Quand il y a un conflit armé, “le sujet principal, c’est la guerre, ce sont les armes, ce sont les victimes”, répétait encore la semaine dernière l’éditorialiste Dominique Seux à l’antenne de France Inter. Puis il y a ses effets sur l’économie, l'énergie, l’agriculture, le divertissement. Dans la sphère vidéoludique, premier marché culturel mondial, les campagnes promotionnelles sont restées quelques jours en suspens, les grands tournois sont repoussés, les acteurs locaux attendent d'être relocalisés.

Industrie en pause

24 février 2022 : alors que le président Zelenskyy rompt les relations diplomatiques avec la Russie, Riot Games annonce retarder la troisième semaine des tournois européens de Valorant : “Le bien-être de notre communauté fait partie intégrante de nos préoccupations et, en ce moment, notre priorité numéro un est de soutenir les joueurs, les casters, le personnel et les fans affectés par l'escalade de la crise en Ukraine”. Plusieurs joueurs russes et ukrainiens sont conviés aux compétitions ; notamment Gambit, Natus Vincere, FunPlus Phoenix et Acend. Depuis le début de la guerre, l’industrie se met en pause par contrainte ou solidarité. Le lendemain, c'est au tour de Respawn de repousser ses Apex Legends Global Series. Même décision pour la saison printanière de la ligue professionnelle PUBG Mobile. Difficile de s’extasier devant des affrontements à mort tandis que des citoyens de Donetsk, Kharkiv et Odessa sont en train d’être évacués dans la peur. Depuis son compte Instagram, le jeune MyLLIKeT de l'équipe 1218 qui concourt sur le jeu de Tencent raconte s'être réveillé à cinq heures du matin au son des explosions : "À tous ceux qui sont en quelque sorte blessés par les récents événements, je vous souhaite de ne pas succomber à la panique et de prendre calmement des décisions équilibrées. Paix et bienveillance à tous".

À Kiev, la capitale, la défense s’organisait hier dans l’attente des chars russes. Bon nombre de multinationales ont déjà plié bagage. GSC Game World, l’un des plus grands développeurs de jeux vidéo d'Europe de l'Est, résiste. Sur Twitter, le studio composé d'environ 300 personnes se fendait d’un communiqué une semaine plus tôt, avant de se murer complétement dans le silence : “L'avenir est inconnu, mais nous sommes sûrs de nos forces armées et de notre pays. Nous demandons à tous : ne restez pas à l'écart et aidez ceux qui en ont besoin”. Mais alors qu'est-ce que cela signifie pour S.T.A.L.K.E.R. 2 ? Attendue plus de dix ans, la séquelle de leur franchise phare pourrait manquer sa sortie le 8 décembre prochain. Aucune précision n'est faite à ce sujet. Le studio britannique The Chinese Room, lui, a choisi expressément de retarder la publication de Little Orpheus, son platformer comique aux multiples références à la Russie soviétique. Quoiqu'il advienne, la communication doit rester maîtrisée ; à Wargaming, entreprise chypriote qui emploie des centaines de développeurs dans la capitale ukrainienne, la perte de contrôle a été catastrophique. L’un de ses directeurs créatifs, Sergey Burkatovskiy, vient d’être licencié après avoir soutenu publiquement l'invasion de l'Ukraine. "Sergey Burkatovskiy a exprimé son opinion personnelle sur les médias sociaux qui ne reflète catégoriquement pas la position de l'entreprise", a déclaré un représentant. En réponse, le studio a fait un don de 30 millions de hryvnia (1 million de dollars) à la Croix-Rouge ukrainienne. Pour l'instant, par respect, les chars ont disparu de leurs publicités en ligne.

Chez Wargaming, la sûreté et la sécurité de nos employés sont la priorité absolue. Actuellement, toutes les ressources disponibles de l'entreprise aident et soutiennent nos plus de 550 collègues : en leur fournissant un logement de remplacement, des paiements anticipés de salaire, des fonds supplémentaires pour faciliter les voyages et la relocalisation. - Déclaration de Wargaming relayée par eurogamer.

