent une série, un film, un anime sur leur écran de téléphone. Comment profiter de la mise en scène, des visuels, de l’histoire dans ces conditions ? avec un écran dont la surface excède de peu la paume de la main ? au beau milieu des autres et du brouhaha ?

Pour moi, on touche à l'hérésie ! J’exagère, mais vous avez compris l’idée. Je ne vais pas m’étendre une seconde fois sur le pouvoir de la littérature qui va de pair avec celui de l’imagination, je vous laisserai (re)découvrir tout cela en temps et en heure. Je préfère m’attarder désormais sur une autre calamité… le smartphone devant un film. Je ne le sais que trop bien, car j’étais de ces personnes qui regardent sans regarder (sauf au cinéma). Le long-métrage servait alors de bruit de fond. Je portais mon attention ailleurs.

Difficile de se qualifier de cinéphile lorsqu’on ne respecte même pas les œuvres que l’on regarde. Peu importe le format, le média, il convient de dédier du temps à un film, une série, un anime, un jeu vidéo, une bande-dessinée sans s’éparpiller outre mesure sous peine de passer totalement à côté. L’humain, moi le premier, n’est pas véritablement multitâche. Il scinde son attention pour finalement se focaliser sur une activité.

J’ai donc pris la décision de mettre mon téléphone dans une autre pièce (ma chambre en l'occurence) et de ne le consulter qu’à la fin d’un épisode, d’un film, puis j’ai appliqué cette logique au reste de ma vie au sein de mon appartement. En vacances, mon smartphone sert de GPS, de jukebox, d’appareil photo et reste dans mon sac le reste du temps. Pas besoin de partager sa vie pour la vivre, tel est mon mantra en 2022.

Je confie ma conclusion à William S. Burroughs, l'auteur américain de la Beat Generation cité précédemment qui mieux que quiconque a combattu et cédé à ses addictions tout au long de sa vie. De cette confrontation est née une œuvre intemporelle… Le Festin Nu. En voici un extrait :

L'orgasme ne joue aucun rôle dans la vie du drogué. L'ennui, qui indique immanquablement une tension non soulagée, ne l'effleure jamais. Il peut contempler sa chaussure pendant huit heures d'horloge, et ne se remet en activité que lorsque le sablier de la came s'est vidé. - William S. Burroughs (Le Festin Nu - 1959)