De nos jours, Internet et les réseaux sociaux font que l’information circule à une vitesse prodigieuse et les éditeurs ont souvent bien du mal à garder secrètes leurs futures intentions. Rumeurs omniprésentes, trailers de présentation, révélations multiples… les joueurs connaissent une bonne partie de ce qui les attend des mois avant que le titre ne soit dans leurs mains. Dans les années 1980 et 1990, la donne était bien différente. La presse spécialisée était le seul repère pour les amateurs de jeux vidéo et chaque œuvre prenait les contours d’une découverte quasi-totale. Photos comme dessins étaient scrutés avec attention et il n’était pas rare de rester de très longues minutes devant un rayon de jeux pour choisir l’heureux élu qui allait rejoindre le port cartouche ou lecteur CD de l'appareil du foyer familial. À l’époque, les jaquettes (ou cover arts comme disent nos amis anglophones) avaient une importance capitale dans ce choix et les éditeurs faisaient tout pour happer le consommateur par le biais de ces illustrations. Mais d’où viennent-elles et quels sont les secrets qui se cachent derrière ces artworks historiques ? On a essayé d'en savoir plus.
Sommaire
- ATARI OU L’ART DE L’IMAGINATION
- NES CONTRE MASTER SYSTEM
- GÉNÉRATION 16-BITS ET AVÈNEMENT DU CD-ROM
- DES NOMS INCONTOURNABLES
L’univers des jaquettes est si riche et étonnant qu’il est facile de s’y perdre. Pour garder un semblant de clarté, votre serviteur a donc décidé de présenter ce dossier sous une forme chronologique. On va ainsi démarrer notre récit à la fin des années 1970 avec l’Atari 2600 (ou VCS comme elle était appelée au départ), première console à avoir démocratisé le jeu vidéo domestique en occident.
Préparez-vous à une avalanche de souvenirs !
ATARI OU L’ART DE L’IMAGINATION
Bien que confrontée à plusieurs concurrents, tels que l’Odyssey de Magnavox ou la Channel F de Fairchild, l’Atari 2600 devient rapidement la console préférée des enfants et adolescents. Des millions de joueurs fondent à l’énonciation des aventures d’Indiana Jones, de la conquête spatiale ou des simulations de sport. Les graphismes étant ce qu’ils sont, les éditeurs ont tout intérêt à faire appel à des artistes talentueux pour attirer l’œil et décupler l’imagination des futurs joueurs. Au départ, la firme américaine fait surtout confiance à ses dessinateurs-maison, tels que l’incontournable James Kelly. Diplômé de l’Art Center College de Los Angeles et l’Academy of Art de San Francisco, l’artiste s’est passionné très tôt pour le dessin. À l’âge de dix ans, il a notamment pris des cours particuliers avec Abraham Nussbaum, un portraitiste et artiste de renom. Sa carrière l’a ensuite conduit à œuvrer dans le milieu du jeu vidéo, du cinéma, de la publicité, mais aussi dans l’édition d’ouvrages. On lui doit les illustrations de grands classiques comme Raiders of the Lost Ark (Les Aventuriers de l’Arche Perdue), mais aussi de Pele’s Soccer.
Par la suite, Atari s’est payé les services de Susan Jaekel (Hangman, Adventure, Circus, Brain Games…) et Cliff Spohn (Codebreaker, Computer Chess, Missile Command…). Le délai de conception de ces couvertures était assez court (quelques jours tout au plus), mais ça permettait à l’entreprise américaine de varier le type d’illustrations pour une ludothèque qui s’est très vite agrandie (au détriment de la qualité). Ce que l’on remarque, à part pour quelques exceptions, c’est que les jaquettes des jeux Atari 2600 étaient particulièrement détaillées et très réalistes et employaient différents codes couleur (rouge, orange, vert, bleu…). Il existait également des boitiers entourés de gris. Pour le reste, la boite était en carton et s’avérait assez fragile dans le temps.