Développeurs en alerte

L’Ukraine est aussi le berceau de Sherlock Holmes et The Sinking City. Dans les colonnes de Kotaku, un porte-parole de Frogwares confie que certains membres de son équipe ont eux aussi été réveillés par des tirs de roquettes. Pour l’heure, le travail est ralenti, voire arrêté. La sécurité prime. “Le gros de l'équipe se trouve à Kiev et ils nous ont dit qu'il y avait pas mal de troubles publics et d'agitation dans les rues, car les gens commencent à faire des provisions ou essaient de partir vers la périphérie. Comme la situation ne cesse de changer, Frogwares et l'équipe observent et s'adaptent en fonction des besoins”. À Kiev comme à Odessa, Ubisoft compte plusieurs employés qui “ont joué un rôle central pour rendre les titres que nous aimons plus accessibles depuis Assassin's Creed Origins”, rappelle le directeur David Tisserand. Là aussi, le mot d’ordre est le même. Des mesures drastiques sont déjà prises.

La semaine dernière, nous avons recommandé à nos employés de se mettre à l'abri dans un endroit qu'ils considèrent comme sûr. Ubisoft a fourni à tous les membres de l'équipe en Ukraine des fonds supplémentaires pour les aider à couvrir les coûts exceptionnels, tels que ceux liés à leur voyage et à leur relocalisation, et a versé les salaires à l'avance pour tenir compte de toute perturbation potentielle des systèmes bancaires. Ubisoft fournit des logements dans les pays voisins où les équipes et leurs familles peuvent se réfugier si elles le souhaitent et le peuvent. Afin de rester en contact étroit avec toutes les équipes, nous avons mis en place des lignes d'assistance téléphonique pour répondre à leurs questions et à leurs besoins et avons mis en place un système de communication d'urgence si les infrastructures devenaient instables. Nous continuerons à adapter et à renforcer notre assistance en fonction de l'évolution de la situation - Ubisoft à Kotaku.

Pendant que le président ukrainien Volodymyr Zelenskyy exhorte ses citoyens à rester calmes, les dirigeants d’entreprise tentent eux aussi d'imposer une humeur égale. Oleg Yavorsky, directeur du développement commercial chez Vostok Games (Survarium, Fear the Wolves) partage à GamesRadar+ : "Nous croisons les doigts pour que la paix soit enfin réglée bientôt - que les guerres se passent uniquement dans les jeux vidéo !". En attendant, une formation médicale de premiers secours est proposée aux employés en cas de situation extrême. Le média anglophone indique qu'une poignée de studios ukrainiens explorent depuis le début du mois de février des possibilités de relocalisation à grande échelle. La suggestion a déjà été faite par l’éditeur Saber Interactive, basé en Floride, aux créateurs de Metro , 4A Games. Le départ se fait pour Malte. D’autres, en revanche, préfèrent travailler à l'ombre de la guerre. "Nous avons ressenti l'agression russe pendant huit ans", leur confie un développeur. Enfin certains tentent de fuir en vain. La conceptrice de jeux Ilona Shvets raconte depuis Kharkiv que d'"énormes embouteillages" bouchonnent les issues : "Nous devions retourner en ville. Nous nous sommes barricadés et avons scotché les fenêtres ; chaque fois que les avions russes bombardaient, nous nous cachions derrière les barricades". D’autres structures, comme Sengi, StarDrone VR Beatshapers ou Frogworks, s’adaptent à un conflit qui pèse au-dessus de leur tête depuis 2014, date de la révolution Maiden qui a entraîné la mort de 100 Ukrainiens. Non sans une certaine lassitude.

Nous ne devons pas oublier que l'Ukraine est dans cet état d'agression de la part de la Russie depuis 2014, et que plus de 14 000 personnes ont été tuées depuis. Malheureusement, nous nous sommes déjà habitués à vivre dans cet état de danger - Yavorsky à gamesradar.

À l’internationale, le soutien de l'industrie se fait ressentir. Le studio polonais 11 bit promet reverser les profits de son jeu This War of Mine à la Croix-Rouge locale. GoG, la boutique de CD Projekt (The Witcher, Cyberpunk 2077), en fera de même avec les ventes du titre de survie en temps de guerre. Raw Fury se rallie aussi au mouvement ; et d’ajouter : “Nous vous encourageons tous à soutenir en donnant, de manière à ce que l'aide parvienne le plus rapidement possible à ceux qui en ont besoin.”