Si le sigle FMV (Full motion video) ne vous dit rien, ce n'est pas vraiment étonnant. Genre très populaire il y a plus de 30 ans, il est rapidement tombé dans l'oubli et même les joueurs d'antan n'avaient pas franchement envie de raviver son bon souvenir. Mais les choses ont changé. Les FMV sont morts, vive les FMV ! Ces dernières années, ces titres ont en effet le vent en poupe. Simple passade ou tendance bien vivace ? Retour sur l'histoire de ce genre longtemps désavoué qui a son public retrouvé.
De star des bornes d'arcade à genre désavoué
Nous sommes au début des années 80. Alors que le jeu vidéo est en plein essor, un tout nouveau genre s'invite dans les salles d'arcade : les jeux en FMV. Ce sont Sega et Cinematronics qui se lancent en premiers en 1983 avec Astron Belt et Dragon's Lair, deux jeux aux allures de films interactifs. L'idée est d'insérer des cinématiques filmés en temps réel (ou animé dans le cas de Dragon's Lair) afin de contourner les limites techniques des jeux de l'époque et apporter un peu plus de réalisme. Et ça marche ! Les jeux FMV sont une véritable avancée, notamment permise par l'arrivée des LaserDisc, plus performants que les cartouches. Pour beaucoup, ce genre mêlant cinéma et jeu vidéo s'annonce comme le futur de toute l'industrie.
Alors les développeurs mettent le paquet. Les bornes d'arcade proposant des jeux en FMV se multiplient. De Bega's Battle à Thayer's Quest en passant par Space Ace et Cobra Command, l'offre gonfle rapidement, peut-être même un peu trop. Car si cette nouvelle technologie fait rêver certains, elle a de nombreux inconvénients. Plus chère et moins fiable, elle perd très vite en intérêt, que ce soit pour les joueurs ou les développeurs. Les FMV tombent ainsi rapidement en désuétude.
Il faudra attendre quelques années pour que la technologie du LaserDisc se démocratise et permette à nos petits films interactifs d’être plus attractifs. Très vite, les joueurs se jettent à nouveau sur ces machines, avec ern principale ligne de mire le rail shooter Mad Dog McCree (1990). Mais c’est surtout sur CD que les FMV vont connaître leur âge d’or. Night Trap, Phantasmagoria, ou encore The X-Files Game, The 11th Hour, Spycraft et Under a Killing Moon sont autant d’exemples de titres qui ont fait le succès des FMV, aussi bien sur PC que sur Méga CD, PlayStation et consorts. C’est simple, que ce soient les jeux d’horreur, d’action, d’aventure ou d’espionnage, tous ont eu à l’époque leur FMV de référence.
Mais vous l’aurez peut-être compris, l’histoire des jeux FMV est semblable à de bonnes vieilles montagnes russes : une montée fulgurante rapidement suivie d’une chute inexorable. Parce que si de très bons FMV ont vu le jour, ils étaient au moins autant à être plutôt mauvais, voire même risibles. Comme pour tout genre à succès, les studios se sont rué sur ce qu’ils espéraient être la nouvelle poule aux œufs d’or, donnant ainsi naissance à des titres développés à la hâte et au budget trop restreint. Cela donnera des jeux bâclés qui entacheront profondément la mémoire des FMV.
Beaucoup ont gardé en mémoire le doublage catastrophique de The Beast Within : A Gabriel Knight Mystery ou le maigre jeu d’acteur et le côté lunaire de Man enough. Ajoutez à cela un genre aux possibilités limitées et vous comprenez pourquoi les joueurs ont peu à peu abandonné les FMV de tout bord. C’est ainsi que les jeux FMV sont devenus un genre désavoué par toute l’industrie. De nombreux joueurs les voient aujourd’hui comme des simulacres de films mal joués et glauques au possible. En somme, ce genre avait tout pour sombrer dans l’oubli. Et pourtant, il a rencontré un regain de popularité ces dernières années, redevenant presque à la mode. Mais comment les jeux FMV ont bien pu remonter la pente ?
Night Trap, Corpse Killer… la revanche des FMV d'antan
Connaissez-vous la nostalgie ? Vous savez ce sentiment qui vous pousse à vous tourner encore et toujours vers les jeux de votre enfance ou d’accueillir avec excitation les annonces de remake et autres remaster. Cela fait un petit moment que la nostalgie est devenue un véritable fond de commerce pour l’industrie du jeu vidéo. Nombreux sont les studios à capitaliser à nouveau sur leurs succès passés. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ça marche, et même pour un genre aussi décrié que celui des FMV.
En 2017, Screaming Villains se lance dans une grande entreprise : remasteriser les nanars du FMV. Et pour commencer, le studio porte son dévolu sur un titre bien particulier : Night Trap. Si vous avez jeté un oeil à cet article, vous savez sans doute que ce titre a joué un rôle important dans l’histoire du jeu vidéo. Il fut l’un des titres pointés du doigt par les politiques américains militant pour un contrôle de la production vidéoludique. Si cette réputation lui avait permis de gagner une petite notoriété et de rencontrer un certain succès, le jeu était bien loin d’être un chef d'œuvre du genre.