NES CONTRE MASTER SYSTEM
Au milieu des années 1980, Nintendo et SEGA se lancent dans un affrontement qui va durer plusieurs années. Du côté de chez Nintendo of America, les intéressés choisissent de se démarquer des boitiers japonais pour s’adresser plus directement aux consommateurs occidentaux. Pour singer les boitiers des cassettes vidéo, NOA opte pour des boites en carton avec une illustration verticale. Au départ, les illustrations se résument à des photos zoomées du gameplay des jeux (avec un focus sur le personnage central). C’est notamment le cas de l’incontournable Super Mario Bros. ou encore Duck Hunt. La raison voudrait que de nombreux joueurs aient été échaudés par l’approche d’Atari qui mettait le paquet sur les visuels alors que les jeux ne ressemblaient en rien à ce qui était affiché sur les jaquettes. Nintendo aurait ainsi tiré une leçon de ces déceptions, mais ils ont vite compris qu’il leur fallait des visuels plus percutants. Et les graphismes supérieurs de la NES par rapport à l’Atari 2600 permettaient cela ! Ils ont alors commencé à faire appel à des artistes venus de tous horizons, parfois employés de Nintendo, parfois indépendants, parfois employés au sein d’agences publicitaires. Ainsi, au Japon, le réalisateur de la jaquette de Super Mario Bros. n’est autre que le créateur du jeu, Shigeru Miyamoto. Les visuels de Super Mario Bros. 2, Super Mario Bros. 3 ou encore Super Mario Land sont l’œuvre, quant à eux, de Yoichi Kotabe, un character designer historique de la firme de Kyoto et grand monsieur de l’animation. Chez Nintendo of America, la jaquette emblématique de The Legend of Zelda provient de Timothy (dit Tim) Girvin, un designer officiant alors au sein du siège US. D’autres illustrateurs, comme Bob Wakelin pour les jeux Ocean ou encore Tom Dubois, se font connaître à ce moment-là par les éditeurs et multiplient les collaborations. Sur le site Boxequalsart, Tom Dubois explique son parcours dans une interview passionnante.
Habitant de Chicago, son job consiste à dessiner des décors pour les publicités de la céréale Cap’n Crunch. Un jour, par le biais d’une connaissance, il décide de proposer ses services à l’agence Michael Meyers qui vient d’entrer un nouveau client : Konami. L’employeur est séduit et l’embauche. Il découvre alors l’exigence à la japonaise : délais ultra-serrés, cassettes vidéo de gameplay (pour l’inspiration) avec la totale interdiction de les ramener à domicile, pointilleux sur le moindre détail, etc. L’homme vit un vrai baptême du feu, mais peut compter sur le soutien et la compréhension de ses collègues. Vient alors le moment de réaliser sa première jaquette : Blades of Steel, le jeu de hockey sur glace ! Tom Dubois décide de réaliser un visuel proche de celui de la cartouche japonaise, sortie quelques mois auparavant, et s’empare d’une photo officielle de la Coupe Stanley de 1983 entre les Oilers et les Islanders ayant servie de référence à l’illustration nippone. On peut y voir deux joueurs (Wayne Gretzky et Tomas Jonsson) en pleine bataille du palet. Avec son talent et son approche, l’illustrateur réalise un visuel superbe. Pour éviter les problèmes, il modifie les couleurs, les numéros des uniformes, etc. Aussi, qu’elle n’est pas sa surprise lorsque, quelques jours plus tard, il reçoit une facture de… 15 000 dollars provenant des ayants-droits, autrement dit du magazine Sports Illustrated qui a diffusé la photo. Une négociation aura finalement lieu avec l’agence Michael Meyers et Tom Dubois va pouvoir montrer tout son talent sur des visuels comme The Adventures of Bayou Billy, Castlevania, Castlevania III : Dracula's Curse ou encore Metal Gear : Snake's Revenge. On retrouvera un peu plus loin ce même artiste sur des jaquettes très célèbres de l’ère 16-bits.
Chez SEGA, l’approche est différente, mais non moins surprenante. Au Japon, la SG-1000 (et son modèle amélioré, la SG-1000 II) ont fait prendre conscience à l’entreprise japonaise l’importance du marché domestique. Tout en restant dans l’ombre de Nintendo, SEGA parvient à écouler plus de 160 000 machines pour chacun des modèles de sa première console et y voit une formidable opportunité (surtout en comparaison des 5 000 à 10 000 bornes généralement écoulées). Elle décide à son tour de se lancer sur ce marché et internationalise sa troisième machine : la Mark III, qui deviendra Master System en occident. Contrairement à Nintendo, SEGA va, pendant des années, confier l’illustration de la plupart des jaquettes de ses jeux à ses designers. Ces dernières, à l’image de celles de la NES, sont plutôt percutantes. Jusqu’à l’arrivée de la machine aux États-Unis…
À l’époque, la toute jeune filiale américaine de SEGA choisit une approche qui va rester dans les mémoires. Les responsables marketing estiment que l’image du jeu vidéo est écornée depuis le krach du jeu vidéo en 1983 (Atari, E.T., tout ça, tout ça…) et décident alors d’appâter les parents… en imaginant un rendu « cahier d’école » et des visuels mignons. Pendant près d’un an, de 1986 à 1987, les jaquettes sont réalisées par des employés maison et sont volontairement enfantins et minimalistes. En 1987, voyant que la machine a bien du mal à décoller au pays de l’Oncle Sam, SEGA signe un contrat avec Tonka (qui s’occupe de la distribution et de la commercialisation) et des voix commencent à s’élever pour réclamer des visuels plus percutants. Dès l’année 1988, avec Shinobi en tête de gondole, les boitiers Master System retrouvent le style qu’on pouvait alors trouver chez Nintendo ou sur les jaquettes des premières consoles japonaises de SEGA. En l’état, le syndrome « Calipage » n’a absolument pas marché auprès des parents, Nintendo s’est fortement implantée aux États-Unis et la Master System a disparu dans les limbes. L’Europe aura, quant à elle, une histoire très différente avec une Master System en grande forme. Même si, nous aussi, on a dû se contenter des visuels US. Il faudra peut-être dire à l’artiste ayant dessiné la jaquette de Pro Wrestling que ce n’était peut-être pas la meilleure idée qu’il ait eue…
Un sujet aussi vaste pourrait faire l’objet d’un ouvrage, mais il est important de souligner, au même titre que les consoles, l’importance des visuels sur micro-ordinateurs et PC. Il suffit de revoir certaines jaquettes cultes pour replonger des années en arrière. Des premiers sursauts dans Doom (de l’artiste Don Ivan Punchatz) aux scènes d’action dans Duke Nukem 3D (Robert Grace) en passant par les énigmes de Myst ou de L'Amerzone, chacun a ses propres souvenirs. Sur Amiga ou Atari ST, on pensera aussi volontiers à des titres comme Worms, Shadow of the Beast, Turrican, Kick Off 2 ou Dizzy.
