Il y a quelques semaines, alors que les rumeurs se faisaient de plus en plus pressantes, Square-Enix a confirmé le retour de Chrono Cross dans une version remastérisée. Disponible le 7 avril prochain, le jeu vient ainsi réparer une anomalie de plus de vingt ans en faisant l’objet, pour la première fois, d’une sortie sur le sol européen. Avec ce retour de Chrono Cross, on ne peut s’empêcher d’avoir une pensée pour son grand frère, l’incontournable Chrono Trigger. Hier, il fêtait d’ailleurs sa vingt-septième année d’existence et mérite qu’on en parle.
Tout commence en 1991. À l’époque, Squaresoft et Enix sont concurrents et chacun, à sa manière, tente d’imposer sa licence-maison : Final Fantasy pour le premier, Dragon Quest pour le second. Cela n’empêche pas les intéressés de se parler et au cours d’un repas, alors qu’ils sont accompagnés d’Akira Toriyama, créateur de Dragon Ball et des personnages de Dragon Quest, Hironobu Sakaguchi (Final Fantasy) et Yuji Horii (Dragon Quest) émettent l’idée de travailler ensemble. La concrétisation du projet va prendre du temps et c’est finalement deux ans plus tard, en 1993, que va être lancé le « Dream Project ».
UN PROJET DANTESQUE POUR SQUARESOFT
D’abord destiné au support optique, à savoir le CD-ROM, le projet « Dream » a pour but d’exploiter les nouvelles techniques de développement, alors en pleine expansion grâce aux stations Silicon Graphics. Pour des raisons de planning (mais aussi l’affaire Nintendo/Sony/Philips), le CD-ROM est abandonné en cours de route pour la cartouche de la Super Nintendo. Ambitieux, le staff décide toutefois de poursuivre le développement comme s’il s’agissait d’une œuvre prévue pour un support optique. Cela explique la qualité impressionnante des graphismes et des animations.
https://www.youtube.com/watch?v=7IGPTckkPoMConçu par une cinquantaine de personnes, le « Dream Project » est un développement de très longue haleine (2 ans, ce qui est énorme pour un jeu Super Nintendo). Pendant des semaines, Yuji Horii et Masanori Kato (chef de projet) se retrouvent régulièrement pour établir les bases du scénario, tandis que les programmeurs et artistes s’affairent à donner vie à un monde qui a pour particularité d’évoluer en fonction de l’époque traversée. Mettant en avant le principe du « voyage dans le temps », l’œuvre est un projet colossal qui réclame des réunions interminables entre les pontes de Squaresoft et Enix (il ne faut pas l'oublier, les deux sont concurrents et le titre sort sous l’égide de Squaresoft). Les artistes utilisent les nombreux dessins d’Akira Toriyama pour donner vie à un univers unique et extrapolent lorsqu’ils n’ont pas l’information, notamment les personnages de dos (le mangaka dessine des persos de face ou de profil). Toriyama doit aussi revoir certaines de ses créations afin d’adapter ses protagonistes au désir du staff de développement.
DE MULTIPLES RÉFÉRENCES
Pendant un temps, l’équipe pense à utiliser la franchise Seiken Densetsu (dont Secret of Mana découle), mais estime, à raison, que l’univers et les personnages se démarquent suffisamment pour donner naissance à une licence inédite. Réalisé par une équipe incroyable, parmi ce qui se fait de mieux à l’époque en matière de jeux de rôle (d’où le concept de « Dream Team), Chrono Trigger sort le 11 mars 1995 au Japon et quelques mois plus tard aux États-Unis. Innovant à plus d’un titre, le jeu s’inspire d’innombrables références cinématographiques et télévisuelles (Alien pour le contraste et l’éclairage, The Time Tunnel pour le scénario…) et dépoussière, à sa sortie, le jeu de rôle à la japonaise. Les programmeurs ont lutté pour intégrer la totalité des données, malgré la mémoire conséquente de la cartouche, 32 Mb.
Hironobu Sakaguchi reconnaît d'ailleurs :
J'étais un patron très strict pendant le développement de Chrono Trigger. Chaque matin, je rassemblais tout le monde et je leur demandais de me donner des rapports de situation. Je n'avais jamais rien fait de tel pendant Final Fantasy.
Chrono Trigger a poussé la console de Nintendo dans ses derniers retranchements et le souvenir de toutes celles et ceux qui ont pu s’y frotter à l’époque (ou plus tard) reste indélébile. Le titre regorge d’idées géniales (le fait de pouvoir se déplacer durant les phases de dialogues ou les cutscenes notamment) et a fait l’objet d’innombrables expérimentations visuelles. Grâce aux stations Silicon Graphics, les artistes ont pu s’en donner à cœur joie, comme le prouve la séquence d’intro avec le pendule, ou l’impression de profondeur des décors et personnages. Il en va de même pour les effets spéciaux qui sont nés des tests sur les stations Silicon Graphics. Conçu par des développeurs d’expérience (Squaresoft n’embauchait que la crème de la crème à l’époque), Chrono Trigger a fait sensation et pouvait regarder, à l’image de Donkey Kong Country les productions 32-bits sans crainte.
Définitivement une œuvre à part.