Mais son côté nanardesque au possible en fait un représentant des jeux de toute une époque. Oui le scénario n’est pas bien crédible, oui le jeu d’acteur n’est pas incroyable et oui la plupart des situations sont lunaires, mais c’est aussi ce qui fait son charme en un sens. À la manière des sitcoms d’antan, ce sont les défauts de Night Trap qui en font ses principales qualités, du moins aux yeux des joueurs nostalgiques ou fascinés par le passé de leur médium préféré.
C’est ainsi que Night Trap regagna ses lettres de noblesse en rencontrant un certain succès avec sa version remaster. Limited Run proposa même une édition physique en quantité limitée, dont tous les exemplaires furent rapidement écoulés. Il est d’ailleurs fort intéressant de voir le franc succès rencontré par cette édition, quand on sait que trois ans auparavant, un kickstarter proposant justement de remettre Night Trap au goût du jour avait malheureusement échoué.
Now available on PS4 & Steam pic.twitter.com/2TagaEkUyk
— Screaming Villains (@screamingvill) March 23, 2021
Si Screaming Villains a fait des anciens FMV son cheval de bataille (de Double Switch à Ground Zero Texas), il n’est bien sûr pas le seul. Game Refuge et Galloping Ghost Productions ont même pris le pari de sortir un jeu qui avait été annulé dans les années 80 : The Spectre Files : Deathstalker. Connu comme “le jeu perdu du LaserDisc”, il avait été annulé vers 1983 suite à l’échec de NFL Football, alors même que toutes les séquences avaient été tournés et que son créateur, Brian Colin (Rampage), était prêt à présenter le tout. Cette décision fut donc une profonde déception pour lui qui et il n’oublia jamais son petit bébé. Si bien qu’en 2016, il s’approcha de Galloping Ghost Productions pour donner (enfin) vie à The Spectre Files : Deathstalker. Une belle petite histoire pour un jeu qui ne fit pas grand bruit certes, mais qui su faire plaisir à ce cher public nostalgique.
Vous l’aurez compris, la deuxième moitié des années 2010 a fait office de période de la seconde chance pour tous ces jeux d’arcade ou d’ailleurs qui avaient marqué les joueurs 30 ans auparavant. Cette dynamique a certes permis au genre du FMV de retrouver ses lettres de noblesse, mais il n’aurait sans doute pas autant le vent en poupe sans une autre tendance visant à renouveller son offre.
Her Story, Super Seducer, The Complex… faire du neuf avec du vieux
En 2015, un jeu va profondément chambouler le genre du FMV : Her Story. Développé par le désormais célèbre Sam Barlow, le titre a clairement dépoussiéré la formule. Pour rappel, le titre vous invite à naviguer entre les différentes dépositions d’une femme interrogée dans le cadre d’une enquête sur la disparation de son mari. Pas besoin de simplement cliquer sur une image ou un bouton pour déclencher une nouvelle cinématique, ici tout se passe avec des mots-clés que vous devez déduire grâce à vos nombreuses écoutes. De par son approche innovante, le titre rencontra un certain succès, aussi bien que critique que commercial, et propulsa Sam Barlow au rang de maître contemporain absolu du genre.
Après cette date charnière, les nouvelles propositions se multiplient. En 2018, on retrouve ainsi Super Seducer, un autre pilier du FMV qui a fait les beaux jours des streamers de tout bord. Poussant à l'extrême les jeux de drague en FMV de l’époque, le titre de Richard La Ruina (devenu une licence par la suite) a fait connaître le genre à de nombreux jeunes joueurs. Pas d’innovation côté gameplay certes, mais un ton si particulier qu’il a très vite su trouver son public.
Outre ces deux gros mastodontes, on a récemment eu le droit à une pléthore de FMV cherchant à se démarquer de leurs prédécesseurs. On peut ainsi noter la narration d’Erica, le système d’affinité de The Complex, la complexité de She Sees Red, les mécaniques nouvelles de Not For Broadcast ou encore l’ambiance de Late Shift. Notez d’ailleurs que deux de ces titres sont d’ailleurs signés Wales Interactive, un éditeur indépendant qui s’est spécialisé dans le genre il y a peu. Avec Gamer Girl, il s’était même essayé à faire un FMV avec des scènes tournées en pure improvisation. Néanmoins, le message un peu maladroit du titre avait fait vivement réagir Internet, poussant Wales Interactive à l'annuler.
Mais l’éditeur n’a pas pour autant abandonné le genre, continuant de capitaliser sur ce dernier qui semble à nouveau marcher. Récemment, il nous a d’ailleurs pondu Who Pressed Mute on Uncle Marcus? qui a reçu de bonnes critiques au global et s’est hissé dans le top des jeux les plus vendus de la firme. Car si l’offre augmente pour les FMV, c’est bien car il existe des joueurs toujours de plus en plus nombreux à s’y essayer.
Pourquoi ce regain de popularité ?