GÉNÉRATION 16-BITS ET AVÈNEMENT DU CD-ROM
Dans les années 1990, les éditeurs, bien conscient de l’importance des visuels de leurs jeux, accélèrent les collaborations avec des artistes expérimentés, qu’il s’agisse de leurs propres designers ou de noms célèbres. Les illustrateurs ont alors beaucoup plus de liberté et ne répondent plus, uniquement, à un cahier des charges. C’est ce qui permet à Tom Dubois, longtemps limité à des demandes strictes provenant des éditeurs, d’élargir son champ d’action. Pour ses travaux sur Castlevania, il s’inspire notamment du style de Ray Harryhausen. Puis vient son illustration de l’excellentissime Turtles in Time :
Ah, les Tortues ! Je me souviens très bien de Jim Gasper, le directeur artistique, qui me disait d’aller de l’avant, de m’amuser et de ne surtout pas me caler sur le style « mauviette » des tortues du dessin animé. Lorsque je lui ai demandé : « Mais tu veux quoi exactement à la place ? », je me souviens qu’il s’est marré en me balançant : « Donne-leur un look BAMF ! » (NDA : Bad Ass Mother F…, en clair, un style trash)
Cela va donner ce visuel inoubliable de Turtles in Time, avec un style bien plus proche du comics. Tom Dubois poursuivra son œuvre avec, ce qui reste pour lui sa plus belle réalisation, la jaquette de Sunset Riders.
Dans ces années-là, le marché du jeu vidéo explose, devient une industrie et les titres s’empilent dans les rayons. Pour se démarquer, chacun y va de son style artistique et son talent. On voit alors des illustrations exploitant toutes les formes artistiques possibles et imaginables : crayons de couleur, peinture, bande-dessinée, comics, manga, portrait, affiche de films… On commence à voir arriver des illustrations utilisant l’outil informatique et notamment l’image de synthèse à la Donkey Kong Country. Ce qui n’est pas toujours une réussite. L’heure est à la liberté et les éditeurs n’hésitent pas à dépenser d’importantes sommes d’argent pour signer des noms célèbres de l’animation japonaise, du manga, de la BD, etc. C’est ainsi que SEGA contacte le génial Jean « Moebius » Giraud pour mettre en lumière l’un de ses futurs titres phares : Panzer Dragoon. De son côté, Yoshitaka Amano poursuit son aventure Final Fantasy pendant qu’Akira Toriyama œuvre pour le bien de Dragon Quest, mais aussi Tobal No 1 et Chrono Trigger. On fait même parfois appel à des agences de design, comme l’incontournable The Designers Republic pour la série WipEout. Les approches sont multiples et certains constructeurs profitent de l’avènement du support optique pour faire évoluer les boitiers. À l’image de NEC et de sa PC Engine des années auparavant, SEGA choisit un boitier CD pour son Mega CD et il est de même avec Sony pour ses jeux PlayStation. En parallèle, Nintendo fait un choix économique et poursuit son utilisation du carton pour les titres Nintendo 64.
Au Japon, SEGA reste fidèle à la logique du Mega CD et opte pour des boitiers CD standard pour sa Saturn. Aux États-Unis, la filiale US mise pour de gros boitiers plastiques transparents à la verticale, assez mastoc et un peu fragiles. Mais la véritable surprise vient d’Europe. Au lieu de suivre les recommandations de l’équipe américaine, le siège du Vieux Continent, en accord avec les différentes filiales européennes, mise sur des boitiers noirs plus fins et décide de passer par un conditionneur européen basé à Londres. Concrètement, les jeux CD arrivent dans des boitiers plastiques classiques, ils sont sortis et repositionnés dans des boitiers Saturn européens. L’idée de SEGA Europe est alors d’avoir des linéaires avec des jaquettes très colorées, donnant l’illusion de personnages sortant de la boite. Le choix du boitier noir a été fait pour renforcer cette impression. Problème, ces boitiers sont extrêmement fragiles et SEGA ne réagira que très tardivement, pour les derniers jeux de la machine, en ajoutant une enveloppe plastique sur le boitier. Ce qui est amusant, c’est que le constructeur réitèrera cette différence avec les boitiers européens Dreamcast, pour un résultat sympathique visuellement, mais là encore assez fragile.
On pourrait passer des heures à analyser les jaquettes de jeux vidéo, mais en allant à l’essentiel, on retrouve dans ces illustrations des approches cinématographiques bien établies. Certaines couvertures vont ainsi miser plus volontiers sur le personnage central de l’histoire, en le mettant de face (ou de dos) pour bien marquer son importance au cœur du récit. D’autres vont préférer le « tête-à-tête » pour marquer la rupture entre deux protagonistes (ou plusieurs) que tout oppose. On peut également parler de ces illustrations directement inspirées d’affiches de films (Terminator pour Metal Gear, Predator pour Contra…). Mais globalement, chaque artiste, dès qu’il avait un minimum de liberté, tentait à travers une illustration de reproduire une séquence phare ou de matérialiser chaque élément les plus importants du jeu en question. Autant d’approches pour une inconnue : celle d’impacter positivement les ventes ou de se transformer en fardeau pour l’œuvre.
DES NOMS INCONTOURNABLES
À partir des années 2000, le jeu vidéo va établir un certain standard avec des boitiers verticaux assez classiques inspirés, dans un premier temps, des boitiers DVD, puis, dans un second, des boitiers Blu-Ray. Le seul soupçon d’originalité proviendra finalement de l’univers des portables (DS, PSP, PS Vita, 3DS…) et, plus récemment, de la Nintendo Switch et ses boitiers si emblématiques, illustrant son concept hybride. Les visuels, en revanche, sont réalisés par une variété toujours plus grandissante d’artistes, qu’ils soient indépendants ou employés auprès des éditeurs. Certains ont d’ailleurs traversé les décennies, tout comme leurs visuels. On pense notamment au regretté Mick McGinty, l’illustrateur des jaquettes occidentales de Street Fighter II, Streets of Rage 2 ou encore Kid Chameleon.
Même constat pour l’inoubliable animateur chez Hanna-Barbera, Greg Martin, parti en 2013 et à l’origine de multiples jaquettes ultra célèbres (Sonic 8-bits, Sonic the Hedgehog 2, Sonic 3, DuckTales 2, Taz-Mania, Adventure Island II…). On peut aussi citer l’incontournable Akira Watanabe et son artwork de Sonic the Hedgehog qui a été utilisé dans toutes les filiales de SEGA. Toujours sur Mega Drive, impossible de ne pas glisser un mot sur le travail reconnaissable de Bojis Vallejo, l’artiste ayant réalisé les visuels d’Ecco the Dolphin, Golden Axe II ou encore Turrican. Dave McMacken s’est aussi fait remarquer pour ses illustrations de The Battle of Olympus, Double Dragon III et Ninja Gaiden. Yoichi Kotabe, quant à lui, a un style si mémorable qu’il a signé la plupart des jaquettes des grandes licences de Nintendo. Et les exemples sont tels qu’on ne peut que vous conseiller d’aller faire un tour sur Boxequalsart.com.
De nos jours, l’importance des visuels peut sembler moindre avec la démocratisation accélérée du tout numérique, mais pour toutes celles et ceux qui ont connu les décennies précédentes, ces jaquettes représentent bien plus qu’un simple dessin accolé à une boite ou un boitier. Dans une bibliothèque ou une étagère, elles symbolisent parfois un moment marquant de l’enfance ou de l’adolescence, et ce, quel que soit l’éditeur, le constructeur ou la machine. Ce moment où on découvre Teenage Mutant Ninja Turtles sur NES, que l’on sautille d’impatience en déballant Sonic sur Mega Drive ou qu’on s’émerveille à l’ouverture de The Legend of Zelda : Link's Awakening sur Game Boy. Et que dire de ces moments figés dans le temps qu’ont pu être les introductions de Tekken 2, Soul Blade ou encore Metal Gear Solid sur PlayStation ? Chaque jeu a son histoire et elle est immanquablement liée aux illustrations qui ornent chaque boite.
Même quand elles sont bizarres et qu’elles ne correspondent absolument pas à ce que le jeu propose. Mais ça, c’est une autre histoire…