Nous l’avons évoqué, la force de la nostalgie ainsi que le travail de modernisation de Sam Barlow ont clairement joué un rôle important dans la popularité retrouvée des jeux en FMV. Mais il faut bien plus pour redonner vie à un genre aussi raillé que celui-ci. Comment peut-on donc expliquer un tel regain de popularité ? C’est une bien vaste question à laquelle il est impossible de répondre sans l’ombre d’une hésitation. Mais l’intérêt grandissant du cinéma et du petit écran pour les expériences interactives a sans doute joué un petit rôle dans cette affaire.
Les expériences interactives ont longtemps fait les beaux jours des versions DVD de nos films préférés. Et puis il y a eu l’ Interactive Adventures sur Youtube, suivi de près par quelques petites expériences éducatives pour les plus petits. Mais en 2016, Netflix décide de voir les choses en grand. Le géant américain se rapproche de Charlie Brooker, créateur de la série à succès Black Mirror, avec une idée bien précise en tête : construire une histoire reposant sur des éléments interactifs. Ce projet verra finalement le jour le 28 décembre 2018, sous le nom de Black Mirror : Bandersnatch.
À ce jour, ce film demeure l’une des plus grosses tentatives de ce genre et peu se sont essayés à l’exercice. Mais il suffit parfois d’une petite pierre pour bâtir de grandes choses. Mêler ainsi film et jeu sur une série aussi populaire que Black Mirror a certainement eu son petit effet. Séduits par l’idée, certains petits curieux ont ensuite pu se rediriger vers des expériences cinématographiques et interactives plus poussées : les FMV. Et cela vaut d'ailleurs tout aussi bien pour les acteurs.
Ils sont aujourd’hui nombreux à prêter leur visage pour des jeux FMV. Angela Sarafyan (Westworld) et Alexandra Shipp (X-Men: Apocalypse) campaient un rôle dans Telling Lies, tandis que Five Dates mettait notamment à l’honneur Mandip Gill (Doctor Who) et Georgia Hirst (Vikings). Si ces noms ne vous disent peut-être rien, leurs visages vous seront sans doute familiers. Et quoi que l’on puisse en dire, retrouver des visages que l’on connaît dans un jeu, cela lui donne une certaine légitimité à nos yeux et une envie de s’y intéresser. De plus, si le jeu d’acteur laisse encore parfois à désirer, on est bien loin des nanars de l’époque. Aujourd’hui, le genre du FMV c’est du sérieux !
De plus, il s’agit d’un bon compromis pour certains indépendants. Vous le savez, développer un jeu, cela n’a rien de facile. Il ne suffit pas de trouver la bonne idée, il faut la mettre en forme. Pour cela, il faut des personnes qualifiées qui seront capables de produire un jeu collant aux exigences contemporaines, le tout avec un budget limité. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que beaucoup de studio indépendant opte pour du pixel art, plus accessible (bien que tout autant difficile à maîtriser). Mais quand on a besoin d’un minimum de réalisme, ça devient plus compliqué.
En prenant cela en compte, les jeux en FMV paraissent être une alternative moins coûteuse et plus alléchante, l'exemple de Her Story en est la preuve. En 2014/2015, les économies de Sam Barlow avaient suffi pour financer son jeu. Et si le jeune homme s’est tourné vers ce genre bien précis, c’est bien car il nécessitait bien moins de moyens. Avec le bon concept, opter pour le FMV peut réellement avoir ses avantages. Encore une fois, il ne s’agit sans doute pas de l’explication ultime, mais cela permet de comprendre pourquoi de nombreux indépendants font gonfler l’offre de FMV.
Je ne voulais pas me lancer tant que je ne trouvais pas une idée que je me sentais capable de réaliser. J’aurais sans doute facilement pu faire un jeu d’exploration horrifique sur Unite en disant “hey, ceux qui ont aimé mes jeux Silent Hill, prenez ça”. Mais je savais déjà que j’aurais dû faire de gros compromis à cause du budget.
Dernier point qui a certainement contribué à la popularité du genre : le potentiel pour les streamers. Le succès de Super Seducer l’a montré, les jeux FMV à choix ont un vrai succès auprès des créateurs de contenu (et donc de leurs communautés). Certes, l’écrasante majorité des FMV n’utilisent pas d’extension permettant au chat d’agir en jeu. Mais dès qu’il y a du choix, il y a possibilité de faire participer son audience. Richard La Ruina l’a d’ailleurs bien compris, se rapprochant directement des streamers pour faire vivre ses titres. Car aujourd’hui, c’est aussi là que se jouent les tendances vidéoludiques. La forte présence de jeux comme Super Seducer, Telling Lies ou encore Not for Broadcast sur Twitch ou Youtube ont permis à certains de découvrir tout un genre et aux autres d’enfin l’apprécier.
Le FMV reste certes un genre assez niche, mais qui a bel et bien le vent en poupe en ce moment. Entre retour aux sources et innovations bien pensées, les jeux de ce genre semblent avoir de beaux jours devant eux et l’effervescence autour de l’annonce du prochain jeu de Sam Barlow en est la preuve. Reste à voir la place que prendront les FMV dans les années à venir et s’ils parviendront à se révéler assez attrayants pour attirer les faiseurs de grands triples AAA ou simplement se hisser au rang des plus grands classiques du jeu indépendant.